Miroir ➳ 𝔅𝔞𝔫𝔤 ℭ𝔥𝔞𝔫

Étoilisme

"Qu'est-ce que tu vois dans ce miroir ?"

Les mots de Chan tournent en boucle dans la tête de Heejin, comme un refrain qui ne veut pas sortir de sa mémoire. Elle regarde longuement son reflet et se concentre, y met toute sa volonté, le peu de force qui lui reste, mais rien à faire, elle n'y arrive pas. Plus le temps passe, moins elle n'y lit d'espoir. La mort l'enveloppe peu à peu, elle le sait, elle le voit dans ses cernes, sur sa peau, dans son regard... Ça la terrifie, mais c'est un fait, elle n'y peut rien. On ne lutte pas contre la mort, elle est malheureusement plus forte que tout, et gagne toujours.

Ces derniers temps, elle a bien essayé de retrouver l'espoir, pour Chan. Il croit tellement en elle. Et en surface, elle y arrivait. Mais au fond, elle savait que c'était vain, inutile, trop tard. Elle ne peut plus se mentir à elle-même, elle se sent si faible. Elle sait qu'elle va mourir. Son corps ne répond plus à ses attentes et à sa volonté, il ne peut plus se déplacer seule, et c'est très frustrant. Déprendre d'autres personnes pour le moindre mouvement souhaité, c'est trop humiliant pour Heejin. De toute façon, depuis quelques jours, les médecins ne prennent plus la peine de la déplacer. Elle est branchée de partout et des tuyaux répondent à tout ses besoins vitaux sans qu'elle n'ai à se lever. Un légume. Elle a l'impression d'être un vrai légume. Immobile, inutile, presque mort.

Elle ne vit plus, elle suivit. Son seul rayon de bonheur, se sont les visites de Chan qui sont presque devenues journalières. Peut-être qu'il sent qu'elle va partir, et que c'est pour cela que ses visites sont de plus en plus fréquentes. Sans Chris, elle n'aurait plus aucun goût à la vie. Il est la petite bougie qui persiste à éclairer quelque peu ses jours, et qui retarde l'arrivée pourtant imminente du noir et du silence.

Elle ferme les yeux et repose le miroir sur sa couverture. Ce qu'elle y voit la dégoûte tellement... Son reflet lui fait presque autant peur que la mort. Non en réalité, ce miroir reflète la mort. Une mort qui marche lentement vers elle, prête à l'engloutir. Savoir que l'on va mourir est la pire sensation au monde. Tout le monde en à conscience, évidemment, mais savoir que c'est imminent, réel, sans échappatoire, c'est effrayant. Il y a des tas de choses que Heejin aurait aimé vivre mais qu'elle ne pourra jamais. Des tas d'endroits qu'elle n'a pas visités, des promesses qu'elle n'a pas tenues...

Elle donnerait n'importe quoi pour retourner dehors une dernière fois. Courir pieds nous dans l'herbe, aller dans une boutique de bonbons et ne pas avoir la nausée, juste rester assise au Soleil, au bord d'une piscine... Pouvoir voir les étoiles et faire un vœux en en voyant une filante la nuit. Mais elle est sûre qu'elle va mourir avant d'en voir une et avant de pouvoir refaire toutes ces choses...

- Salut toi...

Une voix familière la tire de ses pensées macabres.

- Channie...

Elle est contente de le voir. Même si parfois elle est tellement ailleurs qu'il lui faut plusieurs longues secondes pour qu'elle le reconnaisse. Elle est heureuse qu'il soit toujours patient avec elle, qu'il soit toujours là.

- Non, ne parle pas. Garde tes forces, dit-il en s'approchant.

Chris sait bien que pour elle, c'est devenu difficile de tenir une conversation. Alors généralement, il reste simplement allongé à côté d'elle, pendant qu'elle dort, blottie dans ses bras. Ça leur suffit à tous les deux, même si l'état de santé de Heejin inquiète beaucoup le jeune homme. Elle n'a plus autant d'énergie qu'à leur rencontre, elle n'est plus qu'une ombre. Leurs longues conversations ne sont plus que des souvenirs, elle n'est plus capable d'en tenir une.

Il vient près d'elle et lui caresse la main du bout des doigts bercant la jeune femme. Il ne lui demande plus comment elle va. Il parle régulièrement avec des médecins, il sait qu'elle souffre en permanence, même si elle se mure dans le silence et ne se plaint jamais en la présence de Chan. Elle lui ment toujours en disant qu'elle se sent bien, alors ça ne sert plus à rien.

