You Don't Know - Katelyn Tarver
Mercredi 13 Octobre 2021
Lycée Public de Coral Springs High
Dans les couloirs, je fusille absolument tout le monde du regard. Pour moi, ils sont tous responsables de l'absence de Casey. Si elle ne vient pas aujourd'hui, c'est parce qu'elle a peur de les affronter, eux et leur stupide jugement. Le cœur battant la chamade, je réfrène l'envie de mettre mon poing dans la figure d'April quand je la vois arriver vers nous.
Nell soupire dans mon dos et Maxine cache le cookie qu'elle venait de sortir de son sac dans la poche de sa veste. April s'arrête devant moi et croise les bras sur sa poitrine en me toisant d'un air dédaigneux.
- Alors, déjà célibataire ? siffle-t-elle de sa voix perçante.
- Je ne sais pas qui sont tes sources mais elles ne sont pas fiables.
Je range dans mon casier un manuel dont je n'aurais pas besoin avant demain, tentant d'ignorer la présence désobligeante de la cheerleader.
- T'es contente, j'espère ?
- Contente ? répétai-je.
- Oui. Tu nous as fait perdre l'un de nos meilleurs éléments en la contaminant de ta dégoûtante obsession pour les femmes.
Je claque la porte de mon casier et me tourne vers April. Pour tenter de garder mon calme, je mords l'intérieur de ma joue en me répétant que je ne dois pas m'attirer de problème dès le début de l'année.
- J'arrive pas à croire que tu puisses être aussi fermée. Tes parents t'ont jamais appris le respect ? grommelai-je.
- Du respect ? Je t'en dois pas, je pense. Et j'en dois encore moins à cette traîtresse de Casey. Elle peut bien crever pour ce que j'en aurais à faire.
Mon sang ne fait qu'un tour et la colère atteint son maximum. Mon poing percute le visage d'April avant même que je n'ai le temps de respirer. Hors de moi, je la pousse violemment alors qu'elle tient son nez endolori en gémissant.
- Petite conne !
Je m'apprête à lui en remettre une mais Nell m'attrape et me force à reculer.
- Adelaide ! Viens avec moi, s'il te plaît, déclare-t-on.
Mon visage se décompose lorsque j'entends la voix de la proviseure. La main douloureuse après le coup porté à April, je me libère de l'emprise de ma meilleure amie pour rejoindre la mère de Casey.
- Que quelqu'un accompagne April à l'infirmerie. Le reste, dispersez-vous et allez en cours.
- C'était un super coup, murmure Nell dans mon oreille avant de s'éloigner.
Max lève les deux pouces en l'air, semblant confirmer les dires de Nell.
Silencieuse, je suis la proviseure jusqu'à son bureau.
- Assieds-toi, Adelaide. Est-ce que tu veux un thé ? me propose-t-elle alors que je prends place face à elle.
Je fronce les sourcils, interloquée.
- Oh, tu n'auras pas de gros problèmes à cause de cette altercation, ne t'en fais pas. En fait, je te cherchais pour te parler. Disons que je n'ai rien vu sur ce qu'il s'est passé dans les couloirs, d'accord ?
- Euh... D'accord.
Ne sachant pas ce qu'a dit Casey à sa mère, je n'ose pas lui demander comment elle va. Je tape nerveusement les doigts de ma main gauche sur ma cuisse.
- Tiens, mets ça sur ta main, déclare MacGarden en revenant dans la pièce après être partie chercher une poche de glace.
- Merci.
- Bon, Adelaide, j'imagine que tu as une petite idée de la raison pour laquelle tu es ici ? sourit-elle.
- Hum... Ça concerne Casey ?
Sa mère hoche la tête et s'installe en face de moi. Elle reste silencieuse, comme si elle attendait que je prenne la parole. Angoissée par l'absence de dialogue entre nous, c'est ce que je finis par faire :
- Est-ce qu'elle va bien ? Elle n'a répondu à aucun de mes messages.
- Elle n'a pas voulu se lever pour aller au lycée. Tu sais, Adelaide, je me souviens de ce que tu as subi il y a deux ans. Et je me souviens aussi d'avoir beaucoup pensé à tes parents. Je n'osais pas imaginer à quel point c'était dur pour eux de voir leur fille dans cet état. J'étais soulagée que Casey ne vive pas ça, rien que d'imaginer ma fille victime de harcèlement me rendait malade.
