𝐞𝐯𝐚𝐧𝐞
𝐓𝐖 : 𝐂𝐑𝐈𝐒𝐄 𝐃'𝐀𝐍𝐆𝐎𝐈𝐒𝐒𝐄.
Les images de Marin me fonçant dedans me reviennent comme des flashs. Elles arrivent toutes au même instant, sans me laisser le temps de les analyser ou même de tout bien visualiser. Je m'arrête d'un coup, me massant les tempes et fermant les yeux. Cela n'arrange rien. J'aimerais que mon cerveau ne m'en veuille pas autant, au point de me faire remémorer les moments qui font le plus mal. Quelques souvenirs viennent s'entrechoquer avec ceux datant d'il n'y a pas longtemps. Ce n'est clairement pas le bon moment.
Je reprends une bonne fois pour toute ma respiration mais rien n'y fait : elle devient de plus en plus saccadée, au point où respirer est difficile. Ma tête être les mains, j'essaie de me calmer. J'essaie mais n'y arrive pas. J'essaie de penser à autre chose, sauf que tout vient petit à petit. Un banc est non loin, je m'y assois. Je pose mes coudes sur mes genoux et crie quelque chose que je ne comprends pas moi-même.
Le choc est puissant. Puis plus rien.
J'ouvre mes paupières, sentant une présence à mes côtés. C'est lui. Il est là, à ma droite. Il me sourit, me dit que tout va bien, que rien n'est grave.
Puis il disparait. Je veux le rattraper, le serrer dans mes bras. Je veux mais je ne peux toujours pas.
D'un coup, je tombe par terre, hurlant son nom. Seules les mouettes me répondent. Elles ont sa voix. Enfin, je crois. Quand je suis de nouveau maitresse de mon corps et de mon esprit, il me faut un moment pour me rappeler de ce qu'il vient de se passer.
Depuis quatre ans, ces crises se font de plus en plus fortes. Au début, ce n'étaient que de simples flash-backs. Maintenant, chaque instant de vie me met dans une nouvelle angoisse. Chaque personne que je peux croiser me fait me remémorer ce que c'était avant. Avant que ces deux minutes changent tout, à tout jamais.
Mais c'était avant et maintenant il faut que j'aille de l'avant. Cette phrase berce mes journées mais ne les impacte pas pour autant.
Le sourire provocateur de Marin m'apaise sans que je ne sache pourquoi. Ses fossettes qui se creusent, ses yeux bruns qui se froncent et ses boucles noisette brulées qui volent.
Il ne s'est même pas excusé. C'est ce qui tourne et retourne dans mon esprit à mesure que je marche vers la plage. Je lui en veux d'avoir fait naitre cette crise en moi. Il pensait peut-être que ce n'était rien, mais c'est bien plus que ça. Son comportement ne me plait pas malgré tout ce qu'il a pu comprendre, et je compte bien le lui montrer.
En quelques minutes, puis après de nombreux arrêts photos, j'aperçois enfin ma meilleure amie au loin, assise seule à même le sable, son regard vers la mer, comme toujours. Je souris immédiatement et tente d'accélérer, chose plus que dure sur le sable. À bout de souffle, je suis derrière elle. Kelly ne m'a toujours pas remarqué alors je la contemple et la trouve magnifique.
Kelly est ce que je suis fière d'appeler ma meilleure amie. On nous a souvent dit que les contraires s'attirent, mais qu'une blanche et une noire ne pouvaient pas se compléter. Parce que c'est bien comme cela qu'ils la nommaient, il y a quelques années. Elle était pour eux la noire de service, celle avec les cheveux volumineux dans lesquels on s'amuse à passer nos mains. Mais Kelly est bien connue pour ne pas se laisser marcher dessus. Elle les a vite remis à leur place, leur prouvant une nouvelle fois qu'ils ne sont pas supérieurs, eux, et leur couleur de peau basique terne.
Ce n'est pas une histoire comme on les voit dans les films à l'eau de rose où la fille timide devient badass du jour au lendemain. Mais l'histoire de Kelly, qui se rend vite compte que si ce n'est pas elle qui parle, personne ne le fera. Personne ne prendra sa défense, ni celle des personnes dans le même cas. Alors elle a haussé la voix, s'est levée et a dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Ce que certains n'osent pas avouer.
