Les jambes repliées contre son buste, Lizzie avait cessé de pleurer. Le sol lui paraissait aussi glacé que les neiges de la saison. Et ce n'était pas le maigre châle qu'un soldat lui avait apporté qui allait la réconforter.
Puisque son cœur entier était de glace.
C'est fini, nous allons mourir, se lamentait Étincelle dans sa tête parmi bien d'autres geignements. Sans avoir jamais cassé un vase par excès de colère, ni recouvert les robes de mère de boue ! Je pensais que ma mort, si jamais elle arrivait, serait un tant soit peu épique ! Pas recluse dans le cachot du roi des imbéciles , avant qu'un gentil soldat n'ait la stupide idée de passer une corde autour de notre cou ! Pauvre de moi ! Qu'ai-je fait pour mériter un sort si cruel ? Une si lente agonie....
Lizzie renonça à lui demander de se taire.
Ses pensées se tournèrent plutôt vers Tom : comment réagirait-il en apprenant la nouvelle ?
Sans doute, essaierait-il de s'opposer à la décision de son roi— et l'avis tranché de sa propre sœur, ce qui étreignit davantage le cœur de Lizzie.
Tom ne devait pas se disputer avec eux. Parce qu'ils seraient tout ce qu'il lui resterait lorsqu'elle quitterait ce monde. À cette funeste idée, une perle d'eau roula le long de sa joue blanche, et égratinée.
Quand les gardes l'avaient saisie, la jeune fée avait tenté de se défendre. La manchette d'un des vampires lui avait répondu. Elle avait mis quelques secondes avant de comprendre que son secret, qu' elle avait enterré au fond de ses veines, allait se diffuser comme la peste au sein du château... puis dans le monde des ombrumes tout entier.
Tom, pitié, ne fais rien d'imprudent.
— Partez, s'il vous plaît !
A l'entente de cette voix sérieuse qui mugissait en haut des marches menant aux geôles, Lizzie sentit son cœur bondir dans sa poitrine. Elle se colla aux barreaux, et attendit que de la pénombre qui l'emprisonnait, se dégage un halo lumineux.
— Bien, votre Majesté, répondirent les deux gardes à l'unisson, et le claquement de leurs bottes révèla qu'ils n'avaient pas désobéi .
Vêtu d'une cape mauve, Léo descendit sans couronne sur la tête. Ni chaperon à ses côtés. Une chandelle tremblait entre ses doigts, blondissait sa chevelure en pagaille et blanchissait son visage tracassé.
Il s'arrêta à plusieurs pas du cachot de Lizzie, et s'assit sur un tabouret de bois bancal.
La jeune fée ignorait depuis quand cet objet n'avait pas servi mais ses pieds, rongés par le temps et les insectes, montraient que sa restauration ne semblait pas être le soucis premier du souverain.
A travers le flamboiement de la chandelle, elle distingua la cellule, à peine plus grande que la sienne, de son voisin de face.
Quand elle était entrée, les bras endoloris par la poigne des gardes, elle n'avait pu s'attarder sur l'allure des autres détenus, mais un détail l'avait troublée : une pellicule cristalline brillait sur leur silhouette amaigrie.
— Pourquoi il n'y a pas un bruit, ici ? demanda Lizzie d'une voix posée.
Sans appréhension, le roi accepta de répondre.
— Les autres détenus sont comme le reste du royaume, figés dans le cristal. Les cachots sont reliés par un couloir au palais ... mais ils sont derrière la barrière de protection. C'est l'une des brillantes idées de mon père, que je n'ai pas pu changer sous peine d'un scandale.
— Mère me disait souvent, qu'être reine c'est donner l'apparence d'avoir les pleins pouvoirs, mais se restreindre à ne rien choisir par soi-même...pas même la couleur de sa robe.
Cette phrase eut le mérite d'éclairer le visage du roi, qui pouffa de rire.
— Je n'aimerais pas être à la place de votre mère. Heureusement pour moi, j'ai encore le droit de porter les vestes qui me conviennent, mais elle a raison sur un point : un roi ne peut pas toujours faire ce qu'il désire. Il doit écouter. C'est pour ça que je me tiens là... pour vous écouter. Alors, qui êtes-vous, mademoiselle Blueheart ?
Lizzie veilla à choisir ses mots. Pas question de mentir maintenant que le roi lui laissait une chance de s'expliquer, aussi minime soit-elle.
— Je suis une sombrume et une fée. Je l'ai toujours été.
Comme pour la conforter dans ses propos, Léo hocha la tête.
—Tom est au courant ? continua-t-il, en fixant ses pieds que Lizzie ne pouvait qu' assimiler à de l'ombre.
Cette fois-ci, elle hésita. Un peu trop longtemps au goût du roi, qui la relança.
