Maison Keller, bordure de Washington DC.
21h47.
Sur mes gardes, je pousse doucement la porte d'entrée dont je viens de crocheter la serrure. Etonnée par le manque de caméras de sécurités à l'entrée de cette maison pourtant habitée par des personnes importantes, je m'attends à rencontrer quelques pièges en chemin. Les lumières éteintes et le silence planant dans ce lieu me laissent croire qu'il est entièrement vide, mais on n'est pas à l'abri d'habitants endormis de bonne heure. C'est donc d'un pas léger que je commence à faire le tour de l'énorme maison où vivent les Keller. Le rez-de-chaussée entièrement vide et une note sur le réfrigérateur m'apprennent que les membres de la famille sont tous sortis ce soir, sauf la petite sœur de Peter, à moins qu'elle n'en ait pas informé sa famille. Je soupire des narines et reprends le tour dans la maison, juste au cas où. Elle est tellement énorme que je crains un peu de me perdre, mais puisque tous les chemins mènent à Rome, je réussirais sans doute à trouver la sortie d'une façon ou d'une autre. Le premier étage est entièrement vide, mais lorsque je mets un pied sur la dernière marche du second étage, j'entends une douce mélodie flotter dans l'air. Une seule porte fermée laisse passer une faible lumière par le dessous, m'indiquant que quelqu'un est là. Et si j'en crois la voix de la chanteuse, il ne s'agit pas de l'homme que je suis venue voir. Qu'est-ce que je fais ? Est-ce que je me tente à aller la voir ? Après tout, mes intentions ne sont pas mauvaises, mais je me suis tout de même infiltrée chez-elle, il y a des chances pour qu'elle flippe en me voyant. Non, laisse tomber Max, elle va forcément flipper en te voyant arriver. Je devrais me contenter de trouver la chambre de Peter et d'attendre son retour en silence.
Enfin, j'aurais aussi pu l'appeler avant de venir, ça aurait été beaucoup plus simple. Mais mon père ne doit pas savoir où je suis, et sa confiance en moi douteuse me laisse croire qu'il est capable de surveiller mes conversations. Je pousse toutes les portes de l'étage jusqu'à trouver une chambre à la décoration sobre, plus grande que les autres. Les photos accrochées aux murs me laissent penser qu'elle appartient à Peter, puisqu'il est sur chacune d'entre elles avec des personnes différentes. Je fais le tour de la pièce du regard, et décide de poser mes fesses sur un fauteuil près de la grande fenêtre. Je décale un rideau pour pouvoir observer l'extérieur, et me résous à devoir attendre une longue durée le retour de la personne que je suis venue voir. Tapotant du pied au fil des minutes, je suis alertée par mon téléphone d'un message entrant.
De : Maman Ours
A : Max
Il n'est pas où on pensait le trouvait. Personne ne sait où il est. C'est comme s'il s'était volatilisé.
Ma mâchoire se sert instantanément, tandis que je ferme les yeux un moment pour calmer la colère qui monte en moi. Je soupire longuement et réponds à mon interlocuteur.
De : Max
A : Maman Ours
Merci pour ton aide, Brock. Je me débrouillerai pour la suite. A plus tard.
Contrariée, je me mets à marmonner dans mon coin jusqu'à ce que je voie du mouvement dans l'allée. Près d'une heure après mon arrivée, je vois Peter sortir d'une voiture qu'il a garée devant la maison. Il était temps qu'il arrive, celui-là. Je reste positionnée ici, attendant qu'il arrive. Je ne suis plus à deux minutes près, maintenant. J'entends des pas dans le couloir, puis une porte s'ouvrir dans un grincement. Elle se referme peu de temps après, avant que ce soit celle de la chambre où je me trouve qui soit ouverte. Ne me voyant pas tout de suite, Peter entre sans faire attention et retire ses chaussures sans aucun grâce. Il se jette littéralement dans son lit, qui se trouve près du fauteuil où je me trouve. Soupirant ouvertement, je me mets à toussoter dans l'espoir qu'il ne se soit pas endormi. Il sursaute et regarde autour de lui ; lorsqu'il pose le regard sur moi, je le sens tellement tendu que je me lui fais signe de ne pas crier.
« Putain de putain de merde ! Jure-t-il.
- Peter, du calme, c'est moi !
- Quoi ?! »
Il allume la lampe de chevet pour pouvoir voir mon visage. Il fronce les sourcils et regarde autour de lui, avant de s'assoir calmement sur son lit. Il juge la situation assez rapidement, avant de croiser les bras sous ses pectoraux.
« Oh. C'est bien la première fois qu'une aussi jolie femme pénètre dans ma chambre, m'apprend-t-il. C'est une jolie tenue que tu portes-là, tu es venue pour cambrioler mon cœur ?
- C'est adorable d'avoir de si doux rêves, mais heureusement pour ton petit cœur, je ne suis pas venue pour le voler, souris-je. Je ne pouvais pas prévenir de mon arrivée, personne ne doit savoir que je suis ici.
