Temet Nosce (Les Chroniques d...

By keliane-ravencroft

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/!\ Venez découvrir le tome 4 des Chroniques de Sorohar, qui n'a pas encore été publié /!\ Du jour au lendem... More

Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15

Chapitre 3

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By keliane-ravencroft


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Il faut à Seiran de gros efforts pour émerger du cocon de sensations dans lequel s'est noyé son esprit. Bercé par la douce chaleur de la couverture qui le borde et le protège du froid et de l'humidité d'une pièce qu'il ne connaît pas, il tarde encore un moment avant d'ouvrir les yeux. Pour profiter autant que pour prendre le temps de repasser dans sa mémoire les dernières images qui ont précédé sa perte de conscience : celles d'une silhouette éthérée, d'un regard perçant, d'une dentition aussi éclatante que redoutable, et d'une étreinte dangereuse. Un tableau qu'il aurait dû juger effrayant, qui devrait même précipiter son réveil, mais qu'il recompose pourtant sans une once de panique. Flirter avec la mort ne l'a pas impressionné autant que cela aurait dû. L'onmyōji irait presque jusqu'à considérer l'expérience intéressante. Surtout qu'à aucun moment, il n'a songé que Valoïs pouvait le tuer de cette morsure brutale. S'il ne devait y avoir qu'une ombre pour obscurcir ce qu'il a vécu, ce serait cette douleur ressentie à travers tout son être et cette brûlure persistante à l'endroit de la marque de ses crocs.

Quittant sa torpeur, parvenant enfin à ouvrir les paupières et à sortir doucement une main de sous les draps, Seiran se met en quête de la plaie et prend le temps de la dessiner de ses doigts longs et fins, d'en tracer les contours. Un simple effleurement lui arrache une grimace, sans qu'aucun son ne franchisse pourtant ses lèvres. Loin de lui l'idée de se montrer douillet, il a enduré bien pire lorsque la maladie maltraitait son pauvre corps. Et puis, s'il devait être tout à fait honnête, il avouerait volontiers apprécier cette empreinte sur sa peau, semblable au baiser possessif d'un amant. Combien de temps depuis que plus personne ne l'a embrassé, n'a laissé la preuve de son affection sur lui ? Un an ? Deux ans ? Il a perdu le compte, lassé par la solitude. Il pensait d'ailleurs son cœur éteint, avant de croiser le regard pénétrant de Valoïs. Ce petit soubresaut éprouvé lui a rappelé qu'il est en vie, et qu'il pourrait peut-être aimer de nouveau ?

Seiran sent soudain ses joues rosirent à l'idée. Non, vraiment, le seul point négatif qui entame son moral reste cet état de faiblesse, ce manque de forces qui le cloue au lit et lui fait douter de pouvoir ne serait-ce que mettre un pied par terre.

Sur ce point, il remarque que son hôte s'est montré prévenant en lui offrant un endroit digne de ce nom pour récupérer. La chambre est grande, illuminée de nombreuses chandelles, et arrangée avec soin, bien que surchargée par une décoration lourde et trop diversifiée. Impossible d'énumérer tout ce qui s'expose sur les meubles et les étagères. Des bustes à l'effigie de personnages inconnus, des vases à n'en plus finir, des horloges indiquant toutes des heures différentes et même des mobiles suspendus au plafond, inondent ce paysage déjà trop coloré par les rideaux, les tentures, les tapis et les oreillers sous lesquels croule la pièce. À dire vrai, il ne distingue plus un pavé ou un pan de mur libre de respirer hors de cette marée chatoyante. Au point qu'il tarde à remarquer le plateau de victuailles posé bien en évidence sur sa table de chevet. Une attention qui lui arrache un sourire, l'amenant à songer que le maître des lieux est peut-être plus généreux qu'il ne le laisse à penser.

Tiraillé par la faim, Seiran n'attend pas longtemps pour abandonner son tour d'horizon, rendu difficile en raison de sa vision trouble, et s'emparer des denrées qu'il ramène sur ses genoux. Il se jette dessus avec une avidité qu'il ne supposait pas et avale tout dans l'espoir d'être vite rassasié.

Un quart d'heure plus tard, il ne reste rien du repas préparé à son intention. Seiran est repu et se laisse retomber en arrière, toujours épuisé, dans les confortables oreillers qui ont supporté son sommeil. Il envisage néanmoins de se lever pour remercier son hôte et voir avec lui ce qu'il en est de la requête qu'il est venu lui soumettre. Dans son esprit, seul compte Hanano.

Après quelques minutes à rassembler ses forces, Seiran repousse les couvertures, mais réalise soudain que pour descendre du matelas, il va lui falloir glisser ses jambes dans le vide et s'appuyer sur ses pieds afin de se hisser dessus. Une opération qu'il n'a jamais menée en raison du fait que ce genre de couchage est tout nouveau pour lui. D'un côté, il envisage que cela lui soit plus facile pour se lever ; de l'autre, il appréhende de savoir si son énergie suffira à le maintenir debout.

La réponse s'impose d'elle-même.

Seiran n'est pas levé depuis trente secondes qu'il s'effondre sur la moquette aux teintes rougeoyantes. Ses genoux heurtent douloureusement le sol et ses mains ne l'aident que peu dans sa réception. C'est avec une immense frustration qu'il accueille sa défaillance. Son impuissance l'agace au plus haut point, surtout considérant qu'il porte l'avenir des siens sur ses épaules. Il les a déjà si souvent déçus qu'il refuse de manquer une nouvelle fois à son devoir. Il ira s'informer de la réponse de son hôte, peu importe qu'il doive ramper.

Fort heureusement, il n'aura pas besoin d'en arriver à de telles extrémités. Il décide de refaire une tentative en s'appuyant sur les meubles et parvient, cette fois, à se remettre debout et à y rester. Dans la foulée, il réussit à atteindre la porte et à gagner enfin le couloir.

