Ne voulant pas montrer sa surprise, Ash lui prend la plaquette des mains et continue de ranger ses articles, sans lui réponde. Le jeune homme, toujours le sourire aux lèvres, l'observe faire, jusqu'à ce qu'elle se redresse, son sac sur son épaule.
Sans lui lancer un seul regard, elle passe à côté de lui, ne voulant en aucun cas lui parler.
- Je pensais que tu ne m'avais pas reconnu mais il faut croire que si, continue l'homme en la suivant de près.
- Arrêtez de me suivre, dit-elle durement sans se retourner.
- J'aurais une proposition à te faire.
Il lui attrape le bras, la forçant à s'arrêter. Elle lui jette un regard noir.
- Lâche-moi.
- Tu as mangé, demande-t-il en ignorant son ordre. On pourrait prendre notre petit déjeuné ensemble.
Elle lui donne un coup dans le ventre, le faisant perdre son emprise sur son bras. Elle s'écarte de quelques pas puis reprend son chemin en remettant correctement sa capuche.
- Il me semble que tu as besoin de moi. Je peux t'aider ! Sauf si tu veux faire une autre mission du même genre que celle que tu viens de réaliser.
La jeune femme arrête d'avancer, pesant le pour et le contre. Elle ne veut se mêler à personne mais elle doit monter en grade le plus rapidement possible, elle n'a pas le choix. Pas le temps de faire la difficile. Rien qu'en repensant à sa dernière mission, elle ne peut s'empêcher de vouloir accélérer le rythme de son ascension.
L'homme, se rendant compte que sa phrase eu l'effet attendue, sourit fièrement en voyant Ash faire demi-tour. Les bras croisés sur sa poitrine, elle le regarde fixement, le sourire du jeune homme lui tapant sur les nerfs.
- Une heure.
- C'est plus que suffisant, lui répond-t-il en reprenant son chemin, la jeune femme à ses côtés.
Son guide semble être une personne totalement différente de celle qu'il était le jour de la soirée mondaine. Le blazer bleu/vert sur son large t-shirt blanc lui donne un air plus décontracté. Ses cheveux en bataille diffèrent de ses cheveux plaqués en arrière durant cette fameuse nuit. Seul son regard est inchangé.
Il récupère son sac de course, la galanterie passant d'abord toute chose, et change de direction pour se rendre dans un café qu'il connait bien. D'un point de vue extérieur, le duo plutôt charismatique ressemble à deux amis, ou colocataires, vivant une journée ordinaire. Un faux semblant causé par leurs masques cachant leurs plus noirs secrets.
Éloignés de la foule, arrivant dans une place dissimulée dans les labyrinthes de petites rues, le brun ouvre la porte du café installé face à la fontaine, et laisse Ash passer en première. La sonnette signalant leur présence, une petit dame ridée les accueils avec un sourire bienveillant. Reconnaissant le jeune homme, elle les conduits à la table du fond, un peu à l'écart, entourée de peintures de paysage.
Elle amène les cartes qu'elle pose doucement sur la table puis retourne derrière le comptoir, baissant ses lunettes de vues à son nez pour écrire quelques mots dans un carnet qu'elle sort de son tablier.
Ash observe l'intérieur du café, les yeux pétillants. Ce café lui renvoie un sentiment de douceur, l'impression d'être dans une bulle, un cocon. La plupart des meubles présents sont en bois, les murs de couleurs vert émeraude, reflètent les lianes de lierres accrochés au plafond accompagné de guirlande lumineuse. Le soleil laisse ses rayons donner le côté chaleureux à l'endroit, le sortant presque de la réalité. Tout est fait pour qu'on se sente à l'aise. Détendu.
- J'aime bien venir ici, commence le brun en tendant la seconde carte à Ash qu'elle récupère pour le feuilleter. Les gens ne prennent jamais le temps de se détendre, d'apprécier les choses simples de la vie. Ils sont toujours sur leurs portables, renfoncés sur eux-mêmes et bloqués sur les côtés négatifs de la vie. Ils aiment les choses superficiels, les choses que tout le monde aime pour ne pas être le vilain petit canard mit de côté. Pour ne pas être bizarre. Les gens regardent une série parce que tout le monde en parle, ils vont aller quelques parts parce que tout le monde y est allé. Plus personne ne se concentre sur ce qu'il nous entoure si ce n'est pas à la mode. Les arbres fleuris sont plus intéressants que les faux likes sur les réseaux. Un resto que personne ne connait n'est pas obligatoirement médiocre. Ceux qui s'y intéresse un temps soit peu savent que c'est une merveille. C'est comme un diamant dissimulé entre de grosses pierres colorées. Certes elles sont belles vus de l'extérieur, elles attirent le regard, mais la qualité n'est pas là. Un diamant, même s'il est tout petit, possède une beauté bien supérieur, car il n'a pas besoin d'être immense pour briller. C'est là toute la beauté du monde.