— Rassurez-vous si la réponse est oui, il ne lui arrivera rien. Si elle est non, je vous laisserai lui annoncer.
Ce qui lui ôta un poids au cœur.
— Il le sait, répondit Lizzie d'un murmure presque inaudible. Il le sait, et quand vous...quand je ne serai plus là, preniez soin de lui. S'il vous plaît.
C'était tout ce qui lui importait. À travers les trémolos de sa voix, Leo n'avait sans doute rien pu comprendre. Qu'importe ! Lizzie n'eut pas la force de répéter. Les larmes devalèrent ses joues d'ange, et il lui tendit immédiatement un tissu de satin, dont le parfum de rose remonta jusqu'à ses narines.
— Écoutez, j'ai réfléchi et... je ne vais pas vous tuer. C'est peut-être la décision la plus stupide de ma part mais... Je pense que vous ne méritez pas de mourir. En revanche, je vais devoir en parler à Evangeline... J'imagine qu'elle est déjà au courant ?
Elle confirma puis il reprit.
— Nous effectuerons des recherches. Vous serez peut-être amenée à goûter des potions, ou subir les effets de sortilèges. Si nous ne trouvons rien de concluant, nous devrons en informer les autres rois.
Ce qui reviendrait à la tuer. Même si la moitié des souverains présentaient la même miséricorde que Léo, le roi Ivan, lui, pourrait aller jusqu'à embaucher dix mercenaires pour la détruire.
Mais cette proposition lui laissa un espoir... dont elle avait tant besoin.
— Votre peuple vous laissera faire ?
— Ils ne sont pas au courant. J'ai préféré éviter une panique inutile. Seule Méridice est au courant. Méridice... et Joanne, bien sûr.
Non, non, non, pas elle, grinça Étincelle, prenant soudain une place importante dans son cerveau. Laisse-moi sortir ! Eveille toi ! On est morte, Lizzie. M. O. R. T. E.
— Si... Joanne sait pour moi, pourquoi ne m'a-t-elle pas déjà... Vous savez, couic ? l'interrogea-t-elle en mimant un étranglement.
— Parce que je lui ai demandé de ne pas le faire, se justifia Léo en arquant un sourire. Vous savez, tout le monde sait que je ne peux rien lui refuser, mais les gens oublient que moi aussi j'ai un peu d'influence sur elle. Joanne se cache derrière une carapace de pierre. Mais, je ne connais personne d'aussi fascinante qu'elle. Elle me traite à son égal, et ferait tout pour me combler... Pas parce que je suis le roi mais parce que quelque part, j'ai gagné une place au delà de sa carapace de pierre. Croyez moi l'avoir à mes côtés est le plus beau cadeau que la vie ait pu me faire. Mais je devrais arrêter de parler d'elle de cette manière car... elle entend tout ce que nous racontons. Elle est assise en haut des marches.
En levant la tête, et longeant du regard l'épaisse rampe de bois, Lizzie aperçut enfin une silhouette sombre et élancée sur laquelle deux points rouges apparurent, avant de s'éteindre derrière un mouvement de tête.
En se raclant la gorge, Léo poursuivit :
— Dans la version officielle, vous avez été arrêtée pour avoir détruit mon sceptre.
Après être tombée grossièrement dans le piège que Léo et Méridice lui avaient tendu. C'était, du moins, ce que la voix des deux gardes, qui ne se souciaient guère d'être discrets, avait expliqué depuis le haut des escaliers un peu plus tôt dans la nuit. À ce moment là, Étincelle avait tant pesté que Lizzie ne s'était pas demandée pourquoi ils s'attardaient tant sur un morceau de métal quand un problème plus grave les menaçait quelques mètres plus bas.
— Je... suis désolée. Mais il fallait que je le fasse, s'il mettait la main dessus, je...
— Je sais, la coupa-t-il doucement. J'espérais tellement que le meurtrier tombe dedans que je n'ai pas pensé que quelqu'un d'autre puisse vouloir s'en s'emparer. À votre place, j'en aurais fait autant. En plus, je n'imagine pas Tom capable de se battre contre vous... Et c'est mon meilleur élément.
Sa petite plaisanterie parvint à redresser un sourire timide en bas du visage blanc de Lizzie. Elle n'oubliait cependant pas que le roi se contenait, et qu'il ne faudrait qu'une maladresse de sa part pour qu'il revienne sur sa décision. Étincelle elle-même l'avait compris, scellant pour la première fois la porte de ses idées les plus espiègles.
— Merci, votre Majesté. De me laisser une chance.
Mais il balaya ses remerciements d'un geste de la main, et l'or de ses bagues se refleta sur les barreaux cendrés.
— Vous n'avez pas à me remercier. Personne ne mérite d'être traité comme un monstre... Quand il vaut bien plus que cela.
