Lindsey
Elle maîtrisait de mieux en mieux ses pouvoirs. Il faut dire qu'elle enchaînait les heures d'entraînement avec Aitor depuis son arrivée à Paris. Elle mesurait l'immensité de ses capacités, mais ne parvenait qu'à en utiliser une partie. Elle savait qu'à la mort de l'actuel troisième membre des Trois Sages, elle hériterait de tous ses dons afin de le remplacer. Son destin était tout tracé.
— Tu as vraiment fait des progrès, je suis fier de toi Lindsey. Je vais pouvoir partir apaisé, je sais que mon héritière assurera grave, c'est bien comme ça que vous parlez les ados ? annonça Aitor en se redressant pour se tenir droit alors que son dos craquait bruyamment.
La jeune fille éclata de rire face aux mots employés par l'homme devant elle. Aitor avait des yeux noisette, des cheveux noir-ébène et une moustache de la même couleur. Rien qu'avec sa présence, il imposait un grand respect. Comme elle, c'était un loup-garou, mais vieux depuis des millénaires.
— Merci, monsieur, je ferai de mon mieux.
Elle sourit, un peu nerveuse et excitée. Dans quelques heures, elle allait revoir tous ses amis, et surtout Lya. Cette dernière se portait bien et elle avait réussi sa transformation en lycanthrope, Derek l'ayant mordue pour la secourir de son rejet de vampire. Elle et Isil étaient parvenues à trouver la solution pour le sauvetage en express de Lya.
Il s'était passé tellement de choses étranges avec les rêves d'Isil. Elles avaient découvert le portrait de la femme qui lui rendait visite, une certaine Alouqua. Lindsey n'avait pas pris le temps d'y réfléchir pour résoudre toutes ces énigmes.
Et surtout, elle allait revoir Blake, il lui avait tellement manqué. Comment allaient-ils réagir quand ils se retrouveraient ? Est-ce qu'ils se feraient la bise ou bien allaient-ils s'embrasser comme lors de son départ pour Paris ? Rien que d'y penser, elle avait les joues qui s'empourpraient.
Aitor arriva vers elle et lui tendit sa main en signe d'au revoir. Lindsey découvrit un tendre sourire sur les lèvres du vieil homme et la lui serra. Il se produisit, comme à leur première rencontre, une explosion de flammes qui les entouraient. C'était chaud, mais pas abrasif, doux et agréable. On ressentait une odeur de bois fumé, identique aux maisons avec les cheminées d'autrefois. La jeune louve ferma les yeux en silence, en priant pour arriver à surmonter cette étape. Ce n'était pas un au revoir, mais un adieu, il allait mourir. C'était un peu comme un rêve de se retrouver ici avec lui, de découvrir un homme dur, mais avec un cœur en or. Mais sa fin arrivait à grands pas, il ne s'en préoccupait pas trop.
Des larmes perlèrent au coin de ses yeux, n'ayant pas rompu le contact physique avec le Sage. Maintenant, elle pleurait fortement, elle s'était attachée au vieux monsieur. Aitor eut un sourire triste et écarta les bras pour qu'elle s'y loge. Lindsey n'hésita pas, elle le considérait comme son deuxième grand-père. Il ouvrit la bouche et la referma comme s'il cherchait sa voix, il tremblait légèrement.
Lorsque leur étreinte se termina, l'adolescente renifla tandis qu'elle ne trouvait pas ses mots. Que pouvait-elle dire de plus ? La vie pouvait parfois s'avérer inexacte et cruelle.
On n'y pouvait rien.
— Allez jeune fille, tu dois rentrer. Je t'ai transmis toutes mes connaissances et je sais que tu seras encore plus puissante que je ne l'ai été.
— Merci pour tout...
— Et n'oublie pas, je serai toujours avec toi au travers des flammes.
Elle hocha la tête, émue, et ils sortirent tous les deux de la salle d'entraînement.
Trois jours étaient trop courts à Paris, elle aurait aimé rester au moins une semaine entière voire un mois pour devenir plus forte et assister à la mort d'Aitor, pour le soutenir. Qu'allait-elle ressentir lorsqu'il monterait vers les étoiles ? Elle allait acquérir ses pouvoirs, mais était-ce douloureux ? Ou au contraire agréable ?
— Je t'attendrai devant la porte. Tu peux aller chercher tes valises, ajouta le vieil homme avant de disparaître dans les couloirs, d'un pas clopinant.
Lindsey l'observa d'un œil et se hâta en direction de sa chambre. Enfin, elle allait retrouver son lit à Shaun Cohen et surtout ne plus jamais dormir avec cette folle d'Isil. En plus de ses cauchemars nocturnes, elle était somnambule. Une vraie psychopathe.
Non, je suis injuste avec elle... Elle était venue me consoler lorsque j'avais été kidnappée par l'horrible bande d'Alastor, je devrais me montrer un peu plus sympathique. Elle est dure, mais n'a pas un cœur de pierre comme elle essaie de le faire croire.
Elle entra une fois la porte dénichée et tomba sur sa camarade, installée sur son lit en train de regarder un film sur son téléphone portable. Sa longue chevelure blonde glissait en cascade sur ses épaules. Elle tourna la tête et ses pupilles azur se firent ténébreuses.
— Non, mais tu pourrais frapper quand tu rentres... Combien de fois va-t-il falloir que je te le répète pour que tu le fasses ? Et si j'avais été à poil ! articula Isil avec horreur en écarquillant les yeux.
Lindsey lui lança un regard sceptique, toujours aussi désagréable cette fille. Elle devrait se faire interner avec ses sautes d'humeur.
Isil Dixon était la « garce » du lycée et s'en portait plutôt bien. Elle était détestée de tous.