À l'extérieur, c'est un tout autre univers qui l'attend. Point de couleur, rien que la morne grisaille de la pierre brute du bâtiment. C'est à peine si quelques bougies suspendues à leurs chandeliers muraux d'une simplicité déconcertante parviennent à éclairer le long corridor.

Seiran note malgré tout qu'il a dormi longtemps, car, à travers les rares fenêtres crevant les murs, il constate que la nuit s'est installée. Il n'avait aucune notion du temps écoulé depuis sa perte de connaissance jusqu'à maintenant, les épais rideaux de sa chambre ne laissant pas filtrer un seul rayon de soleil ou de lune. Il reste que même s'il est peut-être tard, il ne croit pas l'heure dérangeante pour un individu tel que Valoïs Luxtéria, au contraire. Encore faut-il qu'il puisse le retrouver.

Bien entendu, l'idée d'explorer les lieux a su se frayer un chemin vers son esprit. Seulement, considérant ses capacités à se livrer à un exercice aussi éprouvant alors qu'il a déjà eu toutes les peines du monde à sortir de son lit, l'onmyōji craint de ne pas pouvoir aller très loin. Il hésite même à faire demi-tour, mais c'est sans compter sur son obstination. Prenant appui contre la paroi glacée, il force dans ses muscles et entame ses recherches.

Hélas, son errance dure longtemps. Trop longtemps. Seiran finit par perdre une nouvelle fois le fil du temps. S'est-il écoulé des minutes ou des heures ? Au regard de son état, il est tenté de penser qu'il affronte l'éternité. D'autant qu'en dépit de ses pas, il ne cesse de remonter un couloir qui ne connaît pas de fin, toujours parfaitement identique. Pas l'ombre d'une issue ou d'une porte. Il s'agit assurément d'un maléfice, d'un piège, car aucune demeure ne pourrait accueillir un corridor aussi démesurément grand. Seiran est convaincu que le voilà en présence d'une magie particulièrement puissante.

Finalement, après encore quelques mètres, l'onmyōji se rend à l'évidence : la maison n'entend pas lui laisser atteindre sa destination. Quant à envisager de revenir sur ses pas, il n'y pense pas non plus. Conscient qu'il tourne à présent le dos à un décor similaire à celui qu'il a devant lui, il sait que vouloir regagner sa chambre ne serait que pure utopie. Il en regrette d'avoir cherché à s'obstiner quand son corps le suppliait de se reposer. Et là qu'il a dépensé toute l'énergie que sa pitance lui a octroyée, il n'a qu'une envie : qu'on mette fin à son supplice.

Encore un pas. Deux pas. Juste ce qu'il lui reste d'endurance. Tout à coup, son pied se dérobe à sa volonté. Seiran ressent un élan de panique lui serrer le cœur, mais ne peut s'empêcher de chuter vers l'avant, appréhendant par avance le contact froid de la pierre. Il ferme les yeux.

Rien ne vient.

Lorsqu'il relève le nez, il a la surprise de se retrouver contre un corps frais, dans des bras solides. Valoïs est là, sorti de nulle part pour le rattraper au vol. Une arrivée heureuse qu'il veut remercier au plus vite, poussé par le soulagement. Cependant, croisant l'expression froide et intraitable de ce dernier, il s'arrête, saisi par la beauté de l'image que son regard capture.

Au fond de ces prunelles d'un bleu magnifique, le reflet des flammes d'une bougie. Un éclat de chaleur dans des yeux qui en sont dénués. Une alliance entre la glace et le feu. Une dualité merveilleuse pour Seiran que cette seconde d'admiration fascine une nouvelle fois.

— Je ne m'attendais pas à te trouver debout à mon retour, lui signifie Valoïs.

— J'ai bien assez dormi et je vous suis reconnaissant d'avoir pris soin de moi.

— Qu'aurais-je dû faire alors que tu ne te réveillais pas ? Tu as dormi deux jours complets.

Saisi d'effroi à cette annonce, Seiran retrouve assez de forces pour se défaire de l'étreinte qui le soutenait.

— Deux... jours ?

Tout s'éclaire. Voilà donc la raison pour laquelle il avait si faim à son réveil.

— Mais, à ce que je vois, tu n'es pas encore remis.

— Je suis... de faible constitution, il est vrai, avoue Seiran, honteux.

— Ce qui ne joue pas en ta faveur. Tu m'as demandé de l'aide, ce qui n'était pas sans contrepartie. Je suis un vampire, et j'ai bon appétit. Si je ne peux me repaître convenablement de toi, tu ne me sers à rien. Je n'ai donc aucune raison de te retourner quoi que ce soit.

Ces propos font aussitôt réagir Seiran. Il se laisse emporter par l'énergie du désespoir.

— De grâce, accordez votre protection à Hanano. Je ferai en sorte de vous satisfaire. Vous n'avez pas à vous soucier de ma personne. Quoi que vous vouliez, je pourrais l'endurer.

— Je ne crois pas, non. Si ton corps ne peut produire suffisamment pour remplacer le sang que je te prélèverai à chacune de mes morsures, cela finira par te tuer. Non pas que ta vie me soit importante, mais je n'ai pas l'intention de bouger le petit doigt pour combler les attentes d'un jouet défectueux.

Seiran serre les poings en signe de rage silencieuse. Qu'il déteste cette existence que les dieux lui ont donnée ! Qu'il se maudit pour ces limites qu'il ne peut jamais dépasser ! Baissant la tête, il ose demander :

— Dans ce cas, pourquoi m'avoir laissé en vie ?