Je baisse la tête, honteuse. Sans moi, Casey ne subirait pas tout ça.
- Je ne veux pas t'accabler, Adelaide. Ce n'est pas ta faute si les gens sont fermés d'esprit. Je sais que tu fais ce que tu peux pour défendre Casey et je t'en suis reconnaissante.
- Merci, Madame. J'aurais voulu avoir le temps et le courage d'en discuter avec elle avant qu'elle ne décide qu'on s'affiche. J'aurais dû lui parler et la prévenir que ça ne se passerait sûrement pas bien. Je voudrais retourner en arrière et pouvoir empêcher cette vague de haine qu'ils ont déchaînée sur elle.
Je m'arrête lorsque je surprends la proviseure à sourire.
- Tu tiens beaucoup à elle, n'est-ce pas ? me demande-t-elle soudain.
- Oh, euh... Oui, évidemment. J'aime beaucoup Casey. J'aimerai pouvoir faire beaucoup plus pour l'aider.
- Je suis heureuse que ma fille ait trouvé quelqu'un de bien qui s'inquiète pour elle et qui veuille la rendre heureuse.
- C'est tout ce que je souhaite, Madame. Vous pensez qu'elle viendra demain ?
- Cela dépendra de son état, je ne veux pas qu'elle se rende malade à cause du lycée. Cependant, l'absentéisme pendant votre dernière année, ça risque de faire tâche dans son dossier alors elle sera obligée de revenir à partir de lundi.
Un soupir passe mes lèvres. Comment aider Casey à supporter la connerie des autres ? Il m'a fallu tellement longtemps avant de m'y faire. Casey n'a pas ce temps. Il faut qu'elle retourne en classe si elle veut avoir toutes ses chances avec de bonnes universités.
- Tu veux bien me rendre un service, Adelaide ?
- Bien sûr. Lequel ?
- Quand tu auras terminé les cours, passe à la maison et reste un peu avec elle. Je sais qu'elle n'a pas été très agréable avec toi hier mais s'il te plaît, va la voir. Elle a peur et elle ne sait pas comment gérer le regard des autres. Je crois que ça lui ferait vraiment du bien que sa petite-amie vienne lui tenir compagnie quelques heures.
- Avec plaisir, Madame ! m'exclamai-je avec peut-être un peu trop d'entrain.
Rougissant, je mords ma lèvre en entendant la proviseure rire. Elle me tend une clé et se lève.
- La porte de la cuisine, à l'arrière de la maison. Le portail sera ouvert. Casey a éteint son téléphone pour ne plus voir les messages haineux, elle ne te répondra certainement pas alors pas la peine de l'appeler. Merci de prendre soin de ma fille comme tu le peux, Adelaide.
- Merci à vous, Madame.
- Quand nous sommes seules, tu peux m'appeler Penelope.
J'acquiesce et quitte le bureau pour rejoindre la salle de mon prochain cours. Un sourire étire mes lèvres à l'idée d'aller voir Casey.
***
Le silence règne dans la maison de Casey lorsque j'y pénètre. Après avoir enlevé mes chaussures et refermé la porte, je me dirige à l'étage. Sur la droite du couloir, les lettres peintes en beige sur la porte m'indiquent qu'il ne s'agit pas de sa chambre. La porte de gauche est, elle, bien marquée du prénom de ma petite-amie.
Respirant lentement, je frappe une première fois contre le bois et attends une réponse. Je réitère après un silence de quelques secondes et la voix de Casey s'élève :
- Si tu n'as pas rapporté de céréales, tu n'entres pas, Sam.
Retenant un sourire face à son ton grognon, je pousse la porte, laissant entrer un faisceau de lumière dans la pièce. Je devine sans mal la forme du corps de Casey, affalée sur son lit, la couette rabattue au-dessus d'elle.
Je m'approche et m'assois au bord du lit.
- T'as mes céréales ? râle-t-elle.
- Non. Désolée. Mais je peux aller t'en chercher si tu veux, murmurai-je.
Casey retire sa couette et me fixe, les yeux écarquillés.