- C'est à propos du travail, alors ? Je suis un peu déçu, je pensais que tu allais m'apprendre à danser. Tu as l'air sur le qui-vive, mais sache que tu es en sécurité ici.
- Je ne me sentais pas en danger.
- Tes yeux disent le contraire. Qu'est-ce qui t'arrive, Cheffe ? »
Je soupire longuement en me frottant l'arête du nez. Lorsque je me suis rendue à l'évidence qu'il me faudrait de l'aide pour parvenir à mes fins, je me suis demandé qui est-ce que je pourrais embarquer dans cette histoire sans craindre de représailles pour cette personne. Il était impossible pour moi d'impliquer un seul membre de Strike, et ce même mes meilleurs amis. Mais l'homme qui m'a offert une danse maladroite et quelques paroles douteuses m'a tapé dans l'œil à l'instant même où j'ai pensé qu'il me faudrait quelqu'un qui déteste suffisamment mon père pour accepter de m'aider. Cependant, maintenant que je suis là, je crains de sa réponse face à ma proposition. De toute façon, qui ne tente rien n'a rien, alors allons-y clairement.
« J'ai besoin d'un allié de confiance pour gérer une situation qui pourrait me causer beaucoup d'ennuis, dans les rangs ennemis comme dans les rangs alliés.
- Je t'écoute, raconte-moi.
- Est-ce que tu sais ce que ça fait de perdre subitement la personne que tu chéries le plus en ce monde, simplement parce qu'on te refuse l'amour que tu lui portes ? Eh bien, c'est ce qui m'est arrivé il y a peu. Et je suis prête à tout pour le retrouver et le sortir de là, quitte à brûler tout ce qui se trouve sur mon passage. Tout, y compris notre organisation. »
Il fronce les sourcils alors que je commence à lui raconter l'histoire. J'imagine que si je ne suis pas parfaitement honnête avec lui, il n'y a aucune chance qu'il puisse me faire confiance. Je lui raconte alors ma relation avec James, puis le rejet de cette relation par mon père, la manipulation dont il sait habilement faire preuve pour m'éloigner de James, les moyens qu'il est prêt à mettre en place pour atteindre ses objectifs, et les moyens que je suis prête à mettre en place pour attendre mon propre but.
« Comme tu peux le constater, tout ça est bien hypocrite, souris-je. Je reproche à mon père de ne penser qu'à sa gueule, mais c'est exactement ce que je suis en train de faire. Autant jouer carte sur table avec toi, je ne veux pas te demander de l'aide sans te dire tous les termes du contrat. Toute ma vie, je l'ai vécue pour Hydra, et jamais pour moi-même. Je suis prête à tout risquer aujourd'hui, pour espérer un semblant de liberté. Tout ce que je veux, c'est avoir le droit d'aimer et d'être aimée, sans que personne ne se mette au travers de mon chemin.
- Ta haine ne se déverse pas uniquement sur ton père, mais aussi sur Hydra, conclut-t-il. Je l'ai bien compris. »
Il se tait et se met à réfléchir, grimaçant. Son silence me met mal à l'aise, jusqu'à ce qu'il ouvre de nouveau la bouche.
« En fait, je pense que je comprends ce que tu ressens. Tes motivations me semblent assez logiques, quand on y pense bien. Que ce soit ton père ou toute l'organisation, cet univers n'est fait que d'une grande manipulation qui nous force à nous sacrifier pour une cause qu'on ne connaît pas très bien. Beaucoup de soldats meurent sans savoir ce pourquoi ils se battent réellement. Et puisque je suis proche des hautes têtes et que je connais les motivations de notre Chef actuel, je sais que je ne me bats pas pour une organisation, mais uniquement pour qu'un homme avide de pouvoir puisse obtenir tout ce qu'il souhaite. Ce n'est pas du tout la réalité qu'on laisse croire aux agents, et c'est assez dégoûtant de le savoir, maintenant. En tant que père, Alexander craint autant qu'en tant que Chef. »
Il lève le visage pour me regarder dans les yeux.
« Cependant, tu as également raison en te traitant d'hypocrite, continue-t-il. Tu es en train de faire exactement la même chose que lui. Tu es prête à tout renverser pour atteindre ton objectif, quitte à détruire ton organisation et tout ce que tu as bâtis jusqu'à aujourd'hui, et tout ça uniquement pour ton petit bonheur. Ce qui diffère avec le comportement de ton père, c'est le sentiment que vous cherchez au final. Lui veut le monopole du pouvoir et la fierté. Toi, tu veux l'amour et la liberté. Au fond, même si tu vas te salir les mains pour y arriver, ta cause est un peu plus légitime que la sienne. Tu es contrainte de faire le mal pour combattre le mal, si tu tentes de le faire dans les règles, tu n'y arriveras jamais. »
Je hoche la tête, d'accord avec ce qu'il me dit. Il se lève et s'approche d'une étagère, alors que je me raidis. Il attrape un cadre photo et s'approche de moi pour me le tendre. Curieuse, je l'attrape et observe la photo encadrée. Il s'agit de Peter, plus jeune, accompagné d'une jeune femme aux cheveux dorés, le visage radieux. Ils portent tous les deux un uniforme d'Hydra, et un collier avec un pendentif de la planète saturne, quelque chose semblant gravé dessus.