Un battement de silence s'impose entre eux, avant que Valoïs ne reprenne :

— Beaucoup de prédateurs aiment jouer avec leurs proies avant de les tuer. Tu es une proie intéressante, en plus d'avoir une saveur exquise. Je veux prendre mon temps.

Cette fois, terrassé, Seiran rompt le dialogue. Sa résignation lui vaut un froncement de sourcil de la part du vampire qui manifeste son étonnement.

— Ne vas-tu pas chercher à fuir ?

— À quoi bon ? J'ai choisi en mon âme et conscience de venir échanger tout ce que j'avais contre la sécurité de mon clan. Si je ne peux obtenir son salut, je n'ai pas plus de légitimité à vivre qu'à rentrer chez moi.

Valoïs marque une nouvelle pause. Sans manifester la moindre émotion, il se contente de claquer des doigts. Le son percutant en fait sursauter Seiran, mais, en réaction, une porte apparaît ; qu'il ouvre sur les appartements prêtés à l'onmyōji guère étonné de ce miracle.

— Nous en reparlerons. En attendant, retourne t'allonger.

Seiran obéit. Il se laisse reconduire à son lit, prisonnier autant de ses pensées que de ses regrets. Valoïs repart sans plus mot dire.


* * *


Jamais Tsubaki n'aurait pu accepter bien sagement la décision de Senri. Au regard de son attachement envers Seiran, il lui était inconcevable de ne pas organiser cette réunion au sein de la demeure Suzaku, résidence de la famille Tokonatsu nommée à titre de gardienne du sud d'Hanano. Paré de son kimono noir brodé d'un oiseau rouge majestueux dans le dos, il entend faire asseoir son autorité d'héritier pour convaincre ses semblables de s'unir à sa voix.

— Senri-sama a ordonné l'abandon des recherches de Seiran-sama, mais il est certain que le jeune maître n'aurait jamais trahi le clan. Peut-être a-t-il tout simplement décidé d'enquêter par ses propres moyens sur le phénomène qui sévit ? Je gage qu'il est parti pour trouver une solution. Si c'est le cas, il pourrait se mettre en danger. Peut-être l'est-il déjà ? Je refuse de rester les bras croisés sans avoir acquis l'assurance qu'il ne lui est rien arrivé, qu'il est en sécurité. Je veux que nous poursuivions l'enquête.

Réunis en ligne devant lui, à genoux sur de petits coussins plats posés à même le tatami, Suisen, Asagao et Sagiso échangent un regard avant que la seule fille en présence se décide à prendre la parole.

— Tu n'y penses pas, Tsubaki ? Nous n'avons aucune idée de l'endroit où s'est rendu Seiran-sama. Pas plus que nous n'avons de temps à accorder à son caprice.

— Un caprice ? bondit l'intéressé.

— Comment le qualifierais-tu autrement ? Car il est bien question de cela. Dans le cas où Senri-sama aurait raison et que Seiran-sama se serait enfui, il ne mériterait pas tant d'efforts. Dans celui où ton hypothèse se confirmerait, il reste que son silence nous est préjudiciable et que son obstination à vouloir faire cavalier seul nous dessert ! À l'heure où nous avons besoin de toutes nos forces pour lutter contre les attaques nocturnes des yōkai, sa place était ici plus qu'ailleurs. Par conséquent, nous n'avons ni le temps, ni les moyens de lui courir après.

Les paroles de Sagiso sont un couteau dans le cœur de Tsubaki. Ils ne laissent d'entrée aucune ouverture à la négociation. À quoi s'attendait-il ? La jeune femme traîne avec elle la réputation d'être à peine plus émotive que la Yuki-Onna, la terrible femme des neiges dont on dit qu'elle est la personnification de l'hiver. Elle lui emprunte d'ailleurs certaines caractéristiques physiques, à commencer par une peau d'une blancheur immaculée et de longs cheveux bruns. Et si ses iris d'un magnifique vert printanier auraient pu apporter une touche de chaleur à son visage que jamais n'éclaire le moindre sourire, il demeure au contraire que leur exceptionnelle couleur ne fait qu'accentuer cette absence de sentiments qui émane d'elle. Fait d'autant plus regrettable qu'en dehors de Seiran, tous les membres du Clan des Fleurs ne peuvent prétendre porter autre nuance d'yeux qu'un marron foncé tirant vers le noir. En définitive, celle-ci incarne l'image même de la rigidité et du détachement, mais quoi de plus naturel quand on sait que sa famille s'offre la protection de Genbu, la tortue noire associée à l'hiver et à l'eau.

— Je ne m'attendais pas à ce que tu me soutiennes, Sagiso, reprend-il. Toutefois, il était de mon devoir de réunir les quatre familles. Tu n'es là que pour entendre ce que j'ai à dire et te plier à la majorité si tous acceptent de me suivre.

Vexée, cette dernière se tait. Elle préfère guetter l'intervention des deux autres s'étant contentés d'écouter sagement leur dispute.

— Suisen-kun, Asagao-san, j'aimerais recueillir votre avis.

Asagao est le premier à lever une main pour prendre la parole.

— Je suis désolé, Tsubaki-kun. Je connais ton amitié et ton dévouement à l'égard de Seiran-sama, tout comme je sais que tu penses bien agir en nous sollicitant. Malheureusement, je me vois contraint de rallier l'avis de notre douce kunoichi qui a su exposer la situation avec le plus grand tact. Quand bien même nous souhaiterions le retrouver, nous sommes pieds et poings liés. Nous ne sommes pas de trop pour défendre Hanano, et la plus petite absence pourrait faire pencher la balance en faveur des yōkai. Si Seiran-sama est parti pour trouver une solution, il ne peut compter que sur lui-même. Au mieux pouvons-nous prier les kamis pour son succès.