- Addy ? Qu'est-ce que tu fais là ?
- Ta mère m'a donné la clé de la porte arrière pour que je puisse venir te voir. Alors, vous avez des céréales ou il faut aller en acheter ? demandai-je sans oser initier un quelconque contact entre nous.
Elle me regarde comme si je venais d'une autre planète et ses lèvres se mettent à trembler alors qu'elle enfonce sa tête dans l'oreiller.
- Eh, je vais aller te chercher des céréales, ok ? On pourra regarder la télé ou parler après.
- Addy...
- Oui ?
- Pardon. S'il te plaît, je te demande pardon, chuchote Casey en serrant les poings autour du drap.
Incapable de résister plus longtemps, je m'allonge à côté d'elle et la prends dans mes bras. Je n'ai jamais été le genre de personnes qui arrive à remonter le moral des autres, ça, c'est plutôt Nell qui le fait. Surtout avec moi. Sans elle, je ne sais pas trop où je serais en ce moment.
- Tout va bien, Casey. Je sais combien c'est dur. Mais je te promets que tout ira bien.
Elle s'accroche à ma taille et relève la tête vers moi, les yeux larmoyants. J'embrasse son front et m'écarte pour aller lui chercher des céréales. Je reviens quelques minutes plus tard après avoir galéré à trouver un bol et découvre Casey, le regard rivé sur mon téléphone.
- T'en reçois aussi ? murmure-t-elle.
- Ne lis pas ça. C'est inutile, ils sont tous cons. Tiens, le déjeuner de Madame est servi.
- Merci.
Elle se décale et soulève la couette pour que je me glisse à l'intérieur.
- Tu nous as mis en fond d'écran, c'est mignon, remarque-t-elle.
- Ce rencard était incroyable. Je l'ai adoré.
- Moi aussi.
Casey pose sa tête sur mon épaule en piochant dans le bol posé sur le matelas. Attendrie, je caresse du pouce l'image figée sur l'écran de mon portable. Je suis face à l'objectif, les yeux fermés, alors que Casey n'a d'yeux que pour moi. Je ris aux éclats alors qu'elle mord doucement ma joue au lieu de l'embrasser comme convenu.
- Quelle sauvage, commentai-je.
Son rire fait vibrer mon corps.
- T'étais à croquer, plaisante-t-elle en retour.
Je lui tire la langue et éteins mon téléphone, le posant sur la table de nuit pour qu'on ne soit pas dérangé par la multitude de notifications de mon fil Instagram ou des idiots ayant récupéré mon numéro.
- Tu as envie de parler ? suggérai-je.
- Hum... Tu m'en veux ?
Son ton incertain me serre la poitrine. Et je déteste encore un peu plus les gens coincés de notre bahut qui la pousse à avoir de telles pensées.
- Bien sûr que non, Casey.
- J'ai été nulle avec toi.
- Non. Casey, tu peux pas dire ça.
- Si, je t'ai ignoré et je t'ai super mal parlé alors que tu me défendais.
Maudissant le lycée d'exister, je ramène mon bras autour des épaules de Casey et la pousse à s'appuyer contre moi. Ma main perdue dans ses cheveux, je contemple le plafond un instant, ne sachant pas vraiment quels mots employer pour la rassurer.
- J'ai essayé d'ignorer leurs moqueries et de pas les laisser m'atteindre, explique Casey. Mais ça me tordait le ventre de savoir qu'ils me regardaient comme un monstre partout où j'allais. J'en pouvais plus d'entendre leurs insultes. Et hier, j'ai vraiment eu l'impression d'être au fond du trou. C'était comme si mon cerveau me hurlait que tout le monde était contre moi. Alors même si mon cœur me disait que tu étais avec moi, j'arrivais pas à l'écouter. J'entendais juste les signaux d'alerte dans ma tête qui me criaient de partir loin de tout et de tout le monde.
Savoir qu'elle se sent comme je me suis sentie en onzième année me brise le cœur. Je ne souhaite à personne de vivre ce que j'ai vécu, surtout pas à elle. Pas à Casey. C'est la fille la plus incroyable au monde. Elle est gentille, serviable et prête à tout pour ceux qu'elle aime.
