𝕳𝖆𝖐𝖎𝖒
JANVIER 2027
- Ça tu vois, faut pas le faire comme ça.
Grognant longuement dans ma barbe, je lâchais les coins de la couche de Tesnime, avant de reculer et de souffler grandement. À côté de moi, Ken se foutait ouvertement de ma gueule, pliant très vite la protection autour de la taille de Célina, avant de s'occuper de celle de sa deuxième fille.
Ça faisait au moins une dizaine de minutes que je galérais à accrocher une putain de couche et j'avais l'impression que c'était la tâche la plus compliquée qui ne m'avait jamais été donnée.
- C'est des années d'entraînements ça, tu vas prendre le pli à un moment. me rassurait le grec en embrassant les joues potelées de ses gamines. Nour elle sait faire ?
- J'sais ap, je lui ai pas demandé. Toi t'as appris comment ?
- Oria m'a traîné dans des cours de parents. le long râle du brun me fit pouffer de rire, ça n'avait pas dû lui plaire. C'était avant la naissance d'Eliott et pour être honnête, ça a servi à r. Mieux vaut faire ton expérience de toi-même, vraiment. Pour te dire, c'est Doum's qui m'a appris à bien mettre un body et dans le bon sens, il galérait de fou avec Isma' à l'ancienne.
- Doum's ? Sah ?
- Et ouais mon reuf, j't'ai dit, t'apprends mieux avec les gens que tu connais, tu retiens plus vite. En une aprèm' c'était emballé et pas une fois la crèche a appelé Oria pour lui dire que le p'tit était mal sapé.
- Hmm, faut que j'assure avec les petites.
- Te fais pas de soucis pour ça, j'suis sûr que vous allez bien gérer avec Nour.
- Mais... Deux d'un coup quoi, ça va être dur.
- Logique, vous n'avez pas eu d'entraînement avec un premier enfant mais ça fait rien et je te promets que y a pas mieux que la paternité. Je me sens grave épanoui dans ma vie de tous les jours, j'ai un toit, une femme, trois gamins que j'aime plus que ma propre vie alors j'ai tout pour être heureux. Tu l'auras toi aussi ce sentiment.
- Ah ouais ?
- Ouais. Quand le toubib te refilera tes filles dans les bras Hakim, je te jure que t'auras l'impression d'être l'homme le plus puissant au monde.
Convaincu un max par les aveux de mon pote, je hochais plusieurs fois de la tête alors qu'il me tapait sur l'épaule en m'assurant que tout allait bien se passer. Le seul véritable stress qui m'habitait en ce moment, au-delà de mon problème de couches, c'était la grossesse de Nour. Je priais chaque soir, pour que tout se passe bien et que les trois personnes les plus importantes de ma vie, s'en sortent ensemble.
Plusieurs fois, Nour avait fait des sous-entendus du style "Entre nos filles et moi, si tu devais faire un choix, tu sauverais qui ?". Ken m'avait rassuré sur ça, il m'avait dit qu'Oria lui avait déjà posé plusieurs fois la question mais là, sortie de la bouche de Nour, cette phrase avait une saveur amère dans le fond de mon gosier.
Puisqu'on savait très bien, elle et moi, qu'elle présentait une grossesse à risque, et qu'au final, sa question s'avérait plus sérieuse qu'une simple plaisanterie. Et le pire là-dedans, c'était qu'il était impossible pour moi d'y répondre, je me voyais pas vivre sans Nour d'un côté. De l'autre, je nous voyais pas nous relever de la perte de nos deux enfants, après tout ce qu'on avait traversé.
- T'inquiètes Hakim, tu vas être un daron de ouf. m'assurait mon pote après avoir couché ses deux filles pour la sieste, et qu'on ait rejoint son salon.
- J'espère.
- Je doute pas dessus. T'es déjà un tonton de dingue pour Eliott alors j'imagine pas pour tes propres gosses. Et Nono aussi, ce sera une super maman, j'ai pas de craintes sur ça.
- C'est obligé, elle est trop forte avec les enfants. souriais-je tel un imbécile, grattant nerveusement mon coude en perdant mon regard sur la petite table devant moi. Elle a grave ce truc maternel, elle va être incroyable, je suis sûr.