Tsubaki croit le monde s'effondrer sous ses pieds. L'intervention d'Asagao porte un coup fatal à son entreprise, car, s'il était une personne qu'il espérait avoir dans sa poche, c'était bien lui : l'aîné des Quatre Fleurs, leur groupe. En tant que modèle de sagesse, de sang-froid, et un des meilleurs stratèges de la citadelle, il avait la certitude que son soutien forcerait celui des autres. Or, le shinobi tout de bleu vêtu vient de choisir son camp, lui adressant en sus l'un de ses sourires assurés attestant de la fermeté de sa décision.

Il ne reste alors plus qu'à Suisen de s'exprimer. Seulement, Tsubaki n'a pas besoin de l'entendre pour savoir qu'il a perdu. Son meilleur ami manifeste son embarras en maltraitant tantôt les manches de son kimono noir brodé de feuilles d'érable, tantôt sa longue tresse brune, cherchant le moyen de marquer son opposition sans le froisser.

— Je suis désolé, Tsubaki-kun, déclare-t-il finalement. Hanano est une priorité. Je te rappellerai, en outre, que nous avons prêté serment d'obéir à Senri-sama en l'acceptant en tant que nouveau chef des Kuruizaki. Aller à l'encontre de ses ordres serait un acte de trahison. Or, une guerre interne est bien la dernière chose que pourrait se permettre le clan. Nous ne pouvons pas nous déchirer. Nous devons rester unis, peu importe que cela nous contraigne à négliger Seiran-sama.

Le sort en est jeté. L'héritier des Tokonatsu a abattu toutes ses cartes en vain.

— Nous avons juré obéissance et assistance aux Kuruizaki, tente-t-il d'arguer en ultime recours. Cela inclut Seiran-sama...

— Et Seiran-sama avait prêté serment de servir au mieux les intérêts du clan, contre Sagiso non sans véhémence. Tant que nous ignorons si ses décisions ont pour but d'agir en ce sens, cela fait de lui un traître envers qui nos devoirs deviennent caducs.

— Un traître ? rugit Tsubaki.

Le sentant prêt à monter à l'assaut, Asagao intervient sur-le-champ.

— Les mots sont forts, Sagiso-chan. Retenons notre jugement et contentons-nous de parer au plus pressé pour le moment. J'ai des instructions à fournir à chacune de nos familles pour la défense de ce soir. Occupons-nous plutôt de cela. Sans compter que Senri-sama veut nous parler.

La décision de l'aîné est sans appel. Un soulagement pour Suisen, qui sentait déjà la situation s'envenimer. Tsubaki se voit donc obligé de clore l'entrevue, pas de gaieté de cœur. Il se désole, se déteste de ne pas être parvenu à les rallier à sa cause. Toutefois, son malaise ne passe pas inaperçu. Alors que tout le monde quitte la demeure Suzaku, Asagao s'assure d'être le dernier à fermer la marche pour le prendre à part.

— Tsubaki-kun, il arrive parfois qu'on doive faire un choix, lui rappelle-t-il. Je ne suis pas dupe. Je sais tout des sentiments que tu nourris pour Seiran-sama, mais nous servons l'intérêt d'un plus grand nombre, non celui d'un individu unique. Il n'y a pas de place dans le clan pour l'exclusivité. C'est aussi pour cette raison que nous ne choisissons pas ceux avec qui nous perpétuons la succession familiale. Ne l'oublie jamais !

Le samouraï se tait et fronce les sourcils, se contentant d'observer son interlocuteur tourner les talons pour lui laisser le temps de la réflexion. Foutues familles, foutu clan !


* * *


12 octobre 1348


La sueur au front, envahi d'un profond trouble, Seiran se réveille en bondissant presque de son lit. Il peine à croire qu'il se soit si facilement rendormi après deux jours de repos. Combien de temps s'est-il écoulé, cette fois ? Quelques heures ? Quelques jours ? Il cherche ses repères, survole toutes les horloges. Rien de concluant. Son seul moyen d'avoir une petite idée au moins sur le moment du jour reste la fenêtre vers laquelle il s'empresse de se rendre, ayant retrouvé ses forces.

Tirant d'un coup sec le rideau, il constate que le ciel est noir, mais loin d'être uniforme. Il devine une éclaircie dans un coin. La position de cette parcelle de lumière laisse à supposer le lever du soleil, ce qui a le don de l'affoler. Encore une nuit passée ; encore une nuit durant laquelle le sang a dû couler du côté d'Hanano. Son cœur se serre. Les visages de ses proches défilent les uns après les autres dans son esprit. C'en est trop ! Il doit convaincre au plus vite le vampire de l'aider.

Résolu, Seiran se précipite au-dehors et s'aventure une nouvelle fois dans le couloir, espérant ne pas devoir refaire face à cette magie trompeuse qui s'est jouée de lui lors de sa dernière tentative pour quitter ses appartements. Il reste qu'il n'a pas le temps de s'assurer ou non de l'activation de l'enchantement en ces lieux. Quelques mètres à peine et le voilà qui tombe nez à nez avec le vampire. Mais pour cette fois, c'est avec effroi qu'il accueille le spectacle de sa présence.

Valoïs vient manifestement de rentrer d'une longue balade nocturne. De son corps et de ses vêtements s'exhale une odeur forte d'humidité, de végétaux, mais, surtout, de mort. Son costume blanc surpiqué d'or est imprégné de sang des pieds à la tête. Même sa chevelure laiteuse n'en est pas exempte. Son cimeterre en main, les yeux dilatés, c'est un assassin, une bête, que l'onmyōji a face à lui. Instinctivement, ce dernier recule d'un pas, mais sa tension n'échappe par à Valoïs qui lui demande sur un ton acerbe :

— À quoi t'attendais-tu de la part d'un monstre tueur d'hommes ? Je te l'ai dit, je n'ai rien d'un dieu.