- Minho voulait venir, mais je lui ai dit que tu étais très fatiguée, dit-il.

Elle hoche doucement la tête, le coeur serré. Elle aimerait beaucoup que les garçons reviennent, mais elle se sent incapable de ne serait-ce que leur parler. Et puis, elle ne veut pas qu'ils la voient ainsi. Elle se sent minable, misérable, elle a honte d'elle-même. Elle préfère qu'ils se souviennent d'elle comme une fille souriante, qui les applaudie après un petit concert privé. Quelques jours seulement se sont écoulés depuis, et pourtant aujourd'hui elle n'a plus la force d'applaudir. En quelques jours, c'est comme si sa vie était partie. Le peu de vie qui lui restait... Tout va très vite ces derniers temps, elle le sent. Simplement, elle évite de le dire à Chris pour ne pas l'inquiéter. Même si elle pense qu'il est courant, il parle souvent à ses médecins.

- Il m'a confié des photos de ses chats, continue le chanteur. Il avait promis de te les présenter. Tiens, regarde.

Il sort les images de sa poche et les place devant les yeux de Heejin qui sourit faiblement. Minho ne l'a pas oublié, elle s'en sent reconnaissante.

- Ils sont beaux... Lequel est lequel ?

Elle est essoufflée aux moindres mots qu'elle dit. Sa respiration est sifflante, et cela serre le cœur de Chris, qui vient lui caresser le dos avec tendresse.

- Soonie est là, Doongie ici et Dori est à droite. Enfin je crois.

Elle hoche la tête en souriant doucement, heureuse de rencontrer les chats du danseur, même en simples photos.

- Je peux les garder ?

- Bien sûr, elles sont pour toi.

Elle prend les clichés et les serre contre son cœur. Elle est touchée que Minho se soit souvenu de cette promesse, et qu'il ai prit le temps d'imprimer des photos juste pour elle. Elle a le sentiment, pour la première fois de sa vie, qu'elle a de vrais amis qui tiennent à elle et qui s'inquiète pour elle. Pour la première fois de sa vie, elle ne se sent pas seule. Elle murmure :

- Tu le remercieras de ma part.

Il embrasse son front.

- Promis.

Quand elle était petite, Heejin avait un chat. Un vieux chat qu'elle adorait. Et ce chat était détestable avec tout le monde, ses parents, son frère... Sauf avec elle. Ils s'entendaient à merveille. Il venait dormir dans son lit, collé à elle, alors qu'il crachait sur ses parents. Quand ce chat est mort, Heejin a ressenti un vide immense en elle. Elle se sentait seule, chaque fois qu'elle allait se coucher dans un lit vide. Alors elle a toujours ressenti cet attachement pour les chats, même ceux qu'elle ne connaît pas, comme ceux de Minho. Mais les aime déjà. Elle aurait aimé les rencontrer... Elle ne sentiras plus jamais la douceur des poils d'un animal.

Heejin ne cesse de penser à toutes ces choses qu'elle ne fera plus jamais. Ça l'obsède, même si c'est mal et que cela lui mine le moral, elle ne peut pas s'en empêcher. Elle a peur que chacun de ses mots ne soit le dernier. Elle a peur que chacune des visites de Chan ne soit un adieu. Elle a peur que chacun de ses battements de cœur ne signent son départ. Elle a si peur... Elle a l'impression qu'un compte à rebours est lancé sur sa vie, et qu'il s'agite et s'affole en arrivant près de la fin...

- Chan...

- Oui ?

- Je peux te demander un service ? demande-t-elle d'une petite voix.

- Bien sûr, tout ce que veux.

- Est-ce que tu peux ouvrir la fenêtre ?

Il hésite.

- Il fait nuit et froid, je ne suis pas sûr que ce...

Elle le regarde profondément, et il la trouve soudain adorable en cet instant, qu'importe à quel point elle se trouve repoussante, il l'aime ainsi, et à ses yeux, elle est juste belle. Belle parce qu'elle se bat encore malgré tout, belle parce que toutes les cicatrices que lui a fait la vie n'ont pas suffit à l'anéantir. Elle est belle, et Chan aimerait qu'elle se voit comme telle. Elle supplie :

- S'il te plaît... Et aide moi à me lever ensuite.