***
Fier de sa victoire au Cluedo, mon frère quitte ma chambre en sifflotant. Nell s'effondre sur mon lit, dépitée d'avoir perdu. Je l'observe quelques secondes dans l'espoir de trouver les mots pour formuler la question qui me taraude l'esprit depuis un moment.
- Accouche, Addy.
- Tu es fâchée contre Casey ?
Ma meilleure amie se redresse en soupirant et tapote la place à côté d'elle.
- C'est pas que je suis en colère contre elle, je sais que c'est vraiment pas facile de vivre ce qu'elle subit au lycée. Mais la façon dont elle s'est comportée avec toi ne m'a pas plu. Je veux dire, déjà qu'elle t'a même pas demandé avant de révéler votre couple, elle peut pas te remettre la faute dessus comme ça, avoue Nell.
- Je comprends. Tu sais, je lui en ai un peu voulu aussi de pas m'avoir demandé sous prétexte que j'étais déjà out auprès des autres. Mais Casey fait du mieux qu'elle peut, elle essaie et parfois, elle se trompe. Elle tient vraiment à moi, je te le jure.
- Addy, je sais qu'elle tient à toi. Elle te regarde comme si elle n'avait jamais vu une fille aussi belle avant. C'est limite si elle n'a pas des cœurs dans les yeux quand elle te voit.
- Tu lui en veux pas, alors ?
- Nan. Enfin, je compte quand même lui botter le cul pour la façon dont elle t'a traité hier.
Je ris et lui frappe le bras en me levant pour récupérer la boîte du Cluedo. Je range rapidement le jeu et sursaute lorsque le son d'un appel Skype s'échappe de mon pc. Nell l'attrape et répond avant même que je n'ai pu bouger.
- Salut, Casey ! Tu te sens mieux ?
- Oui, beaucoup mieux. Addy est dans le coin ? demande ma petite-amie.
- Juste là ! m'exclamai-je en surgissant devant l'écran.
Casey a bien meilleure mine que lorsque je suis allée la voir. Ses cheveux encore humides gouttent sur ses épaules alors qu'elle les a redressé sur sa tête avec une pince. Je ne peux m'empêcher de sourire en remarquant les petites taches de crème contre l'acné sur son visage.
- Tu voulais me demander quelque chose ?
- Hum... En fait, je sais pas trop quoi choisir comme club, je me suis dis que tu pourrais m'aider, avoue-t-elle en levant les yeux de la feuille sur laquelle elle griffonne.
- Un club ? répète Nell.
- Oui. On est obligé de s'inscrire dans au moins un alors...
- Mais tu fais partie de l'équipe de cheerleading, Casey !
- Plus maintenant.
Je baisse les yeux en entendant Nell s'énerver face à cette injustice.
- C'est pas grave, je suis sûre que je peux en trouver un qui me plaît.
- Non ! Tu vas revenir dans l'équipe ! Il est hors de question qu'April continue de régner !
- Nell, calme-toi. On peut rien faire, d'accord.
- Addy a raison, la composition des clubs doit se gérer entre les élèves, ma mère ne peut pas intervenir.
- C'est stupide ! Ils peuvent pas laisser faire ça ! C'est de la discrimination !
J'attrape le bras de Nell et obtiens son attention.
- Écoute, c'est dur pour elle alors n'en rajoute pas, Nell, murmurai-je.
Ma meilleure amie roule des yeux et croise les bras en s'appuyant contre mon lit. Je frémis en voyant l'air confus de Casey. Elle ressemble à un enfant que l'on s'apprête à gronder pour une bêtise.
- Tu aimes la photo, non ? Tu pourrais rejoindre mon club ! On est que cinq et ils sont tous vraiment gentils, proposai-je.
Excitée à l'idée de partager ça avec elle, j'attends avec impatience sa réponse.
- Ça semble être une bonne idée. Tu es sûre que ça ne leur posera pas de problème ? s'inquiète Casey.
- Certaine ! On ira porter ta fiche lundi, souris-je, ravie.
Après avoir discuté encore une bonne heure avec Casey, je lui souhaite une bonne nuit et repose mon pc sur mon bureau pour me glisser sous la couette et récupérer les heures de sommeil qui m'ont manqué ces deux derniers jours.