Un tueur d'hommes ? Mais qui a-t-il bien pu tuer alors que nous sommes à des kilomètres des premiers villages ?

Un terrible doute envahit Seiran qui espère se tromper.

— Dites-moi que vous ne soutenez pas les yōkai qui déciment mon clan !

— Et si c'était le cas ?

Seiran sursaute un bref instant, avant de prendre le temps de s'interroger sur la raison que pourrait avoir Valoïs de s'attaquer à Hanano. Manger ? Il n'est pas question de cela dans les assauts menés. D'ailleurs, il n'a pas souvenir de l'avoir ne serait-ce qu'entraperçu la nuit de son échec à soutenir les siens, ni qu'on ait rapporté la présence d'un individu aussi remarquable toutes les autres fois. Le vampire n'avait jamais fait parler de lui non plus, jusque-là.

— Pardon, je me suis emporté, se ravise Seiran. Je sais bien que vous n'êtes pas impliqué.

— Tiens donc !

— Les attaques menées contre ma cité sont animales et irréfléchies ; des assauts sauvages. Vous êtes assurément redoutable et dangereux, mais je vous pense d'une tout autre trempe. Et puis, je doute que vous m'auriez gardé en vie si tel était le cas. Vous auriez plutôt eu tout intérêt à vous débarrasser de l'un des onmyōji chargés de décimer les yōkai.

— Qu'est-ce qui te fait croire que je ne te manipule pas ?

— Me poseriez-vous la question si cela était dans vos projets ?

— Dire la vérité est parfois le meilleur moyen de la dissimuler.

Seiran esquisse un léger sourire. Cet échange a d'ores et déjà balayé tous ses doutes. Il a perçu quelque chose qu'il n'explique pas dans la voix tranquille de son interlocuteur. Quelque chose qui l'a mis en confiance.

— Je retire les accusations que j'ai proférées et vous présente mes plus sincères excuses.

Valoïs hausse un sourcil, sceptique quant à ce revirement. Seiran ne paraît, en prime, plus si effaré par tout le sang qui le couvre depuis qu'il sait que ce n'est pas celui de ses proches. Le vampire sent même qu'il a baissé sa garde. L'occasion est trop belle pour ne pas en profiter.

— Te sens-tu mieux ? lui demande-t-il.

— J'ai l'impression d'avoir récupéré un peu. Je peux de nouveau me lever sans m'effondrer et me mouvoir sans difficulté.

— Dans ce cas, je vais t'apprendre à te faire pardonner.

Avant même de comprendre ce qui lui arrive, Seiran se retrouve plaqué contre le mur, les deux bras immobilisés le long du corps contre la surface plane, le torse écrasé par celui de Valoïs. Son souffle s'en trouve presque bloqué. Il veut se défendre, protester, mais sa voix se perd au fond de sa gorge à l'instant où les crocs s'enfoncent dans sa chair. La douleur est si fulgurante qu'elle terrasse toutes ses résistances, toutes ses suppliques. Il ne peut que se contracter, serrer les poings, sa tension venant gonfler ses veines et nourrir d'autant plus le vampire profitant de ce repas servi sur un plateau d'argent.

Sans la moindre considération pour sa victime, Valoïs se régale du sang chaud qu'il sent couler au fond de sa gorge et descendre doucement en lui. Il se délecte de cette saveur toute particulière qu'il lui trouve. À mesure qu'il boit, son corps se réchauffe. Dans l'opération, ses ongles s'enfoncent dans ces poignets qu'il soumet à sa volonté. La bête qu'il est en est stimulée, excitée. Et l'abandon qu'il perçoit, relatif aux forces décroissantes de sa proie, est accueilli comme le signe de son triomphe, de sa victoire.

Seulement, comme la première fois, Seiran finit par défaillir et perdre conscience. Sans la pression de Valoïs officiant en barrage à toute tentative de retraite, il aurait terminé à terre. À la place, ce dernier ne tarde pas à ôter ses crocs, refusant de s'abreuver autant que précédemment.

— Dire que tu es à mon goût est un euphémisme, susurre-t-il à son oreille en le prenant dans ses bras.

D'un pas décidé, il ramène Seiran à sa chambre et l'étend sur son lit. Une fois installé, il s'apprête se retirer, mais retient son geste en croisant le visage endormi de l'onmyōji. La souffrance a quitté ses traits, le laissant plus paisible que durant leur échange. Valoïs en viendrait presque à regretter que ce ne fût pas le cas plus tôt, car, se perdant dans cette lecture, il ne peut s'empêcher de lui imaginer d'autres expressions qui auraient tout autant pu faire sa satisfaction. En naissent des idées étranges ; troublantes, dont il cherche vite à se débarrasser en détournant la tête.

Au même instant, il remarque que le rideau de la chambre est ouvert. Alors que l'aube se lève et le menace de ses rayons, il prend sur lui d'aller refermer prudemment. Toutefois, s'il s'exécute, ce n'est pas sans embrasser d'abord le paysage et repérer une sorte de point dans le décor, un peu plus en contrebas. À des dizaines de kilomètres de là, le dessin flou d'une grande cité que vient lécher un soleil timide : Hanano.

Cette vision lui arrache un soupir tandis qu'il clôt le rideau et quitte enfin la pièce dont seul le souffle léger de Seiran trouble le silence. Il n'a pas oublié la demande, et celle-ci fait route dans son esprit. Peut-être pourrait-il consentir à y réfléchir.


