Un lundi de décembre :
Tout en écoutant une vieille musique sur mon portable, je remonte l'allée de ma maison pratiquement en courant. Si je ne me dépêche pas, je vais rater mon car.
La neige de mercredi n'a pas tenu par chance sinon je ne pourrais pas me permettre tant de folie. Quoi qu'étant donné que nous sommes lundi, je doute que la neige aurait tenu jusqu'à maintenant. Dans le coin, la poudreuse n'est jamais tenace.
Quelques secondes après avoir levé les bras et crié pour qu'on m'attende, je monte dans mon car, dis bonjour au chauffeur puis vais m'installer à ma place habituelle.
Le trajet ressemble à tous les autres. Je manque même de me cogner contre le siège devant moi lorsque le chauffeur freine. Soudainement, le temps que mon portable diffuse une nouvelle musique, j'entends la voix haut perchée d'Alexandra et je lève les yeux au ciel.
Ah..., je ferais n'importe quoi pour ne plus voir cette imbécile ! Comme si la supporter en cours ne suffisait pas, il fallait aussi qu'elle habite pas loin de chez moi.... Je suis maudite.
Le week-end est passé à une vitesse folle. Ma mère ne m'a pas lâchée une seconde pour que je lui donne une réponse quant à ma participation pour l'audition de danse. Néanmoins, malgré ses nombreuses répliques, je ne me suis toujours pas prononcée, ce qui la rend un peu sur les nerfs.
En fait, pour être sincère, je dois avouer que j'ai surtout passé mon week-end à réfléchir à mon plan de vengeance vis-à-vis de Samuel. Oui, l'élève modèle a eu besoin de faire une pause dans son planning hyper-chargé pour une histoire de cœur.
Bon, ce qui est certain c'est que je n'irai pas à son mariage (ils me prennent vraiment pour une imbécile s'ils croient le contraire). Cependant, je compte faire comprendre à Samuel ce qu'il perd et ce qu'il n'aura plus jamais.
Anna m'a appelée le vendredi soir et nous nous sommes vues le samedi. Cela n'a pas semblé trop plaire à ma mère, seulement j'ai rappelé l'importance de la vie sociale dans la construction de l'identité psychique d'un adolescent et elle n'a pas su quoi répondre.
Mon amie m'a dit que je pouvais, l'instant de quelque temps, être remontée et vouloir me venger mais qu'il faudrait ensuite que la Perle réfléchie et studieuse remonte à la surface. Je suis d'accord avec elle car si je continue à sécher mes cours de danse et de musique le week-end prochain, mes parents font être furieux.
Lorsque je retrouve Anna dans le couloir, elle me fait un sourire et me fait signe d'attendre. Elle cherche quelque chose dans son sac puis en sort un livre :
— Tadam ! Voilà, je sais que tu ne veux pas le lire mais je te le file pour la semaine. Bon, je ne te force pas. Mais lis quelques passages tout de même, s'il te plaît. Je ne te demande pas d'y voir de la réalité mais des rêveries. Tu ne vas pas me dire que tu n'as jamais rêvé d'un garçon un peu rebelle hein ?
Je pense aussitôt au rêve de l'autre fois avec le nouveau et je rougis de honte. Avant qu'il n'arrive, j'aurais largement pu dire que rêver d'un garçon rebelle était inconnu pour moi. Seulement je ne peux plus l'assurer désormais.
Heureusement pour moi, Anna ne remarque pas mon visage en feu. Je m'apprête tout de même à dire à mon amie que c'est sans espoir lorsque je croise ses yeux de chien battu. Elle les a ronds mais en ce moment, je ne les vois presque plus tellement sa tête de supplice fonctionne.
Je lève les yeux au ciel.
— Je le prends mais ça ne veut pas dire que je vais le lire. Je ne lis pas quelque chose qui ne me tente pas ou qui ne m'intéresse pas !
Anna sourit et ne dit plus rien avant que le professeur arrive, à la bourre comme d'habitude. Il tient son sac dans la main et recommence son épisode de recherche de la bonne clé.
Lorsqu'enfin nous rentrons, les bavardages commencent. Je sors mon cours et quand il nous fait un schéma au tableau, je recherche un crayon à papier dans ma trousse. Je soupire car cela me fait repenser à la fois où le nouveau a cassé une de mes fourniture.