- T'es salement amoureux mec.
- J'me suis marié avec elle et on va avoir deux enfants, encore heureux que je sois putain de fou d'elle.
Ken ricanait en avouant que je n'avais pas tort sur ce coup-là, avant d'enchaîner direct avec les designs de maquettes qu'il avait commencé à dessiner pour une sorte de mini-projet. Juste six sons qui allaient sortir comme ça, sans tournée ni rien, c'était les vieux "restes" de son disque dur qu'il n'avait pas voulu jeter.
Même s'il avait pris sa retraite musicale depuis un bout de temps, ça nous empêchait pas de tous nous retrouver au stud' afin de gratter deux-trois morceaux rien que pour le kiffe, sans prise de tête. C'était d'ailleurs comme ça qu'on se retrouvait, une heure après, derrière les platines, après qu'Oria soit rentrée d'un rendez-vous médical.
Ken lui avait demandé quinze fois si ça ne la dérangeait pas de rester seule avec les filles et même Oria avait fini par lui crier dessus pour qu'il s'en aille profiter un peu. Depuis la naissance de Tesnime et de Célina, le grec était devenu encore plus un papa poule, il voulait toujours s'assurer que ses deux princesses allaient au mieux.
ll avait été comme ça avec Eliott, pourquoi est-ce qu'il changerait pour les jumelles ?
- Tu peux m'mettre ça sur clé ? je posais ma main sur l'épaule de Diabi qui était aux manettes, s'amusant à faire quelques réarrangements.
- Le son de t'à l'heure ?
- Ouais voilà. J'ai une piste en plus, de dix secondes, à rajouter à la fin si ça te dérange pas.
- Pas de soucis mon reuf, j'te prépare ça.
- Nickel, tu gères.
Le beatmaker m'envoyait un clin d'œil entendu, avant que je ne retourne m'asseoir sur le canapé du studio, poursuivant ma discussion avec les gars sur un sujet que je comprenais même pas. Mais c'était un plaisir de contredire Théo à chaque seconde, ça le faisait monter dans les tours et c'était grave gol-ri.
(...)
Dans ma vie, il m'avait été donné de voir de belles choses. Les paysages de mon pays, le sourire fier de ma grand-mère, le succès de mes frères dans leurs carrières. Mais tout ça n'avait d'égal avec la vision de Nour qui contemplait son ventre dans le miroir de la chambre. Il n'y avait pas mieux, vraiment.
- Tu trouves pas que j'ai pris des cuisses ?
Sauf quand elle se descendait elle-même.
- Rien qui me choque, t'as les jambes d'une femme enceinte de jumelles quoi.
- Oui, mais c'est beaucoup non ? elle fronçait les sourcils en se tournant vers moi, pinçant la peau de ses cuisses entre ses doigts. T'en dis quoi ?
- J'en dis que je m'en fous de ça Nour, je vois que par ton ventre.
- Mon énorme ventre, tu veux dire. raillait la brune avant de se regarder à nouveau dans la glace. J'espère perdre tout ça après l'accouchement.
- Moi pas.
- Tu dis ça parce-que je suis actuellement enceinte mais crois-moi que dans deux ans, si tu te réveilles avec un cachalot comme moi à tes côtés, tu vas vite prendre la fuite.
- T'as vu comment tu te rabaisses là ? Hayati sérieux.
- Désolée. Je me trouve juste grosse. soufflait l'égyptienne, marchant vers moi alors que j'étais allongé sur notre lit. Je sais que je dois te souler avec ça.
- C'est pas ça qui me soule, c'est le fait que t'aies pas confiance en toi. T'es une bombe.
- Une bombe prêt à exploser, exactement.
- C'est pas c'que je voulais dire. T'es canon, des meufs comme toi si j'en croise dans la rue, je m'arrête et j'essaie de les approcher.
- Donc si demain, tu vois une fille comme moi, tu me tromp-
- Mauvais exemple, oublie. soupirais-je avant de tirer sur son bras. Viens t'allonger au lieu de raconter de la merde.
- Langage monsieur Akrour, je veux pas de ça devant les jumelles.
- Promis maître Akrour.