La jeune femme pose son regard sur le brun dont les yeux sont perdus sur la peinture d'un champ de blé à l'aurore.
- Je n'aime pas manger aux restos en générales, la fausse gentillesse des serveurs me saute trop facilement aux yeux. Voilà pourquoi je passe la plupart de mon temps ici. Anne est par tout temps attentionnée, même si je suis le seul client. Je ne cerne pas une once de méchanceté en elle, comme si qu'elle ne connaissait pas l'impatience, la colère ou le dégout. Elle est naturelle et elle-même, tout comme le reflète son café. Elle est bienveillante, et beaucoup de personne ont oublié comment l'être de nos jours.
Un silence s'installe autour de la table. Ash continue de fixer son compagnon, cherchant à le comprendre. Lui qu'elle a croisé dans une soirée mondaine réunissant les pires créatures sur terre, elle ne comprend pas sa vision du monde. La folie pourrait être un argument, mais elle ne le trouve pas fou. Il est différent, et elle ne comprend pas cette différence.
Perdue, elle ne porte même pas un regard à sa carte, pourtant ouverte sous ses yeux. Il lui parle, à elle, une personne prête à tuer, d'un monde remplit de bonté et de bienveillance. Il tourne la tête vers elle et lui sourit en se calant au fond de sa chaise.
- Je te conseil de prendre un jus d'orange avec des pancakes à la myrtille. Tout est fait maison. Si tu as encore faim, Anne fait les meilleurs beignets aux pommes que je connaisse, et je peux te garantir que ton ventre ne t'en sera que des plus reconnaissant.
- Vous jouez à quoi, demande Ash agacée par ce changement. Pourquoi me faire ce discours sur la vie ? Pourquoi me donner des conseils sur ce que je devrais prendre à manger ? On n'est pas venu ici pour passer du bon temps.
- Faux. On est exactement là pour ça. Je t'ai proposé un petit-déjeuner et on ne peut pas manger en étant de mauvaise humeur.
- Vous ne...
La petite dame, ses cheveux blancs tirés légèrement en chignon, s'arrête à leur table, un bloc-notes en main. Toujours avec son doux sourire, réchauffement inconsciemment le cœur d'Ash par tant de douceur et de gentillesse, elle récupère leurs commandes avant de les laisser à nouveau en paix.
- On devrait faire les choses dans le bon ordre. Présentons-nous, reprend le brun une fois la dame partie. Quel est ton prénom.
- Pourquoi je le ferais ?
- Parce qu'il faut un début à tout. Et surtout, si tu veux que je t'aide, il va falloir que j'en sache plus sur toi.
- Je n'en ai aucune envie. Pour avoir des infos sur moi, il me faut de la confiance, et je ne fais pas confiance à un gars que j'ai vu seulement deux fois dans ma vie.
- Je ne pensais qu'un nom pourrait être si important, mais soit. Si tu veux de la confiance, laisse-moi me présenter. Loid Green, 27 ans, PDG de Dior depuis maintenant 5 ans. J'arrive à cerner les gens avec un simple regard, ce qui m'a évité beaucoup de problèmes.
- Je suis certaine que tu es un gosse de riche avec de bonne relation à droite à gauche. Sauf si ton père dirigeait l'entreprise, tu n'aurais jamais pu être à la tête d'une marque de luxe si jeune.
- Je peux te garantir que mon père ne travaillait pas à Dior, il trouvait que la mode était un domaine désigné qu'à la gent féminine. Je suis là où j'en suis aujourd'hui pour la simple et bonne raison que j'ai travaillée. Je me suis acharné et certes être un génie m'a aidé, mais ce n'est pas ce qui m'a le plus valorisé.