Dans le lycée, elle a mis en place, un système de boite à remarques. Chaque vendredi, au moment de la pause midi, elle lit les petits papiers dans la boite. Cette idée a pour seul but de faire passer les messages que nos camarades n'ont pas le courage de faire eux-mêmes véhiculer. Aucun règlement de compte ni aucune haine n'est autorisé.
Je suis on ne peut plus fière d'elle et de ses idées parfois farfelues mais qui mènent toujours à de grandes choses.
ᅳ Je sais que tu es là, Eva.
ᅳ Nan, ce n'est pas moi.
Elle rigole et je fais de même. J'aime le son de sa voix qui prononce ce surnom que seuls mes amis proches et ma famille peuvent me donner. Après toutes ces années à se côtoyer, ce n'est jamais le même frisson qui m'envahi quand sa voix se fait entendre, ni le même grain.
Je m'assois à ses côtés. Sur cette plage, sur laquelle nous passons presque toutes nos journées, qu'il pleuve, neige ou vente. C'est notre endroit, pas secret mais sacré. Kelly m'apprend que les garçons sont en train de surfer, malgré le froid qui commence, quand même, de jour en jour à se dissiper. Quelle que soit la température, nous pouvons être sûrs de les trouver sur ou sous l'eau. Avec soit une planche soit des palmes. J'aime passer du temps avec eux, seulement avec eux. À nager dans les eaux de l'océan ou après les nombreux poissons.
Abigaïl est en train de ramasser des coquillages, l'une de ses nombreuses passions avec la pluie, les jeux de cartes, la poterie, l'astrologie et tout ce qui se rapporte de près ou de loin à la lune et aux étoiles. Sur cette partie de la plage, ils peuvent être vraiment très beaux. Chez elle, elle en a une grosse collection dont elle prend le plus grand soin. Souvent dans de grands pots en verre ou classés par préférences. C'est l'une des choses que j'apprécie le plus chez Abi. Elle ne les classe pas par beauté, car elle aime bien dire que la beauté c'est subjectif, mais par préférences. Elles peuvent changer du tout au tout en quelques jours ou même heures.
Nous ne sommes jamais certains qu'une chose peut lui plaire alors ne prenons pas le risque de lui offrir quoi que ce soit dont elle ne soit pas au courant pour noël ou son anniversaire. À chacun de ses événements, nous privatisons, chacun notre tour, deux heures en sa compagnie à faire le tour des magasins avec comme seul but de lui dénicher un quelque chose qui fera chavirer son cœur.
ᅳ J'ai failli passer sous les roues d'un vélo tout à l'heure. Enfin bon, si ce con apprenait à se servir de ses yeux autrement que pour m'hypnotiser ça ne serait jamais arrivé. Ah et y'a une nouvelle famille qui vient d'arriver. Ils ont commencé leur tour du monde sauf que leur moteur n'était pas totalement partant, donc ils vont habiter ici le temps des réparations. La mère est juste incroyable, le fils est le psychopathe aux yeux hypnotisant et le deuxième fils je sais juste qu'il s'appelle Néréo. J'crois que c'est le nom d'un dieu marin dans la mythologie grecque, mais je ne suis pas sûre.
Kelly ouvre grand les yeux, me regardant avec stupeur alors que j'essaie tant bien que mal de reprendre ma respiration, après ce long monologue dont je ne voyais plus la fin.
ᅳ Attends, quoi ? Tu peux recommencer, s'il te pait ? Ah non en fait oublie, ça sera pire. Je vais faire en sorte d'avoir compris le principal.
Je lui explique à nouveau, sous ses protestations mais cette fois, je fais les choses bien. Sur le sable, je dessine la scène et fait son portrait ainsi que celui de sa vie et de son bateau – même s'il est de loin identique à tous ceux qu'on peut voir sur la mer ou au port. Ma meilleure amie en rigole et je lui jure que je ne risque pas de me faire marcher sur les pieds.
ᅳ Oh oui, je sais de quoi tu es capable, ne t'inquiète pas, se moque-t-elle en me bousculant.
ᅳ Ce n'est qu'un touriste qui est là pour quelques temps. Pas besoin de s'attarder sur lui, je ne risque pas de le revoir. De toutes manières, rien en lui ne me pousse à cela.
ᅳ Si c'était vrai, tu n'aurais pas ajouté cette phrase.