* * *


Quand Seiran émerge encore une fois de son état végétatif, il est furieux ; lassé de ne faire que dormir. Passe encore qu'il devienne le dîner du maître de la montagne, mais hors de question de continuer à le laisser le sucer jusqu'à l'évanouissement sans contrepartie. Ses périodes de repos sont bien trop longues à son goût. En y réfléchissant, il croit bien avoir vu s'écouler plus de nuits que de jours. Cela ne peut durer éternellement. S'il doit vivre ici, il entend bien imposer des limites. Comme si la douleur n'était pas déjà suffisante !

Plus motivé que jamais à faire valoir son opinion, Seiran repousse les draps, mais remarque qu'un plateau l'attend de plus belle, posé en évidence. De quoi l'amener à se raviser pour prendre le temps de se rassasier avant la confrontation qu'il espère avoir avec le vampire, pourvu que ce dernier lui permette de parler.

En conséquence, Seiran avale tout ce qui a été mis à sa disposition. Il n'en laisse rien. Quand son estomac est plein, il se lève, puis quitte sa chambre en dépit de son pas mal assuré et d'un vertige certain.

Parvenu au seuil de la porte, il passe la tête pour regarder à droite et à gauche. Les couloirs lui paraissent se ressembler d'un côté comme de l'autre. Pourtant, cette fois-ci, il décide d'emprunter plutôt la voie de droite dans l'espoir que la magie ne s'active pas. Dans tous les cas, il a l'assurance qu'il existe forcément un moyen de s'extraire de cet habile piège qui rendrait fou n'importe qui, ne reste qu'à trouver comment. Quelque peu en meilleure forme que précédemment, il est prêt à relever le défi.


* * *


13 octobre 1348


L'aube se lève lorsque Valoïs rentre au château. Les portes claquent derrière lui dans un bruit sourd soutenu par le heurt des anneaux de fer sur leur surface. Un instant, il prend le temps d'apprécier ce retour au calme, cette atmosphère sécurisée par ces murs familiers, et l'odeur de la vieille pierre et du bois vermoulu flottant dans l'air. Chez lui, voilà le sentiment qu'il éprouve en revenant d'une longue nuit de chasse qui, encore une fois, n'a pas épargné ses vêtements rayonnants.

Il est tiré de ces songes par une voix jeune et arrogante, un timbre taquin et frondeur.

— Ohé ! Maître, il faudrait penser à vous occuper du parasite. Il a passé la nuit à nous défier. Plutôt tenace, mais il a eu tort de jouer au plus malin.

Levant le nez en direction de l'escalier qui lui fait face, Valoïs fronce les sourcils en observant avec sévérité son petit interlocuteur : un garçon haut comme trois pommes, paré d'un kimono blanc et d'un hakama noir. Rien qui ne le rende pourtant tout à fait humain, considérant les nombreux autres détails de son anatomie somme toute particulière. Noyée entre ses mèches d'un roux très clair, presque un blond foncé teinté, l'enfant arbore en effet une paire d'oreilles animales venant couronner le sommet de son crâne. S'ajoute à cela, le port de pas moins de neuf queues de renard, rattachées au bas de ses reins. Il émane ainsi de sa personne un côté surnaturel et mystérieux accentué par ses yeux couleur de l'aurore et ses dents de canidés.

— Qu'est-ce que vous avez encore fait, Zurui ?

— Nous ? Rien de plus que d'ordinaire, maître, fanfaronne-t-il en sautillant sur place. Vous nous avez dit d'assurer la protection du château, c'est ce que nous avons fait. Nous ne veillons toujours qu'à vos intérêts, et nous avons fait en sorte de faire comprendre à l'humain qu'il était plus sage de ne pas quitter la jolie chambre préparée pour lui. Je doute qu'il lui reprenne l'envie de se confronter au labyrinthe. Dire que c'est un onmyōji ! Je n'en ai jamais vu de si médiocre. Comment n'a-t-il pas pu songer avoir affaire à la magie d'un yōkai ?

Au discours qu'il recueille, le vampire pousse un profond soupir.

— Je vous remercie de vos services, mais je doute que cela soit nécessaire le concernant. Cet homme n'est pas mon prisonnier. Il est venu de son plein gré.

— Envisagez-vous de le laisser arpenter notre maison ?

— Oui, Zurui. Je te charge de t'occuper des détails.

La moue boudeuse, l'intéressé n'apprécie que modérément la confirmation qu'il récolte.

— Ça sent les ennuis à plein nez, Maître.

Lui jetant un lot d'une dizaine de médailles, Valoïs proteste.

— Pas plus avec lui qu'avec ceux de l'autre versant.

L'enfant paraît surpris, mais s'empresse de tout ramasser en le félicitant.

— Tant que ça, rien que cette nuit ? Je vois que la chasse a été bonne.

— Aucun mérite. Des débutants envoyés au casse-pipe.

— Ils ne comprendront donc jamais rien ?

— Ils sont obstinés et motivés. Des qualités, je crois.

— Je dirais plutôt « suicidaires ». Valoïs Luxteria n'a jamais flanché en mille ans. Comment imaginer qu'il en viendra un qui surpassera tous les autres ?

Récupérant son cimeterre et le portant à son regard, Valoïs inspecte sa lame rougie du sang de ses victimes. L'acier lui renvoie une image trouble et sombre qui n'atteste en rien de son reflet exact. Aussi finit-il par la soustraire à sa vision avant de lui répondre :

— Il y a toujours plus fort que soi. C'est bien pour cela que je suis ravi de t'avoir à mes côtés.

Zurui lui retourne une expression de fierté exagérée, puis se retire avec les colliers offerts.

De son côté, le vampire monte les escaliers, bien décidé à rejoindre Seiran qui n'a, semble-t-il, pas été épargné. Il a d'ailleurs tôt fait de le retrouver, adossé contre un mur, terrassé par la fatigue. À l'évidence, l'onmyōji s'est débattu toute la nuit contre le labyrinthe ; sans réussir à se tirer du piège. Valoïs en éprouve un brin de compassion, conscient des dons de son entourage à pouvoir se montrer fourbe et mesquin. Par conséquent, il s'approche le plus silencieusement possible.