Un large sourire se dessinait quand les joues de Nour devenaient rouge pivoine, alors que cette dernière se posait à mes côtés après que je lui aie fait un peu de place sur notre matelas. D'un bras, j'attrapais mon ordinateur que je calais sur mes genoux, faisant attention au "cachalot" qui prenait un peu toute la place.
J'étais prêt à dormir au sol même pour qu'elle ait tout l'espace dont elle avait besoin.
- J'ai fait un truc tout à l'heure au studio.
- C'est vrai ? je hochais de la tête. Il était temps, non ?
- Un son sur toi. du coin de l'œil, j'apercevais le visage de Nour tourné vers moi, ses yeux m'interrogeant sûrement du regard. Faut que tu me dises ce que tu en penses.
- D'accord... C'est un son, bien ?
- Nan, j'ai craché sur toi dessus, j'ai dit que j'étais le mec le plus malheureux de la Terre, que je m'étais marié à un sheitan et-
- C'est bon, j'ai compris. je rigolais devant l'air énervé de madame qui roulait des yeux. Je peux écouter ?
- Nan, je te l'ai dit comme ça, sans but derrière. Bah oui Nour que tu vas l'écouter.
- Tu fais chier Hakim.
Je retenais un éclat de rire quand Nour écrasait sa joue de l'autre côté de l'oreiller, pour que je ne vois plus sa tête, vu que dans tous les cas, elle ne pouvait pas se caler sur sa hanche à cause de son ventre de femme enceinte, de jumelles, et de six mois et-demi en plus.
Sans consulter la femme aux hormones désastreuses, je lançais la piste que m'avait filé Diabi après l'avoir un peu arrangé, à ma demande. J'avais été le seul à sortir du studio avec un fichier sur ma clé et, mis à part le beatmaker, personne n'avait écouté mon titre. Même s'ils avaient grave forcés pour l'entendre, j'avais refusé en bloc.
C'était une chanson pour Nour, y avait qu'elle qui avait le droit de l'écouter.
La mélodie emplissait très vite la pièce et je continuais de regarder ma brune qui ne sourcillait pas, toujours plongée dans son ignorance envers moi. Au fur et à mesure que la musique défilait et que les paroles semblaient prendre un sens pour elle, je voyais les bras de Nour se décroiser progressivement, jusqu'à ce que ses mains se posent sur son ventre, où je calais ma paume également.
Comme tous les soirs, nos deux p'tites filles faisaient vivre un calvaire à leur mère et, peut-être n'était-ce qu'une impression, mais j'avais cru moins sentir leurs coups de pieds, comme si la chanson les calmait quelque part. J'avais peut-être trouvé leur berceuse.
Tout dans la piste avait un rapport avec Nour. Que ce soit notre rencontre, son métier, son passé, notre relation, la façon dont j'étais amoureux d'elle, la manière qu'elle avait à chaque fois à me faire oublier le pire, notre passade avec sa FIV et là, sa grossesse.
"Ma place au Paradis, je la leur laisserai".
Sur cette phrase murmurée à la toute fin de la prod, j'arrivais à voir des larmes silencieuses, rouler une à une sur les joues de mon avocate. Elle avait beau les essuyer en essayant de renifler le plus discrètement possible, je cramais tout ce genre de comportement chez elle. Puis, quand ma piste rajoutée sonna dans la chambre, c'était à cet instant où elle explosa en pleurs.
J'avais demandé à Diabi de me mettre à la toute fin de la musique, l'extrait que j'avais pris lors de la première échographie, où on entendait le cœur de nos jumelles, battre à tout rompre et de manière régulière. Voilà la raison principale pour laquelle j'avais préféré ne faire écouter ce son à personne, il avait une connotation si intime que je ne souhaitais pas que n'importe qui ne l'entende.
Je voulais que ce soit la chanson préférée de Nour, qu'elle la mette en allant au travail, qu'elle la fredonne en étendant le linge et qu'elle la récite à nos filles pour qu'elles s'endorment, dans la cambre que j'avais pratiquement terminée.
On méritait ce bonheur égoïste.
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du coup comme j'avais prévenu dimanche dernier, il n'y aura pas de chapitre ce dimanche MAIS, la semaine prochaine vous aurez 4 chapitres au lieu de 3 (mardi, jeudi, vendredi et dimanche)
bon week-end à vous :)