- Non, refuse cette fois gentiment Chan en la bordant. Tu es trop faible. Reste ici, allongée, au chaud. Si tu veux je m'installe avec toi, comme d'habitude.

Il ne veut pas qu'elle se fatigue inutilement, elle doit garder le peu de force qu'elle a pour se battre contre son cancer. Chan ne veut pas abandonner, il veut encore y croire, il veut sauver le peu de force qu'elle a, mettre toutes les chances de vie de son côté. Mais elle insiste, déterminée :

- Je veux voir les étoiles. Une dernière fois. Est-ce que tu peux le comprendre ?

Le cœur de Chris se contracte. Il n'aime pas qu'elle parle ainsi, comme si tout ce qu'elle vivait était son ultime fois. Mais c'est ce qu'elle ressent ses derniers jours, alors elle vit chaque sensation intensément. Elle veut chaque petite miette qu'elle peut saisir, même ce n'est pas grand chose. Pour elle c'est déjà beaucoup. Il répond, les dents serrées :

- Tu ne vas pas mourir.

Il refuse de cesser d'espérer un miracle, Heejin le sent bien. Mais elle, elle est plus rationnelle, elle rêve moins. Elle ne rêve plus du tout en fait, elle a comprit que c'était inutile face à à cancer. Ça ne serre qu'à se donner de faux espoirs qui ne seront que plus douloureux une fois brisés. Elle répond doucement :

- Pourquoi tu te berces encore d'illusions ? Chan... Je veux juste voir les étoiles. Je t'en supplie.

Il soupire, mais cède. Il ne peut rien lui refuser de toute façon.

Il teste la température extérieure et il frissonne. Le vent est frais, mais supportable, alors il laisse la fenêtre ouverte comme elle le veut. Il vient ensuite placer une chaise tout près de l'ouverture et Heejin le regarde faire, un fin sourire aux lèvres. Elle ne cesse de se demander ce qu'elle ferait sans lui... Il revient ensuite près d'elle et la soulève avec douceur et attention, comme une princesse, pour qu'elle n'ai pas à faire le moindre effort. Elle est toute légère, alors ce n'est pas difficile pour le jeune homme. Elle se laisse faire, et Chan la dépose sur la chaise, l'installant le plus confortablement possible, faisant attention à ses perfusions. Il dépose ensuite une couverture sur ses épaules. Il espère qu'aucun médecin ne va débarquer, il n'a sûrement pas le droit de faire ça. Mais en arrivant, il en a croisé un qui sortait de la chambre A17, alors ils ne devraient plus être dérangés avant un moment.

- Merci, mumure-t-elle.

- Tu es à l'aise ?

- Parfait.

Tout son corps est tremblant. Rien que le fait d'avoir un peu bougée, elle a peur de s'être cassée. C'est comme si ses os étaient en verre et ses muscles en barbapapa. Elle se sent toute molle, toute fragile, elle a des sueurs froides qui lui donnent des frissons dans le dos. Elle tremble. Mais elle ne dit rien pour ne pas inquiéter Chan et lui donner raison quand il disait qu'elle n'était pas capable de bouger. Elle veut lui montrer qu'il lui reste encore un peu de force, même si elle n'y crois plus elle-même.

Elle lève les yeux vers le ciel. Par chance il est parfaitement dégagé, alors elle a une vue imprenable sur les étoiles qui tapissent la nuit. Des centaines de milliers de points lumineux qui dansent devant ses yeux. Elle est subjuguée par la beauté de la nature, qu'elle avait presque oublié à force d'être ainsi enfermée et ce depuis si longtemps... Presque neuf mois déjà. En voyant les étoiles, elle a l'impression qu'elle s'évade de l'hôpital, de renaître. C'est magnifique, elle en a le souffle coupé. Elle voudrait tant être allongée dehors, blottie contre Chan, le corps étalé dans l'herbe, à même le sol, ne faisant qu'un avec la nature, le regard vers le ciel. Si seulement elle pouvait sortir une dernière fois... Elle va mourir ici. C'est étrange de le dire ainsi. Elle ne connaîtra plus rien d'autre que ces quatre murs blancs.