Quand il parvient à sa hauteur, il s'accroupit et pose une main sur son épaule.

— Réveille-toi ! Tu ne peux pas dormir ici.

Sa voix douce et grave réussit à le tirer des méandres du sommeil.

— Oh ! Je me suis assoupi... On est le matin, n'est-ce pas ?

Valoïs confirme d'un signe de tête. En retour, Seiran le gratifie d'un air crispé engendré par la vision de tout cet écarlate qui tache le costume du maître des lieux. Ce dernier choisit néanmoins de passer outre en préférant aborder le sujet du labyrinthe.

— Le château est protégé par un sortilège d'illusion qui s'active dès que je ne suis plus là. Il était vain de t'acharner autant. Tout ce que tu avais à faire était de te reposer.

— J'ai assez dormi ! se braque Seiran, sautant sur l'occasion. Et qu'est-ce que ça veut dire ? Vous comptez me garder cloîtré dans cette pièce ? Me rendre visite simplement lorsque vous aurez faim, me saigner jusqu'à ce que je m'effondre, et ne revenir que quand je reprendrai mes esprits pour me tenir coincer dans cette boucle infernale ?

Le regard de son interlocuteur s'obscurcit.

— Il n'a jamais été question de cela. Ce n'est pas de ma faute si tu es trop faible pour endurer mes succions. Ensuite, sache pour ta gouverne que je t'ai prélevé deux fois moins de sang à ta dernière morsure qu'à celle d'avant ; sans quoi, tu serais toujours prisonnier de Morphée. Tu pourrais donc commencer par te montrer reconnaissant.

À cette annonce, Seiran observe un sursaut et prend un temps pour analyser ce discours. Effectivement, compte tenu du fait qu'il se sent un peu plus en forme que précédemment, il est prêt à admettre que Valoïs pourrait bien s'être mesuré.

— Je vois qu'on s'est compris, poursuit le vampire. Pour finir, sache que j'allais justement t'informer de ma prise de dispositions pour te laisser libre de circuler dans le château. Cependant, au regard de cette attitude, j'en viendrais presque à reconsidérer ma décision.

— Pardonnez-moi, j'ai douté de vous, je l'admets, retourne avec empressement Seiran, honteux. Je ne vais pas me trouver d'excuses. Simplement, j'ai passé tant de temps alité ces derniers jours que mes nerfs sont à rude épreuve. Je vous promets que cela ne se reproduira plus.

— J'ose l'espérer. Quoi qu'il en soit, le piège ne t'affectera plus. Il ne t'était pas spécialement destiné, mais il reste essentiel à la protection de ce lieu contre d'éventuels intrus. D'autres revendications à formuler ?

Point de réponse. À la place, Seiran se montre prêt à endurer un assaut punitif. Pourtant, rien ne vient. Valoïs se contente de scruter la plus petite de ses réactions, cherchant sans doute à mesurer sa sincérité. Quand il paraît assuré que celui-ci entend se faire obéissant, il se relève et l'invite à faire de même.

— Suis-moi !

Sur le coup, Seiran n'est pas certain d'avoir bien compris. Cependant, voyant Valoïs amorcer son départ, il finit par se redresser pour le rattraper, se laissant entraîner au bout du couloir, une dizaine de portes après la sienne, pour en atteindre une unique située en plein centre d'une sorte de carrefour autour duquel s'articulent d'autres corridors.

Parvenus à destination, son hôte place sa main sur une plaque dorée officiant en qualité de serrure et sa magie en débloque l'accès comme si sa paume en était la clef. Une démonstration qui laisse l'onmyōji pantois.

— Impressionné ? le questionne Valoïs.

— Je le confesse.

— Tu n'as encore rien vu.

Le vampire n'en dit pas plus et pousse le battant qui s'ouvre sur une nouvelle chambre : la sienne. Il y entre et invite Seiran à faire de même.

— Ne reste pas sur le pas de la porte, il y a beaucoup de courants d'air dans le château. Vu ta santé, tu risques d'attraper la mort.

Le jeune homme ne se fait pas prier, avouant ressentir le froid à travers le tissu épais de son kimono. Néanmoins, il oublie très vite ces petits désagréments en découvrant l'endroit dans lequel il pénètre. S'il s'étonnait déjà des appartements mis à sa disposition, jamais il n'aurait imaginé que Valoïs puisse avoir poussé plus loin encore l'extravagance.

La pièce est magistrale, haute en couleur. À terre, des monticules de coussins à n'en plus finir remplacent le pavé, l'étouffant, pour ne plus permettre d'y poser un pied. Au point qu'entrer en vient à relever plus d'une escalade ou d'un exercice d'acrobatie que d'une formalité. Aux murs, une multitude de tableaux figurant principalement des natures mortes, dont les cadres dorés se superposent pour dissimuler la tapisserie d'origine. Il n'y a pas une fenêtre sans trois voire quatre rideaux épais osant un mélange de couleurs autant qu'un croisement des matières. Au plafond, des tentures par dizaine, dans des étoffes fines et transparentes, forment de vaporeux baldaquins. Pour mobilier, une immense bibliothèque située juste à gauche de l'entrée à laquelle a su s'intégrer la cheminée devant laquelle s'étend un sofa couvert d'une peau de bête émergeant à grand-peine de l'océan d'oreillers. Sur la droite, enfin, une porte à double battant s'ouvre sur une chambre plus sobre. Le tout saupoudré d'une quantité innombrable d'objets en tous genres, de bric-à-brac, de décorations, de jouets, d'outils, d'instruments et de babioles semés aux quatre vents et dispersés dans tous les recoins possibles et imaginables.