Anne arrive avec leurs plats à la main, posant sur la table deux assiettes de pancakes aux fruits, avec les verres colorés par le jus qu'ils contiennent. Sur un « bon appétit », elle les laisse à nouveau seul, cette fois en allant dans la cuisine, donnant de l'intimité au duo, seuls clients du café.
Loid prend une gorgée de son smoothie de fruit rouge.
- Il faut que tu dises ce que les gens veulent entendre au moment où ils veulent l'entendre. Faire ce qu'ils veulent que tu fasses. En soit un lèche-cul, il prend une bouchée de son premier pancake.
- Tu m'avais dit que tu n'aimais pas les lèche-culs.
- Exactement. Être un lèche-cul est souvent désavantageux, c'est pour ça que tu dois avoir du caractère. Te faire ressortir du lot. Certes tu as de bonnes notes, mais monsieur aussi. D'accord tu suis les ordres, mais monsieur aussi. Tout le monde peut être un toutou, ça ne demande pas beaucoup de compétences.
- Alors quoi ? Tu les manipules ?
- D'une certaine façon, oui. Il faut que tu arrives à penser avant eux à ce qu'ils vont penser plus tard. Leur faire croire que ce que tu dis est leur idée d'origine. Tu dois être capable de deviner leurs prochains mouvements pour les devancer. Comme si tu lisais le script d'un film avant d'aller le voir au cinéma. Tu dois tout savoir. Tout et tout le temps. Rien ne doit t'échapper. Mêmes les plus infimes détails peuvent être ta chance au trône. Et puis, il tend sa fourchette vers elle, tu es dans un gang, tous les coups sont permis.
La jeune femme termine son verre, pensant à ce qu'il vient de dire. Il faut qu'elle est les cartes à l'avance, que ce soit elle qui dirige. Du caractère, elle en a, du potentiel également et d'une certaine façon, un bon physique. Deviner les règles du jeu pour pouvoir mener la partie. Voilà ce qu'il lui manque.
- Il me semblait bien que tu avais un côté plus sombre, dit-elle d'un ton taquin en jouant distraitement avec sa fourchette.
- Personne n'est tout blanc ou tout noir.
- Et chaque jour la vie me le rappelle.
- Il y a toujours des moments durs, qui selon les personnes, peuvent avoir un impact important ou non sur leur vie. Certain vont se perdre dans la drogue ou l'alcool, d'autre dans la dépression, ou encore, d'autre dans la criminalité. Et je suis sûr que cette dernière option est ton cas.
- Tu ne me connais pas.
- Tu n'as pas besoin de parler. Quand je te vois je sais que tu as vécu des choses. Bien plus de choses que tu ne laisses paraître.
- Je peux en dire de même, dit-elle en penchant la tête sur le côté, poussant le brun à sourire. Un PDG, surtout d'une marque de luxe, n'a pas de raisons à se lier au bas monde des gangs.
- Les gangs ne font pas partie du bas monde, pas celui dans lequel tu viens d'entrer en tout cas, dit-il en prenant une nouvelle bouché de son plat. Mais, tu marques un point. Cela confirme mon hypothèse, tu es capable de faire attention aux détails. Cependant, il faut aussi que tu sois capable de voir les secrets que cache une personne derrière son masque de mensonge. La vérité n'est jamais très loin de l'illusion.
- Un mensonge est souvent réfléchi, travaillé. Ce n'est pas si simple de les défaire.
- Il y a toujours une erreur dans un mensonge. Une faille qui se rapproche de la vérité plus qu'on n'y pense. Sache que personne ne peut mentir indéfiniment et parfaitement. La véritable identité des gens peut être facilement dévoilée. Ne l'oublie jamais.
******
Elle remonte à la surface, l'air entrant à nouveau dans ses poumons presque vidés de leur oxygène. Une seconde suffit avant qu'elle replonge à nouveau sous l'eau clair du bassin, nageant jusqu'à l'autre bord, profitant du doux silence du monde sous-marin qui lui bloque les idées.
Elle ressort la tête de l'eau puis plaque ses cheveux en arrière avant de caler ses avant-bras sur le rebord en bois. Sa joue contre sa main nue, d'ordinaire gantée, elle observe les traces que le passé a laissé sur son chemin. Étant seule dans l'enceinte de la piscine, elle ne craint pas d'être observée par des yeux indiscrets.