Soudainement curieuse, je regarde derrière moi. Ma colère disparaît en remarquant qu'il n'est pas là. Je me tords le cou pour voir s'il n'a pas choisi une autre place et j'en ai maintenant la confirmation. Soit le nouveau sèche, soit il arrête les cours ou bien il s'est fait virer.
Eh bien ! Il n'aura pas tenu longtemps.
***
Deux heures plus tard, alors que la sonnerie de la pause a retenti et que je me prépare à quitter la salle de cours, le professeur m'appelle :
— Perle, auriez-vous quelques minutes ?
Je me retourne et abandonne Anna qui quitte la salle de cours.
Tout en m'approchant du bureau du professeur de philosophie, je me demande ce que monsieur Cénal va encore inventer pour me convaincre de faire sciences politiques. Il n'en est pas à sa première tentative. Je crois qu'il a espoir de me faire céder grâce à la répétition.
— Je vais avoir besoin de vos talents mademoiselle, lance-t-il.
Cette annonce m'intrigue, aussi je hausse un sourcil et attends la suite :
— Je suppose que vous avez déjà entendu parler de l'altercation entre Maxime Grant et Victor Hark ?
Comme je ne réponds pas, le professeur se lève et donne un coup d'œil vers la porte. Lorsqu'il s'avance vers celle-ci pour la fermer, je sens la naissance d'une angoisse. Attendez, pourquoi monsieur Cénal va fermer la porte ?
Je sens mes doigts se figer sur l'anse de mon sac à dos.
— Monsieur Hark a été exclu pour trois semaines, sanction bien sévère qui aurait peut-être été revue à la baisse si Maxime n'était pas le fils du directeur. Enfin, je ne veux pas dire par là que je cautionne la violence, ne vous méprenez pas Perle. En temps que professeur de philosophie, je dirai tout le temps que la parole est la réponse la plus sage qu'une personne puisse apporter. Enfin, je crois que je m'égare un peu là, pardonnez-moi. Bon, je disais que monsieur Hark a été exclu pour trois semaines et puisque j'ai un imprévu de presque dernière minute, j'ai songé à vous.
Monsieur Cénal a pensé à moi ? Euh... Je ne sais pas comment je dois prendre cette information. Mes yeux inquiets glissent sur la porte qu'il a fermé et soudainement, la peur m'attrape.
Le professeur, aveugle à ma subite panique, continue :
— J'ai bien remarqué que Victor n'est pas si mauvais élève qu'il veut faire croire, cependant son retard de trois semaines risque de le mettre en difficulté. Déjà que ce transfert d'un lycée à un autre, en plein milieu d'année est compliqué, alors si on ajoute presque un mois d'absence de cours, j'ai bien peur que cela détruise ses chances d'obtenir son diplôme ! Et vous savez à quel point cet objectif compte à mes yeux, Perle.
Parce que je ne vois toujours pas où il veut en venir, je ne dis rien. OK, apparemment monsieur Cénal se soucie de l'avenir du nouveau. C'est étrange, mais je peux concevoir. Néanmoins, qu'est-ce que je viens faire dans l'histoire moi ? Je ne suis pas sa confidente.
Le point positif là-dedans, c'est que je n'ai plus peur du fait que mon professeur ait dit qu'il a pensé à moi ou bien qu'il a fermé la porte à clé.
— C'est pour cela que j'ai décidé, en toute confidentialité bien sûr, de donner des cours de tutorat à Victor afin de m'assurer qu'il garde le niveau jusqu'à sa reprise. Malheureusement, il se trouve que j'ai un contre-temps, je vais vous épargner les détails et je dirais simplement qu'avoir une femme enceinte n'est pas de tout repos. Enfin bon, qu'est-ce que je disais ? Ah oui, le tutorat ! Étant donné que je ne pourrais pas donner ce premier cours, j'aurais besoin de l'aide d'un élève de sa classe pour prendre des notes et être en mesure de lui expliquer les cours auxquels il ne pourra pas assister.
Non, dites-moi que c'est une blague ! Faites que j'ai mal compris, s'il vous plaît. Je vous en prie !
En même temps, vu comment monsieur Cénal fait un roman pour une simple et unique information, il est possible qu'il m'ait un peu perdue et que j'aie mal compris.
— Étant donné que vos résultats excellent et que vous êtes toujours à la recherche d'activités extrascolaires enrichissantes, je me suis dit que vous pourriez être la tutrice inter-niveaux de Victor. Enfin, pour ce mercredi uniquement, bien évidemment. Après, je prendrai la relève.