Il faut un petit moment à Seiran pour oser avancer davantage et se risquer à perturber le fragile équilibre établi. En revanche, Valoïs a bien moins de scrupules à écraser les coussins sous son pas pour rejoindre son sofa et s'y installer tranquillement sans craindre de tâcher de sang la fourrure destinée à accueillir son séant. Y retrouvant un livre qu'il avait précédemment entamé, il attend que Seiran fasse l'effort de combler un peu la distance entre eux pour l'aborder de nouveau.

— Bien. Je crois que nous avons à parler, toi et moi. Si tu me racontais en détail ce qui arrive à Hanano.

Surpris que ce soit ce sujet qui tombe, Seiran relève aussitôt les yeux dans sa direction. Il ne cache pas l'espoir qui s'allume d'un coup dans son esprit. Porté par cette petite flamme, il lui offre alors une version longue et détaillée des faits.

Une fois l'état des lieux terminé, Valoïs croise les jambes et récupère un livre entamé qu'il se met à feuilleter tranquillement dans un geste mécanique destiné à accompagner sa réflexion. Il prend un temps pour assimiler ce qu'il vient d'écouter. Suite à quoi, il lui demande ouvertement :

— Pourquoi moi ?

— Ma mère me racontait souvent l'histoire du dieu de la montagne protégeant Hanano depuis les hauteurs, dans son château, explique Seiran en retrouvant le sourire. Elle disait qu'il était le gardien de la paix sur la vallée. Que nous avions pour mission de veiller sur le pays, mais que, si un terrible événement se produisait et nous mettait en difficulté, ce serait lui qui viendrait pour nous. Je n'ai jamais pu oublier cette histoire, et j'ai toujours éprouvé un grand respect pour cet ultime protecteur. Ce gardien dont ma mère parlait, c'était vous.

D'un geste sec, Valoïs referme son livre.

— En d'autres termes, tu me prends pour votre héros.

— Est-ce mal ?

— Je suis tout sauf un héros.

— Vous pourriez devenir le nôtre !

— Qui te dit que j'en ai envie ?

— Nul ne devient héros par envie, mais par la force des choses.

— Et justement, rien ne m'y force.

— J'ai promis de m'offrir à vous contre votre soutien, rappelle Seiran. N'allez-vous pas respecter les termes de ce contrat ?

La mine du vampire s'assombrit.

— Après ce que tu as déjà vu et subi en si peu de temps, tu t'obstines à vouloir rester ici ?

— Oui.

Conscient de son absence de doute, Valoïs se relève tout en le gratifiant d'un air sévère.

— Tu as tort de refuser de partir tant que tu le peux encore. Tu ne sais pas tout le prix que tu t'apprêtes à payer.

— Je ne m'y déroberai pas. Je le ferai pour les... pour ma famille !

Pas de réponse.

Une seconde s'écoule.

Puis une autre.

Soudain, un soupir s'échappe des lèvres de Valoïs. D'un pas lent, il revient se dresser face à lui. Son regard se met à dériver sur son épaule vers laquelle il relève la main, y récupérant une petite créature fragile qu'il présente à son attention : un papillon, dont les ailes diaphanes irradient d'un magnifique turquoise que Seiran observe avec émerveillement.

— Qu'est-ce donc ? l'interroge l'onmyōji, curieux.

— Un détail qui ne devrait pas s'envoler.

— Allez-vous le tuer ?

— Bien sûr que non.

— Vous m'en voyez soulagé, s'exclame Seiran en plaçant une main sur son cœur. Il aurait été dommage de tuer un être si beau et si fragile.

Il en recueille un regard teinté d'une pointe d'amusement.

— Tu es un garçon vraiment très étrange.

— Pas tant que vous, Valoïs-sama, lui retourne-t-il avec un sourire sincère.

— Sama ?

— C'est un suffixe de politesse destiné à témoigner d'un profond respect envers une personne qui nous est supérieure.

— Rien qui ne sonne bien à mon oreille. Trop de « s ».

— C'est peut-être vrai. Dans ce cas, que pensez-vous de « Val-sama » ?

— Peu importe. Fais selon tes désirs.

Seiran prend cette réponse pour un accord. Il en profite pour lui demander s'il peut se rendre utile, d'une manière ou d'une autre, mais Valoïs proteste.

— Le jour est levé, la lumière du soleil m'est nocive, je vais donc me coucher. Tu es libre de faire ce que tu veux, tant que tu ne me déranges pas. En ce qui te concerne, peut-être devrais-tu prendre encore une journée de repos, tu es blanc comme neige.

En réponse, Seiran s'incline en révérence et se montre prêt à obéir. Il ne retient une ultime fois son pas que pour lui dire :

— Vous aviez raison, je ne vous ai pas remercié de m'avoir ménagé lors de la dernière morsure. C'était très aimable de votre part, je vous en suis reconnaissant.

— Ce n'est rien. Qui veut aller loin ménage sa monture, justifie Valoïs.

— Je ne vous dérange pas davantage, je vous laisse vous reposer.

Conformément à son annonce, l'onmyōji quitte les lieux et referme derrière lui, abandonnant le vampire à ses affaires. Toutefois, malgré son départ, ce dernier semble vouloir repousser encore le moment de dormir. Regagnant bel et bien sa chambre, moins encombrée, Valoïs ignore son lit pour se rendre plutôt auprès d'une petite horloge couverte d'une cloche de verre. Soulevant la protection de celle-ci, il s'empare de l'instrument dévoué au temps pour le mettre de côté. Seul le globe l'intéresse. Dessous, il y place le papillon qui n'a pas quitté son doigt et l'y enferme.

— Il y a des détails qui ne devraient vraiment pas s'envoler.

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