𝕳𝖆𝖐𝖎𝖒
MAI 2023
En l'espace de deux semaines, ma vie avait à nouveau basculé drastiquement. Je pensais bien n'avoir jamais vécu pareille sensation de joie en voyant un gardien se placer devant ma cellule, m'annonçant que j'avais finalement été reconnu non-coupable des chefs d'accusation qui m'avaient amenés derrière des barreaux.
Deux semaines s'étaient écoulées depuis le procès et j'avais été en attente constante du verdict, qui était arrivé par courriel et non délivré directement dans la salle d'audience. Quatorze jours où j'avais vu ma miff passer me faire un coucou et me donner de l'encouragement pour tenir. Trois-cent-trente-six heures qui avaient défilé, me laissant imaginer les pires scénarios avec ma carcasse pourrissant au fond de l'enclos à bétail où je me trouvais.
Vingt mille cent soixante minutes de remise en question et surtout, d'angoisse à m'en faire tenir debout éveillé la nuit, préférant la journée pour fermer les yeux.
Et surtout, un million deux cent neuf mille et six cents secondes sans que mon regard ne croise celui de Nour.
Je n'avais plus de nouvelles d'elle, elle n'était même pas venue une fois au parloir en ces deux semaines pour prendre la température sur mon état. Elle ne répondait même plus au téléphone le soir et je me retrouvais comme un con à écouter inlassablement sa messagerie me répétant qu'elle n'était pas dispo.
Alors oui je pouvais comprendre, elle avait passé pas moins de deux ans de sa vie à essayer de m'innocenter, elle avait le droit à un peu de repos mais de là à carrément me barrer de son quotidien, je devais avouer que pour l'ego, c'était vexant. Après tout, elle avait un événement important à préparer, son mariage.
Je m'étais renseignée auprès d'Oria qui m'avait servi de taupe et, mon amie m'avait assuré que Nour n'était plus victime des coups du futur pingouin qui allait partager sa vie. Mais pour combien de temps encore ? Combien de mois, de semaines ou de jours de répits lui laissait-il avant de recommencer ? J'en avais mal au ventre.
- Tonton Hakim, t'étais où ?
La voix de Shani et ses doigts attrapant ma barbe pour la tirer vers le bas, me firent descendre mes yeux sur la petite touffe métisse assise sur mes genoux. Ne pas voir ma nièce pendant sept mois, ça avait été dur, je l'adorais cette gamine et vu qu'elle n'était pas autorisée à accéder au parloir, j'avais seulement pu lui parler par téléphone.
- En vacances. T'as vu, tes tontons ils ont sorti un album, et moi je suis parti me reposer après.
- Pourquoi papa il chantait pas avec vous dessus ?
Pris au piège par sa question, je relevais la tête vers Alix qui grimaçait en haussant des épaules. La situation avec son daron était pas évidente du tout et ça me faisait carrément chier. Il n'avait pas pris de mes nouvelles après le procès et il y avait juste sa femme qui nous emmenait parfois Shani pour qu'on puisse la voir.
Ça restait une bonne amie à Oria, normal qu'elles continuent de se capter, et moi ça me permettait de faire des câlins à ma nièce, la première fille de la bande.
- On va y aller nous. déclarait Alix en me souriant malheureusement. C'est mon frère qui garde Shani ce soir et faut que je la dépose à Asnières. Ça m'a fait plaisir de te revoir Hakim.
- Ouais, moi aussi.
On se souriait mutuellement avant qu'elle ne récupère sa fille et fasse un tour d'au revoir pour finalement quitter la maison des Samaras. Ça me faisait bizarre de me retrouver à nouveau ici, entouré de mes proches, sans menottes dans le dos ou avec un poids sur la conscience qui me rappellerait qu'à tout moment, je pourrais être condamné à une peine de taule.
- Moi aussi je bouge. lâchais-je subitement, quinze minutes après le départ d'Alix, faisant lever toutes les têtes vers moi.
- Tu vas où ? Idriss fronçait les sourcils tandis que j'attrapais ma veste pour la passer sur mes épaules.
- J'dois passer faire des courses avant que ça ferme, y a rien dans mes placards.
- Tu peux manger ici si tu veux, comme ça tu restes un peu. proposait Oria, revenant tout juste de la cuisine avec son ventre déjà bien gros.
Plus qu'un mois avant la naissance de mon filleul, j'étais comme un dingue.