Ash sait qu'elle est reconnaissable. Une femme portant toujours un seul gant ne passe pas inaperçue, tout comme une femme dont il manque quelques ongles. Elle pensait pourtant pouvoir passer cette faiblesse sous silence, que dans le monde où les cicatrices n'étaient que monnaie courante, les siennes ne seraient pas importante. Cependant, Raymond l'a reconnue simplement grâce à ce gant.
Elle doit se méfier de tout, et devra certainement arrêter de mettre cet habit qui lui cache sa faiblesse. Comme lui a fait remarquer Loid, même un détail peut la trahir. Sa main peut révéler son identité et elle ne peut pas se permettre de rater sa mission juste pour ça.
Elle doit faire attention à tout, ce qu'elle dit, fait, et surtout lorsqu'elle se retrouve en présence de Loid. Il a une facilité à cerner les gens simplement en les regardants et il peut en un rien de temps comprendre ce qu'elle cache si elle ne prend pas garde. En tant qu'ennemi, il est redoutable, mais si elle arrive à s'en faire un allié, elle pourrait avoir un avantage. Le fameux coup d'avance.
Elle sort de l'eau, attrape sa serviette posée sur un transat et quitte la piscine de l'hôtel, se rendant dans les vestiaires. Elle ouvre le casier à son numéro de chambre et récupère son sac où se trouve toutes ses affaires avant d'enfiler rapidement son sweat, son jean et de s'attacher les cheveux.
Elle sort du coin aquatique, laissant derrière elle sa bulle paisible, et aperçoit Aaron au loin, installé sur un canapé. Il lui sourit en la remarquant, place ses lunettes sur ses cheveux et se lève pour aller à sa rencontre.
- Quel plaisir de te trouver ici, commence-t-il gaiement. Je viens livrer des infos.
- J'ai fini ma mission il y a seulement moins de 24 heures, dit-elle en continuant d'avancer.
- Je sais ! D'ailleurs, toutes mes félicitations, tu as réalisé un travail exquis.
- Viens en aux fait. Je ne pense pas que tu sois venu me voir juste pour me féliciter.
- Certains chefs de secteurs n'étaient pas présents à la soirée mondaine et ils sont curieux de savoir ce dont tu es capable après avoir entendu les échos sur ta dernière mission et ton spectacle .
- C'est-à-dire ?
- Ils te proposent un marché.
Ash s'arrête et se tourne vers son interlocuteur qui s'adosse au mur le plus proche en croisant les bras sur son torse.
- Chaque année, la meute organise un tournoi. Une façon de garder les troupes loyales entre guillemet, enfin ce n'est que mon point de vue. Tous les secteurs devront choisir leur représentant qui se battra dans l'arène. C'est l'occasion de se faire remarquer d'obtenir des sortes de bonus, comme des avantages. Habituellement, les nouveaux ne sont pas admis mais cette année il y aura une exception.
- Rien que pour moi j'imagine.
- Exacte. Les nouveaux sont souvent plus faibles que les anciens, moins expérimenté et donc, plus de chance d'échouer. Mais toi, tu ne sembles pas avoir ta place parmi les vieux déchets inintéressants et ils veulent le voir de leurs propres yeux. Voilà leur marché. Tu participe au tournoi et si tu gagnes, tu deviendras la sous-cheffe d'un des secteurs de ton choix. Proposition assez alléchante, surtout après la mission « poubelle » que tu viens de te taper.
- Et pour ma participation ? Il ne me semble pas faire partis d'un secteur en particulier.
- Si ! Le mien ! Et d'ailleurs, surprise ! Je t'ai choisi comme représentante !
- Pourquoi tant de gentillesse ?
- Oh chéri, ce n'est en rien de la gentillesse. Certes, si tu gagnes tu auras une bonne place, une bonne condition, et tout cela en très peu de temps, mais, le point important c'est ce qu'il se passera si tu perds, un sourire prend place sur ses lèvres. La mort t'attendra à bras ouvert.
- J'aurais dû m'en douter, rétorque Ash en levant les yeux au ciel. Ça ne pouvait pas être si simple.
- A quoi tu t'attendais ? La vie n'est pas si facile. Le combat n'est pas là pour t'avantager, il est là pour nous faire savoir si tu as du mérite d'être parmi nous. Soit, tu as du talent, soit tu nous es inutile et ta mort ne sera pas une grande perte. Ça passe ou ça casse. Cependant, je veux te laisser une chance. Demain matin, je viens te chercher, ne me fais pas attendre.
~A suivre~