Elle cherche la Grande Ours, la constellation préférée de Taehyun, celle qu'ils regardaient, allongés dans l'herbe quand ils étaient petits. Puisqu'il est là haut, elle est sûre qu'il est désormais une des étoiles qui la constituent et qu'il peut la voir le chercher du regard depuis la fenêtre.

- Chan...

- Hum ?

- Où est la Grande Ours ?

Il passe la tête par la fenêtre, la cherche et répond d'une voix douce :

- Juste là, regarde.

Il la pointe du doigt et Heejin tend le cou pour la remarquer, enfin. Son coeur s'emballe. Oui, Taehyun est forcement là-bas, elle le sent. Elle souffle d'une voix émue, sans lâcher la constellation des yeux :

- Merci, je la vois maintenant... Je te vois maintenant...

Sa voix se perd dans ses larmes. Elle a l'impression de revoir son frère, alors l'émotion lui prend la gorge. Elle a du mal à déglutir et son cœur semble fondre. Elle n'arrive pas à détacher son regard de la Grande Ours.

Chan ne dit rien, il la regarde avec tendresse. Il comprend qu'il a bien fait de l'écouter, elle avait besoin de voir les étoiles. Et la voir avec des paillettes dans les yeux, il n'y a rien qui ne puisse lui faire plus plaisir. Elle semble plus vivante que jamais, alors qu'elle n'a jamais été plus proche de la mort. Il sent l'émotion de la jeune femme dans sa façon de regarder la constellation. Peut-être qu'elle pense à Taehyun, sûrement même. Alors il s'assoit au sol, près de la chaise de Heejin, et lève à son tour ses yeux vers le ciel, songeant à ses grands-parents. Après tout, peut-être qu'ils sont là haut aussi. Est-ce qu'ils seraient fiers de lui en le voyant aujourd'hui, dans cette chambre avec Heejin ? Sa gorge se sert à cette idée. Il aimerait qu'ils soient là pour le lui dire directement.

- Heejin, est-ce que tu es croyante ?

- Non, souffle-t-elle. Et toi ?

Il secoue la tête et continue :

- Je propose qu'on invente notre propre religion alors.

- Ah oui, laquelle ? demande-t-elle, curieuse.

- On va croire en les étoiles. Et notre religion sera... L'étoilisme.

Elle sourit.

- Je ne sais pas si c'est nul ou brillant.

Il la regarde dans les yeux et murmure :

- C'est brillant. Comme les étoiles.

- Parfait, dit-elle sans lâcher le regard de Chris. Tu m'as convertie.

Ils lèvent de nouveau les yeux vers le ciel et leur pensées divaguent chacune de leur côté. Le silence est délicieux, émouvant, ils n'entendent que la respiration saccadée de Heejin qui les ramène de temps en temps à la dure réalité.

Chan pense à ses grands-parents, et à tous les souvenirs qu'il a partagé avec eux, aux adieux déchirants qu'il a dû leur faire. Il a peur que l'heure ne vienne de les revivre avec Heejin. Il n'en a pas envie, il n'est pas prêt. Il n'aura pas la force de lui dire au revoir, il ne peut pas la perdre. Il savait qu'en s'attachant à elle, il risquait de souffrir, il ne regrette rien. Mais il n'arrive pas à concevoir le départ de la jeune femme, c'est trop irréel et douloureux. Pourtant il le voit, elle perd en éclat de jour en jour, comme une étoile qui s'éteint doucement. Il aimerait que Heejin continue de briller pour toujours. Il voit soudain une étoile filante dans le ciel, alors il ferme les yeux. Et il demande un miracle.

Heejin pense à son frère et à toutes les choses qu'elle aimerait lui dire. Elle n'a pas pu lui dire au revoir. C'est arrivé vite, sans qu'elle n'y soit préparée. Au moins, elle, elle voit sa propre mort venir lentement jusqu'à sa personne. Mais celle de son frère... Elle a été brutale. Peut-être encore plus que la sienne. Mais au moins, il n'a pas souffert... Elle espère que Chan ne souffrira pas trop à sa mort, elle espère qu'il s'y prépare. Elle n'a pas envie de l'abandonner, mais le cancer est plus fort que sa propre volonté. Elle voit une étoile filante et son cœur bondit. Enfin, elle n'attendait que ça. Elle ferme les yeux et fait un vœux. Elle se mord la lèvre et souhaite que son départ n'affecte pas trop Chan, et qu'il soit capable de rebondir sans que ce ne soir trop douloureux...