- C'est gentil merci mais ça fait déjà quatre jours que je repousse, je suis obligé de me déplacer tous les matins au bar d'en bas pour avoir un café. On s'capte bientôt ?
- Passe quand tu veux mon kho, ça fait du bien de te ravoir près de nous.
J'acceptais l'accolade de Ken qui me serrait contre lui avant de m'adresser un sourire franc. Il me faisait chier à jouer avec mes sentiments, j'savais que mon incarcération l'avait vraiment touché et j'étais content de le voir un peu plus heureux, il allait être à son max pour l'arrivée de son fils.
(...)
- J'suis trop bête.
Au dernier moment, j'attrapais le bouquet de fleurs sur mon siège avant de sortir de ma voiture. J'avais été à deux doigts de l'oublier dans ma caisse et ça aurait fait con de se pointer comme ça au cabinet, les mains vides. Après avoir vérifié à droite et à gauche, je traversais la route et donnais deux coups de sonnette qui retentissaient dans le bâtiment face à moi.
Je n'avais même pas besoin de m'annoncer que la porte se déverrouillait déjà, me laissant accéder à l'intérieur de la bâtisse. Je connaissais le chemin limite par cœur, j'aurais pu carrément le faire les yeux fermés si j'avais eu du temps. Mais il était tard, je ne savais même pas si elle était encore là.
- Bonsoir monsieur Akrour, c'est un plaisir de vous revoir ici. souriait Célia quand j'arrivais au niveau de l'accueil, tombant sur l'haïtienne au gros sourire.
- Ça va ?
- Ça va et toi ? La vie de mec libre, ça fait quoi ? je pouffais de rire tandis qu'elle ricanait doucement. Elle est encore là.
- C'est vrai ? la secrétaire hochait de la tête, faisant se rélargir les parois de mon cœur. Je peux... Je peux y aller ?
- Fais comme chez toi, je t'en prie.
J'adressais un dernier signe de politesse envers la meilleure amie de mon avocate et finissais par me diriger vers les bureaux, au fond du couloir. En sept mois, rien n'avait changé ici, mis à part peut-être quelques nouveaux tableaux par-ci par-là. C'était un endroit plutôt épuré et qui respirait le professionnalisme, tu savais direct où tu mettais les pieds quand tu entrais.
Dans la pièce où mes yeux tombaient quelques secondes plus tard, se trouvait une jeune femme perchée sur ses hauts talons, triant des classeurs qu'elle rangeait successivement tout en fredonnant un air de musique.
J'allais pas nier ou faire l'idiot, Nour était une femme très belle. J'étais sûr qu'elle en faisait retourner plus d'un sur son passage et en même temps, il fallait juste la regarder, la contempler, deux secondes pour le comprendre. Sans même ouvrir la bouche ou quoi qu'est-ce, elle inspirait la confiance, tu te sentais prêt à lui livrer ton plus petit secret, tellement t'était certain qu'elle balancerait pas derrière.
Rôle d'un avocat non ?
- Monsieur Akrour ?
Mon prénom scandé à trois reprises me fit remettre le cerveau en place, et j'avais juste à décaler mes rétines d'un iota pour constater que Nour m'avait vu. Ses sourcils bruns se fronçaient dans une expression d'étonnement tandis que sa bouche parfaitement peinte de rouge, s'ouvrait pour se referme, sans qu'un nouveau mot n'en sorte.
Pour de vrai, j'aurais aimé que le temps se fige. J'aurais aimé que jamais les secondes ne défilent à la suite, me laissant pleinement le loisir d'observer mon avocate, en-dehors d'une salle de parloir ou d'une salle d'audience. Et c'était entièrement grâce à elle.
- Whow, je- elle semblait perdre ses moyens devant ma présence totalement spontanée. Ça me fait bizarre de te- de vous voir ici, j'ai reçu la lettre du délibéré et j'ai eu du mal à y croire.
Ce n'était pas pour autant qu'elle m'avait recontacté depuis.
- Un peu grâce à toi, tu crois pas ? avouais-je en souriant en coin, louchant discrètement sur son corps moulé à la perfection dans sa robe épaisse.
- C'est génial Hakim, je suis heureuse pour vous, que vous soyez enfin blanchi de cette histoire, ça me fait très plaisir.
- Pour toi ça va s'passer comment ? Vis-à-vis de Delgado et tout ?