Il se redressa sur ses jambes, epoussetta son pantalon et remonta les premières marches. Joanne, qui avait franchement l'air de s'ennuyer ferme, apparut sous l'éclat de la bougie. Elle se pinça les lèvres, et Léo glissa sa main dans la sienne.
— Je vous libérerai demain soir, mademoiselle Blueheart, ajouta-t-il en se retournant une dernière fois. Pour éviter que les rumeurs fusent à votre sujet.
— Ça aurait été moi, tu y serais encore pour une bonne semaine, Lizziebellule, grogna Joanne sans détacher ses doigts de ceux de son roi.
Malgré les tensions entres les deux jeunes femmes, Lizzie admit sans rancune que cette image lui réchauffait le cœur
***
Les gardes de nouveau à leur poste, Lizzie retrouvait sa plus vieille amie : la solitude. Allongée sur le dos contre les dalles de pierre, elle notait néanmoins un agréable changement : elle n'allait pas périr cette nuit.
Léo lui avait laissé un livre pour l'occuper, alors, bras tendus pour le maintenir, elle fit mine de le feuilleter.
Sans pour autant parvenir à en retenir la moindre ligne ou illustration.
Ses pensées étaient bien trop emmêlées. Elles gambadaient entre Tom, ses frères et sœurs et leur douloureuse expression figée dans le cristal, puis Tom. Bastien et Felia qui— elle l'espérait— s'occupait de lui en secret. Le sort de la pauvre Selena partie seule la veille, et encore Tom.
Il lui manquait. La froideur de leur dernier échange lui était resté à l'esprit, et elle le regretta.
Il a besoin de moi. J'aurais dû insister, se morigena-t-elle.
La Lizzie d'autrefois l'aurait fait sans se poser de question, et même si la Sombrume actuelle la trouvait terriblement stupide, elle guettait parfois son retour. Et son insouciance.
Soudain, un grondement sourd retentit à l'étage et des bottes claquèrent contre la pierre. Lizzie tendit l'oreille mais ne perçut ni appels de renfort, ni crissement d'épées.
Seuls quelques pas qui se rapprochaient.
Un ennemi venait à sa rencontre, Lizzie craignit de découvrir son visage.
Que lui ôterait-il cette fois ?
La langue ?
La liberté ?
Le cœur ?
—Lizzie?
Mais en reconnaissant cette voix, ses terreurs s'éteignirent.
— Tom ?
Il apparut sous la clarté d'une flamme, les yeux rougeoyants.
— J'ai du assommer les gardes pour entrer. Quand ils seront réveillés, je leur présenterai des excuses. Mais je n'avais pas le choix, je devais te parler en privé , ma petite princesse. On dit que tu as volé le sceptre de Léo. C'est la vérité ?
Lizzie peina à dissimuler sa moue, déçue. Ce n'était pas vraiment le genre de sujets auquel elle s'attendait.
Un petit « tout va bien, ma petite intrépide ? » aurait davantage collé à l'image romantique qu'elle associait à son petit ami. S'il l'était encore.
— Je l'ai brûlé. Les humains n'y auront plus accès...
Une certaine nervosité se grava dans les traits de Tom. Il perdit un juron, ou un rugissement qui y ressemblait.
— Je... se justifia-t-il assailli par le regard perplexe de sa petite amie, c'était ma seule chance de me défaire de l'emprise des humains.
— En créant une Sombrume ? s'étonna-t-elle et il approuva d'un signe de tête.
— Elles sont puissantes. Une me libérerait, et... Je n'aurais plus jamais à m'éloigner de toi.
Même si cette dernière phrase manqua de la faire fondre, Lizzie n'osa pas imaginer dans quel état de détresse devait se trouver son beau vampire pour en arriver à de telles extrémités.
— Mais... Les Sombrumes sont dangereuses.
Il haussa un sourcil, incrédule.
— Tu en es bien une, toi. Et puis, je ne parle pas de l' éveiller, argumenta-t-il, une lueur malsaine brillant dans ses yeux. Si j'en créais une, je pourrais choisir son pouvoir , un qui lui est propre, la forcer à l'utiliser avant son éveil. Puis je la tuerais !
— Les Sombrumes ne peuvent pas faire ça, Tom.
Sa mère l'aurait informée si, en la mettant au monde, elle l'avait dotée d'un don spécifique , non ?
Sa réponse parut le surprendre.
— Bien sûr que si. Si on est concentré, on...
— C'est trop risqué et trop tard ! Par dessus tout, tu aurais eu des ennuis avec le roi.
— Le roi, répèta Tom, intrigué.
— Il sait pour ce que je suis,ajouta Lizzie, penaude, Méridice et ta sœur aussi. Ils te surveilleront sans doute un peu.