« Elle s'appelait Willie, c'était ma fiancée à l'époque, m'apprend-t-il. Elle et son unité ont été assassinés alors qu'elles sortaient, et il n'y a jamais eu d'enquête de lancée. Celle du SHIELD n'a rien apportée, et Hydra a refusé d'enquêter pour une unité d'intervention composée essentiellement de femmes. Il y a beaucoup de rumeurs, comme quoi elles auraient été exécutées par le KGB, mais il n'y a jamais rien eu d'officiel. Si tu veux tout savoir, leurs cadavres n'ont même pas été récupérées. Elles se sont toutes volatilisées, laissant derrière-elles un vide constant.
- Je... je suis vraiment désolée. Je t'avoue que je ne comprends pas vraiment pourquoi tu me parles de cette histoire maintenant.
- Parce que j'enquête sur leur disparition depuis que ça s'est produit, quatre ans plus tôt. Et j'attendais que tu deviennes Cheffe de notre organisation pour te demander de relancer l'enquête. Je sais que tu aurais accepté, ça ne fait aucun doute. Tu avais l'air assez proche de l'organisation pour vouloir sauver chacun de nos soldats.
- Tu m'as bien cernée, à ce que je vois, souris-je.
- Voilà ce que je te propose, Max. »
Il s'assoit sur le bord de son lit et croise les doigts, coudes appuyés sur les genoux.
« J'accepte de t'aider dans ta quête. J'accepte de faire absolument tout ce que tu me demanderas, même s'il s'agit de me salir les mains de la pire des manières. Mais en échange, je veux que tu m'aides à apprendre ce qui est arrivé à Willie et ses camarades. Et il faut que tu acceptes de faire tout ce que je te demanderais pour ça.
- En gros, tu acceptes de m'aider à sauver mon petit-ami, si je t'aide à savoir ce qui est arrivée à ta petite-amie.
- A mes yeux, il n'y a qu'une seule bonne raison de trahir quelqu'un : l'amour. Que ce soit l'amour d'un amant, l'amour d'une famille, l'amour de ses amis, ça n'a aucune importance. S'il y a bien une chose pour laquelle je renverserais des régimes entiers, c'est bien pour l'amour. Et tu sembles sur la même longueur d'ondes que moi.
- Oui, en effet. J'accepte de t'aider, Peter. On trouvera ce qui est arrivé à Willie et son unité.
- Parfait. Mais pour le moment, ta situation est la plus urgente. Il faut d'abord trouver où se trouve James.
- Il n'est pas enfermé au quartier général, j'ai déjà fait vérifier par une personne de confiance. A ma connaissance, Hydra n'a pas d'autres planques dans la ville, mais il n'est pas impossible que ce soit tout de même le cas.
- Très bien. Est-ce que tu as un plan ?
- C'est compliqué... »
Je réfléchis un instant et soupire lourdement.
« J'ai plusieurs pistes pour piéger mon père, avouais-je. L'idée première est de le contraindre à rester constamment au Triskel.
- Mais, pourquoi ? C'est justement à cet endroit précis qu'on ne pourra pas l'atteindre, Max.
- Oui, mais ça nous donne au moins l'avantage de savoir où il se cache. S'il se sent en danger, c'est là-bas qu'il restera quoi qu'il arrive. Ses fonctions de secrétaire de la défense l'empêchent de se cacher dans une planque d'Hydra l'air de rien. Et avec Insight, il ne quittera pas son bureau.
- Ok, je comprends.
- Il faut aussi qu'on ruine le projet Insight, et j'ai déjà ma petite idée pour y parvenir. Ça n'a pas l'air très important vu comme ça, mais on ne sait jamais : il pourrait utiliser les héliporteurs contre nous, donc on ne peut pas faire comme si de rien n'était.
- Ça me semble logique. Avec les héliporteurs, on ne sera jamais libres, il saura toujours où nous trouver. Ensuite ?
- Il faut trouver où James est retenu. C'est forcément un lieu dans lequel on peut stocker des installations lourdes et difficiles à déplacer.
- Je ferais une recherche des bases secrètes d'Hydra, et je te tiendrais au courant.
- Parfait. Je m'occuperais de détruire Insight pendant ce temps-là. Mais avant ça, on va jouer avec des allumettes. Ça te tente ?
- Ah... je ne peux pas faire un peu dodo, avant ? »
Je jette un œil à l'heure et soupire en levant les yeux au ciel.
« Tu as jusqu'à 4h, il faut qu'on fasse ça de nuit pour ne pas être vus. »