Ma surprise doit être apparente puisque monsieur Cénal me regarde, avec attention.
L'avantage, c'est que je comprends désormais pourquoi il a fermé la porte. Monsieur le directeur ne souhaite certainement pas de tuteur, de professeur ou qui que ce soit pour l'élève qui a battu son fils. Est-ce que ce que me demande le professeur n'est pas risqué ? Ne vais-je pas m'attirer la foudre si le directeur apprend ce que prévoit le professeur ? Est-ce légal d'ailleurs ? Oui, que dis-je ! N'importe qui peut donner un coup de main dans les études. Puis là, on ne parle pas de rémunération alors je pense que c'est clean.
Je ferme les yeux une seconde et le souvenir de la bagarre me fait trembler de peur. Qui n'a pas entendu parler de cette altercation ? Pire encore, j'ai pu y assister même si c'était de loin et tout ce que je peux dire, c'est que le nouveau n'est pas commode. Certes, peut-être arrive-t-il à s'initier dans mes rêves mais ça n'en fait pas moins de lui un type dangereux !
Je ravale ma salive, je ne peux pas être la tutrice d'un gars aussi brute que ce Victor, même si ce n'est que pour un mardi comme dit monsieur Cénal. Je ne veux pas me retrouver avec un œil au beurre noir parce que je lui ai demandé de faire un exercice. Puis de toute façon, j'ai un emploi du temps trop chargé.
— Je ne vais pas pouvoir monsieur, il se trouve que mon emploi du temps est très chargé entre la musique, la danse et les cours de violon que je donne plus les devoirs du lycée.
Monsieur Cénal semble embêté et se gratte la barbe, songeur.
— Je comprends Perle. Mais je suis embêté, car je pensais que vous accepteriez, c'est pour cette raison que je vous ai mis dans la confidence.
Va-t-il me sortir qu'il doit m'éliminer par conséquent ?
— J'ai déjà contacté Victor pour nous mettre d'accord sur une date et un lieu de rendez-vous, même si ça n'a pas été facile, je dois l'avouer. Seulement si je lui annonce désormais que je laisse tomber...
— Demandez à quelqu'un d'autre dans la classe. Ou un de vos collègues. En toute franchise, je pense que que ce soit moi ou un autre élève qui lui fasse parvenir les cours ne changera rien. Puis vous avez dit que vous prendrez la relève par la suite, alors je ne vois pas où est le problème.
Mon argument est infaillible et cela se confirme dans les yeux de mon professeur. Après un soupir de résignation, il part chercher quelque chose dans son bureau et je me demande si je peux partir ou pas encore.
Après quelques secondes, il ressort un dossier.
Oh non, il ne va pas enchaîner sur Sciences Politiques tout de même !
Soudainement, je réalise que je vais être en retard au cours suivant. Car la pause va prendre fin d'ici quelques minutes et qu'il faudra que je traverse tout le lycée pour rejoindre la salle de physique.
Monsieur Cénal me fait rater un cours et après il voudrait que je fasse suivre les devoirs au nouveau ?
— Je vous donne tout de même l'adresse de ce premier tutorat. Si jamais vous pouvez vous y rendre mercredi après-midi, je vous serais grandement reconnaissant. Ensuite, je vous promets de ne plus vous embêter. Je prendrai la relève dès le prochain cours de tutorat.
Je prends la feuille, la plie en deux et la mets dans mon sac. Je me retourne vers mon professeur de philosophie et lui dis au revoir avant d'ouvrir la porte et de m'engager dans le couloir.
Lorsque je vois Anna assise contre les casiers, l'absence de madame Pavière me revient en mémoire. Je n'ai pas physique, c'est vrai ! Je suis sauvée. Du moins sur ce point...
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NDA : C'est un chapitre qui a été casse-tête pour moi, car lorsque je l'ai écrit quand j'étais ado, tout me semblait facile. Puis quand je l'ai relu aujourd'hui, j'ai réalisé que rien n'était réaliste xD
Alors comment rendre une telle scène plausible ? Tel était l'exercice de la journée !
Bref, le prof de philo demande à Perle de donner un cours de tutorat à Victor, puisque monsieur Cénal ne peut pas se libérer pour le mercredi. Il abuse un peu ce prof, non ?