- Pas de panique pour ça, j'ai juste à regarder son dossier, à donner deux-trois pistes en gage de bonne foi et rien de plus. Je peux enfin me consacrer à une toute autre affaire. souriait-elle grandement, me donnant un coup de pince au cœur.
Je kiffais tout chez elle. Son optimisme, sa persévérance, sa bonne humeur, sa confiance, sa personnalité, sa silhouette, ses lèvres, son nez, ses yeux et surtout, surtout son sourire. Il embellissait son visage de la plus illégale des manières, c'était interdit de conférer autant de qualités en une et même personne. C'était juste Nour.
- Tiens, c'est pour toi. tellement passionné par la contemplation de l'égyptienne, j'en oubliais le bouquet dans ma main qui commençait à me donner des sueurs chaudes.
Les fleurs ou Nour ?
- Oh non monsieur Hakim, c'est adorable. son regard s'illuminait devant la composition de lilas que j'étais allé chercher juste avant de venir. Il ne fallait pas.
- Monsieur Hakim ? ricanais-je, elle avait vraiment du mal avec le tutoiement. Je devais te les offrir la semaine dernière au resto organisé par Oria pour ma sortie mais... T'as pas répondu à l'invit'.
Malgré moi, ma dernière phrase sonnait plus comme un reproche qu'une constatation. Force est d'admettre que Nour avait carrément refusé la proposition de ma reus en ne lui renvoyant pas une réponse à sa question et honnêtement, j'avais été déçu. Alors certes, j'avais passé une soirée de dingue dans une brasserie hors de prix de Paname, avec toute ma miff et les gens les plus importants de ma vie mais, l'absence de Nour s'était faite ressentir.
Parce-qu'en amont, je m'étais préparé à sa venue dans ma tête. Le bouquet que je lui tendais aujourd'hui n'était qu'un vulgaire homologue de celui que j'avais acheté ce soir-là, le laissant sur ma banquette arrière pour le tendre à mon ancienne avocate au moment des "au revoir", sur le parking. J'avais imaginé la prendre à part pour le lui donner, profitant de l'instant à deux pour lui faire de vrais remerciements.
Carrément, je m'étais entraîné devant un miroir pour ne pas bégayer. Je m'adressais quand même à une grande avocate, y avait de quoi forcer le respect.
- C'est très gentil, elles sentent très bon. murmurait d'ailleurs Nour en récupérant les fleurs, le bout de ses doigts effleurant le dos de ma main dans une sensation apaisante. Tu présenteras mes excuses à Oria, j'étais trop plongée dans les derniers détails du mariage, et en ce moment encore je le suis. soupirait-elle en tournant sa tête dans tous les sens, à la quête d'un endroit où accueillir son nouveau bouquet.
- Toi ça va ? osais-je demander en m'asseyant sur l'accoudoir d'une des deux chaises placées face au bureau de mon baveux.
- Le stress de la dernière ligne droite du mariage. riait-elle nerveusement avant d'attraper un long verre vide. Je vais le remplir, j'arrive.
Je hochais simplement de la tête, la laissant quitter la pièce pour aller dans les toilettes juste à côté de son bureau, dans le long couloir. Profitant de l'absence de Nour, je faisais un petit tour visuel de la pièce où elle passait les trois quarts de son temps. C'était vraiment un endroit qu'on pouvait dire propre à cette dame, quand on voyait la multitude de cadres qui habillaient les murs, ainsi que les décorations qui rappelaient un peu le style du Moyen-Orient.
Sur un des murs était encadrée une silhouette, sûrement royale, dans l'univers égyptien, et je trouvais ça très classe. Le bureau de Nour était classe. Nour était classe.
- Le dieu Râ. la voix de la brune dans mon dos ne me fit même pas tourner la tête vers elle, je la laissais se placer à côté de moi pour que l'on regarde le tableau en même temps.
- C'est pas lui qui a un rapport avec le soleil ? Nour acquiesçait.
- Je vois que tu t'y connais un minimum.
- Un peu la base ça.
- Pas pour tout le monde.
Son timbre s'étant abaissé, je fronçais les sourcils avant de finalement la regarder, découvrant l'égyptienne se mordiller l'intérieur de la joue. Voyant sa préoccupation par rapport à ce sujet, je préférais vite embrayer sur autre chose pour qu'elle ne braque pas encore plus.
- Et pourquoi t'as mis Râ dans ton bureau ? ma question fit pouffer de rire Nour et c'était un grand pas pour moi.