— Tu es une nana tout comme moi, ça ne m'aurait pas choquée. Dépêche-toi, tout le monde nous attend dans le hall principal. On rentre chez nous.
— Pas choquée, mais ébahie quand tu aurais vu les jolies courbes d'une vraie femme.
L'Écossaise grinça des dents tout en ignorant royalement cette provocation. Elle avait appris au fil du temps passé avec Isil, qu'il fallait mieux ne pas répondre.
C'est ce qui se produisit quand Lindsey descendit la valise de son lit. Elle avait pris de l'avance en la faisant le plus tôt possible pour ne pas être en retard.
Isil ronchonna dans sa barbe en jetant sa crinière par-dessus ses épaules, une fois debout. Sans aucune motivation, elle entassa ses vêtements dans son bagage.
La jeune louve observa son téléphone portable, elle n'avait aucun message. Ni de Lya ni de Blake. Pourtant ils conversaient ensemble toute la journée. Une envie folle de crier de joie la prit, elle avait tellement hâte de rentrer et retrouver tout le monde !
Isil semblait penser la même chose, cet endroit ne lui plaisait guère. En même temps, elle avait passé la plupart de son temps dans la chambre à regarder des vidéos ou à se renseigner sur cette fameuse Alouqua dont personne ne connaissait réellement l'identité. Et les livres ne lui avaient rien appris non plus. Comme si cette femme n'était qu'un mirage.
Lindsey se dirigea vers la porte d'entrée d'un pas enjoué, perdue dans ses pensées. Tout à coup, elle sentit des doigts brûlants se poser sur son épaule d'un mouvement brusque. La jeune fille sursauta et glissa la main sur son cœur pour en calmer les battements frénétiques. Isil l'observa d'un regard mauvais, ses pupilles noircissant.
— Non, mais tu es folle ou quoi ? J'aurais pu faire une crise cardiaque, admit l'Écossaise alors que la colère déformait sa voix.
— Lindsey. Tout ce que nous avons dit entre ces quatre murs doit le rester. Je ne veux pas que les autres apprennent pour mes rêves, personne. Il y en a déjà assez de ta bande d'idiots qui le savent. Tu as bien compris ? Sinon je me ferai un malin plaisir de balancer ton secret.
Elle observa sa camarade d'un air exaspéré, bien sûr qu'elle allait tout garder sous silence. Elle repoussa la main d'Isil et soupira.
— Tu me connais vraiment mal. Si tu avais pris ne serait-ce qu'un peu de temps pour apprendre à le faire tu te serais rendu compte que jamais je ne ferais une chose pareille. Je suis muette comme une tombe et mes amis ne sont pas idiots.
La jeune fille sortit de la chambre, cette fois-ci d'un pas rageur. Elle se sentit blessée par le fait que sa camarade avait ce genre d'accusations à son encontre. Elle n'était pas comme ça !
Lindsey déambula avec sa valise dans le couloir, elle arrivait à se repérer plus facilement grâce aux jours passés ici. Et lorsqu'enfin elle atteignit le hall principal, Isil la suivait, ses chaussures à talon claquant sur le sol. Elle ne pouvait pas porter des baskets comme tout le monde ou était-ce un fashion faux pas ?
Un groupe était rassemblé devant la grande porte, Lindsey se faufila entre toutes les personnes et rejoignit son grand-père. Il avait son kilt le plus coûteux et avait coiffé ses cheveux poivre et sel en arrière. Il posa alors ses yeux noisette sur sa petite fille et sourit de fierté.
— Tu es prête, ma chérie ? Nous rentrons en Amérique.
Elle acquiesça et concentra son regard vers la sous-directrice et prof de sport ; Asha. Celle que tout le monde considérait comme effrayante et un véritable tyran. L'opposé d'Aggur. Son caractère n'empêchait pas sa beauté renversante. Elle avait coiffé ses longs cheveux blonds en tresses sur le côté, et ses yeux de couleur émeraude en enchantaient plus d'un. Toutes les créatures surnaturelles possédaient des atouts physiques pour charmer leur proie et les attirer plus facilement dans leur filet. Asha était un vampire et son prénom voulait dire « espérance en Indien » ce qui lui donnait une certaine sagesse.
Elle discutait avec animation avec Aitor. Tous semblaient peinés par leur départ et le cœur de Lindsey se serra. Tous les employés travaillant ici étaient adorables, mais elle savait qu'un jour, elle les retrouverait.
L'adolescente se perdit dans ses pensées alors que tout à coup le tonnerre gronda au-dessus de leurs têtes. Si fort que ses tympans auraient pu se briser, tous semblaient effrayés. Que se passait-il ? Et pourquoi, là ? Il faisait très beau tout à l'heure...
La pluie s'abattit avec puissance contre le toit, résonnant dans la pièce entière. Tout le monde resta silencieux, les lèvres pincées.
Asha fut la première à réagir et, à pas de géant, franchit les derniers mètres jusqu'à la porte d'entrée qu'elle ouvrit d'un coup sec. On était en fin de soirée à Paris et pourtant... il faisait nuit noire. La nuit tombait dans au moins une heure et demie... Une tempête déferlait, faisant voler des poubelles ainsi que quelques objets inconnus.
Un mauvais pressentiment s'installa en Lindsey quand elle s'approcha de la sortie pour rejoindre sa professeure. Il y avait un froid glacial et la pluie tentait de rentrer dans la pièce.
Asha claqua la porte d'un coup, luttant contre une force invisible. Elle ouvrit la bouche, puis la referma comme si elle cherchait ses mots. Puis elle s'adressa à l'assemblée :
— Je crois que nous n'allons pas pouvoir rentrer chez nous avant un petit moment.
.