A ses mots, le visage de Tom se couvrit d'un voile de mécontentement.
— Avant ou après t'avoir tuée ? rétorqua-t-il, avec agressivité.
Lizzie y entendit des reproches. Rien de plus compréhensible. Il tenait à elle. Parfois trop, à s'en incendier la raison et le calme.
Mais, comment le lui reprocher ? Elle aussi brûlait d'amour pour lui.
Ses mains s'étant approchées des grilles de sa prison, Lizzie les saisit avec douceur. Elle se raidit. Plus froides que dans mes souvenirs.
— Ils ont promis qu'ils ne me feraient rien. Je pourrai même sortir dès demain soir.
— Ils ont peut-être dit ça pour te calmer, hasarda-t-il, et ta sortie de demain ne serait qu'un moyen de... —il deglutit — mettre en œuvre ton exécution.
Il marqua une pause, le temps de sortir un petit objet de sa poche.
— Je... j'ai pris ça. Ça pourrait t'aider. Tu t'en souviens, j'espère ?
Bien sûr qu'elle s'en souvenait ! Le splendide pins qu'elle lui avait offert dix-sept ans plus tôt. Le loup, un peu rouillé, avait pris une teinte ocre contrairement à la lune en arrière plan qui brillait de mille éclats.
— On pourrait s'enfuir toi et moi ? Je n'ai pas pu récupérer les clefs, mais je ne connais personne d'aussi douée que toi pour ouvrir les serrures avec n'importe quel bout de métal. Prends le.
Lizzie hésita. Elle voulait croire que Léo avait été sincère. D'un autre côté, une part d'elle même refusait de croire que toute cette histoire se réglerait si facilement. Lui mentir sur son sort aurait été un merveilleux moyen d'éviter son éveil. Fourbe, mais efficace. Il signerait la sécurité du royaume, ou mieux du monde des ombrumes tout entier.
Mais... Même si c'était le cas, même si sa vie devait prendre fin dans deux nuits, elle ne pouvait se résoudre à s'enfuir, et encore moins emmener Tom avec elle.
— Tom...Ce n'est pas une bonne idée.
— Je ne veux pas te perdre, protesta-t-il plus véhément que de coutume.
Lentement, elle replia les doigts de son petit ami, rejetant l'épingle de sa liberté.
Ne t'en fais pas...je serai toujours avec toi voulut-elle lui transmettre par pensées.
Mais une barrière invisible la bloqua. Et elle tomba des nues.
Non...
Parmi tous les cauchemars qu'elle aurait pu endurer, celui ci obtenait sans conteste la médaille d'or.
Comment avait - elle pu se laisser berner à ce point ?
— Où est Tom ? articula-t-elle, en reculant à pas lents.
Même la froideur de sa prison semblait un bien meilleur refuge que la menace qui se tenait devant elle.
— Qu'est ce qui te prend ? Je suis là devant toi, ma petite rose. mentit son interlocuteur avec aisance.
— Non ! fit-elle en secouant la tête. Quand j'ai appris la magie de l'esprit, Tom a toujours insisté pour que je me serve de lui comme cobaye.
Malgré de premières réticences, il lui avait proposé un marché pour la convaincre : à chaque sort jeté, Lizzie acceptait de passer la nuit dans sa petite maison, à l'abri des loups, des gorgones, des singes volants ou de toute autre créature qui pourrait la blesser.
A cette époque, Tom sacrifiait déjà ses forces pour elle.
— Mais chez vous, il y a un mur ! Comme une énigme, vous vous protégez.
Son bras fusa entre les barreaux, vif comme une flèche, mais elle n'effleura que la broche. Une étincelle, un sort rudimentaire, qui aurait tout juste la puissance d'embraser une allumette, traversa le métal. Et l'objet s'enflamma.
L'usurpateur le lâcha, grimaçant de douleur.
Lizzie avait assez étudié la chimie aux côtés de Bastien pour reconnaître l'élément qui brûlait ainsi. Ce poison invisible, l'alcool.
Mais ce n'était qu'une goutte d'eau face à la tempête que ses sentiments bravaient.
— Où est Tom ? Qu'est ce que tu lui as fait ?
Si elle avait pu sortir, elle aurait eu du mal à se retenir de le tuer. Car nul doute, si l'humain l'avait remplacé, son petit ami devait croupir au fond d'une cellule.. ou pire.
—Réponds Rémi !
Deux cercles noirs s'emparèrent de ses iris, enfievrés de colère, et d'effroi.
Mais lui, le plus abject de tous, se contenta de sourire.
— Je savais bien que tu étais cinglée, Lizzie.
Mais je n'imaginais pas à quel point.
***
La partie 2 arrivera au cours de la semaine prochaine 😇