Je voulais ajouter quelque chose, mais ce qu'elle vient de me dire me coupe la parole. Mes pensées au moment où je l'ai rencontré me traversent l'esprit. « La haine est la meilleure solution dans notre cas, Marin. », j'ai choisi cette option pour ne pas m'attacher à lui. Quoi que je dise, je m'en rappelle plus que bien.
C'est peut-être cette décision qui me met dans cette position maintenant. Parler de lui comme si c'était l'être humain le plus dangereux sur terre pour ne pas penser au fait que l'attachement puisse, envers lui, un jour être plausible. Car c'est bien ça le problème. Il est fort possible que ce soit le cas. Surtout depuis quatre ans. Mais ce n'est pas la question et ça ne le sera jamais. Je m'en fais la promesse aujourd'hui.
Aucune de nous n'ajoute quoi que soit, notre regard allant à l'unisson vers les vagues qui s'échouent sur le sable. Je distingue entre ces dernières Célian et Loyan. Je crois même les entendre crier et aperçois Lian qui me fait un coucou. Puis au bout de plusieurs minutes, Abigaïl revient de sa quête, de nombreux coquillages tous plus beaux les uns que les autres entre ses doigts. Certains sont basiques, d'autres plus originaux mais surtout aucun d'eux n'est identique à l'autre. Ils ont tous un petit truc en plus qui l'a fait craquer pour eux. Quelque chose de presque invisible de notre point de vue, mais qui quand on est du sien, devient normal. Ses yeux ne sont pas les mêmes que les nôtres et ceux depuis bien longtemps.
Elle les étale tous sur la serviette qu'elle sort de son sac à dos. Ebahies devant ses trouvailles, nous passons les prochaines minutes à tout observer. Elle m'en donne un, mon coup de cœur de la journée comme elle aime bien l'appeler. Apres ça, elle abandonne complètement ce que nous sommes en train de faire et nous regarde droit dans les yeux – enfin du moins essaie.
ᅳ Je me suis fait un nouveau tatouage, lâche-t-elle, normalement.
Avec Kelly, nous nous regardons, sachant exactement ce que cette œillade veut dire.
ᅳ Ça veut dire mère et fille en chinois, nous informe Abigaïl en dévoilant son poignet intérieur gauche.
En caractères gras, deux signes sont inscrits à tout jamais sur sa peau. Ces deux mots qui signifient beaucoup pour elle.
On parle de cette nouvelle, de pourquoi avoir choisi cette langue au lieu d'une autre. Abi nous dit que peu de personne parlent chinois et que donc seuls ceux au courant de ce tatouage savent ce qu'il veut réellement dire et la signification la concernant.
ᅳ Si je devais m'en faire un, je commence, je pense que ça serait « at least we're under the same sky ». Seulement parce que cette phrase est si juste et si représentative. Pas que pour moi mais pour tout le monde.
ᅳ Et un jour tu l'auras. On l'aura tous. Comme un signe d'amitié éternelle.
ᅳ Jamais mes parents me le permettront, je lui fais remarquer, un rictus sur mes lèvres.
ᅳ Tu es bientôt majeure, dans moins de deux mois ce n'est plus un problème.
Kelly se crispe. Elle n'aime pas cette idée et je le sais. Mais la vie est bien trop courte pour ne pas en profiter à fond.
Je me frotte les bras, de froid. La température commence à chuter, comme chaque jour à ce moment de la journée. Avant même que je ne puisse dire bonjour aux garçons, je dis aux filles que je pars. On écrit un « à demain » sur le sable, espérant que ça ne s'efface pas.
Chacune avec un chemin différent, nous rentrons chez nous, ne manquant pas de s'envoyer un message quand nous arrivons pour se rassurer mutuellement. Je me jette sur mon lit après avoir pris un livre dans ma bibliothèque. Celui-ci a déjà été lu mais je m'en contre fiche. Les histoires, nous les voyons différemment en grandissant. La lecture en est la preuve. Un livre peut être perçu d'une manière ou d'une autre en fonction de la personne. Aucun être ne ressent les mots et les sentiments pareillement.
C'est ceci qui fait la magie de cet art. Et c'est pour ça que c'est celui que je préfère.
bonjour à tous :)
j'espère que vous avez passé une bonne journée, mais surtout que ce chapitre un peu sorti de nul part, vous a plu !
qu'en pensez-vous ?