- Parce-que, comme tu l'as si bien dit, c'est le Dieu solaire, Dieu de la lumière. C'est celui que je préfère en rapport avec mon prénom.
- Ah je vois... Nour c'est lumière non ?
- Exact Hakim, dix sur dix pour tes interventions.
Le petit diable en longue toge noire se mit à rire pour se moquer de moi, m'arrachant un rictus amusé au coin des lèvres. Je m'amusais bien en sa compagnie, ça me permettait de souffler.
- Pour de vrai, merci encore. lâchais-je quelques minutes plus tard alors que Nour s'affairait à bien plonger ses fleurs dans le long verre à moitié plein.
- Y a pas de quoi, c'est mon travail et ça a été un plaisir de travailler avec toi.
- "Toi". Tu réussis à me tutoyer seulement maintenant ? plaisantais-je.
- On n'est plus dans un cadre professionnel, je ne suis plus ton avocate et tu n'es plus mon client, on peut à présent passer à un langage un peu plus familier. souriait-elle en me tendant sa main, son bureau séparant nos deux corps. Merci à toi d'avoir cru en moi.
- Tu voulais surtout pas me lâcher.
- Faut croire que tes frais étaient assez... Onéreux.
Dans un ricanement, je serrais la main de Nour en essayant un max de ne pas fixer l'anneau à son doigt qui allait bientôt être rejoint par une alliance. C'était peut-être la dernière fois que je voyais cette femme et honnêtement ? J'avais pas envie. J'avais pas envie de la voir s'unir avec un gars qui allait éteindre sa boule d'énergie au fur et à mesure, qui allait faire taire sa lumière.
- Prends soin de toi. murmurais-je une dizaine de minutes après, quand je me retrouvais sur le perron de la porte de son bureau.
- Promis. Toi aussi, te refous pas dans des embrouilles pas possible hein. se moquait-elle, me faisant rigoler.
- T'auras qu'à me défendre, comme d'hab.
- Comme d'hab...
- Au fait, tu comptes répondre à mes appels à l'avenir ou je laisse ta messagerie m'envoyer me faire foutre à chaque fois ? ma remarque fit à nouveau rire Nour qui posait ses mains sur ses joues rouges.
Dingue de mignonne, j'avais envie de la quer-cro tellement elle était belle.
- Pardon, j'arrivais pas à trouver le temps... Mais ! J'ai une lettre pour toi, histoire de me faire pardonner.
- Ah ouais ? je fronçais les sourcils en regardant l'enveloppe blanche marquée de mon prénom, qu'elle me donnait. Sérieux ?
- Hmm, je l'ai rédigé juste après avoir reçu l'information que tu étais libre, et je m'étais dit que j'arriverais bien à te croiser un jour pour te la donner.
- Attends, je vais la lire maint-
- Non ! Tu la regarderas ce soir, ou demain, ou jamais, mais pas devant moi, sinon y a pas d'intérêt.
- Bon d'accord. Je vais faire ça. À plus ?
- À plus.
On se regardait une dernière fois et je contrôlais pas mes bras, les laissant s'enrouler autour du cou de Nour pour la serrer contre moi. Notre "à plus" était-il vraiment sincère ? J'en doutais pas mal et en gardant ce bout de nana contre mon torse, j'essayais de pas y penser.
Nour c'était devenue en peu de temps quelqu'un d'important pour moi, c'était la seule personne avec qui j'avais eu des interactions toutes les semaines en prison et, ne plus avoir de contact avec elle, c'était vraiment rude. Comme une tétine qu'on arrachait à un bébé, une sucette qu'on subtilisait à un gamin, je la considérais énormément.
Et je le savais qu'avec son histoire de mariage, ça n'allait plus être pareil. Elle allait épouser un homme, faire sa vie avec, faire des enfants avec, acheter une maison avec, vivre avec, pleurer avec, rire avec, faire l'amour avec, vieillir avec, elle allait l'aimer lui. Et pas moi.
"Donne-moi un peu de ta lumière pour éclairer ma noirceur", c'est ce que j'aurais aimé lui susurrer au lieu de m'en aller comme un faible.
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coucouuu :)
HAKIM EST LIBRE MDRRRR ENFIN
on va pouvoir s'intéresser à un tout autre sujet 😮💨
par contre ce sera seulement pour mardi, faut bosser lol
à bientôt !!