Brenna Gunnarsdottir
Je n'aurais jamais pensé le revoir un jour. Je souhaitais jamais le revoir. Pourtant il se trouvait en face. Bien vivant. Ma main cherche le bras d'Ivar que je presse nerveusement.
- Ivar, que fais-tu? Je lui murmure ne pouvant pas lâcher le fils de mon précédent mari des yeux.
Il n'avait pas encore relevé la tête. Il ne m'avait pas encore vu. Mon estomac se retourne alors qu'un sentiment de peur me revient. Rien n'avait changé. Il avait la même posture, la même odeur, le même timbre de voix. J'avais l'impression d'être revenu quelques années en arrière. Bien que je sais que son père est mort, je ne peux m'inquiéter de le voir apparaître dans la pièce. Ivar pose sa main sur la mienne, la serrant affectueusement.
- Voici mon cadeau pour toi, Brenna, il chuchote avant que sa main ne quitte la mienne.
Je contracte ma mâchoire pour m'empêcher de claquer des dents tandis que l'homme face à nous relève la tête. Son regard rencontre directement le mien et un sourire survole ses lèvres discrètement. Il sait le pouvoir qu'il a sur moi.
- Ma reine, susurre Viggo en se redressant.
C'était un jeu pour lui. Il savait qu'à l'oreille des autres, ce n'était qu'un désignation honorifique mais pas pour moi. Je détestais qu'il m'appelle ainsi. Je voulais disparaitre. Je n'avais plus envie d'être ici. Ivar sourit. Mais ce n'est pas le sourire qu'il donne à Eli ou aux blagues de Siv. C'est un sourire de répulsion. Il connaissait mon histoire. Et mon époux ne fait jamais rien sans y avoir penser avant. C'est ce que je me dis pour me rassurer.
- Avec combien d'hommes êtes-vous venu, Jarl Viggo?
- Une trentaine, roi Ivar. Prêts à se battre.
- Parfait.
Siv n'avait pas bougé. Encore sous le choc de voir cet homme sous notre toit.
- Gardes, saisissez-le.
J'hoquète sous l'ordre d'Ivar tandis que ce dernier se redresse de son trône. Plusieurs guerriers se précipite sur l'homme, l'entravant de tous mouvements. Mon époux se tourne vers moi et m'offre un sourire réconfortant.
- Comment trouvez-vous mon épouse? Demande Ivar en me quittant du regard pour se concentrer sur son otage.
Viggo se débat avant de s'arrêter aux mots d'Ivar pour relever la tête vers ce dernier. Ses yeux gris quittent mon mari pour me m'observer dans l'incompréhension. Je ne soutiens pas son regard et décide d'observer une des poutres en bois du skali.
- N'est-elle pas l'une des plus belles femmes qui vous aies été de voir?
- Si... Si, Roi Ivar. Mais pourquoi me traitez de la sorte?
Ivar prend une grande inspiration avant d'hausses les épaules. Tous les hommes de Viggo sont piégés par ceux d'Ivar. Aucun n'a eu le temps de réagir.
- Vous connaissez aussi sûrement sa jeune sœur Siv? Questionne Ivar en ignorant les mots de l'homme.
Le concerné cherche du regard ma cadette avant d'écarquiller les yeux. Je me redresse à mon tour prête à quitter les lieux. Un voile de colère traverse son visage avant qu'il ne plante son regard dans le mien.
- La meurtrière de mon père, il répond sèchement. Le Jarl Oleiv.
Un frisson parcoure mon corps à l'entente de ce prénom.
- Bien, souffle Ivar en me tendant la main.
Je bats plusieurs fois des paupières ne sachant pas quoi faire tandis qu'il m'incite à le rejoindre. Tout ceci n'est qu'un cauchemar et j'allais bientôt me réveiller. Alors que j'allais glisser ma main dans la sienne, Ivar sort une dague de sa manche et la retourne pour que je la prenne.
- Non, je murmure en secouant la tête, les larmes au bord des yeux.
Personne ne comprenait ce qu'il se passait à part les principaux concernés.
- Tu n'auras jamais la conscience tranquille si tu ne tues pas tes démons.
Ses mots font écho en moi. Ivar fait quelques pas dans ma direction avant de glisser la lame entre les mains tremblantes. Ses doigts caresse mon visage, son front contre le mien.
- Un nouveau départ, il murmure. Pour nous.
Je hoche doucement la tête, serrant l'arme dans ma main. Je n'étais pas sûre d'en être capable. Je n'avais jamais fais telle chose auparavant. Je m'approche d'un pas hésitant vers l'homme qui m'avait tourmenté. Qui avait pris du plaisir à me briser. Viggo me tient tête et je sais que si les hommes d'Ivar le lâche, il n'hésiterait pas une seconde à essayer de me tuer.
- Fais le, il me défie. Je n'ai pas peur. J'irais rejoindre Oleiv au Valhalla et nous t'attendrons.
Je ne réponds pas mais Ivar s'avance, se positionnant derrière moi, prêt à me défendre.
- Ainsi que nos enfants que tu as tué, il chuchote, un sourire au visage. Sale putain.
Je me fige à ses mots mais pas mon époux. Son poing rencontre la mâchoire de l'homme qui tombe sous le choc du coup. Les gardes le relèvent.
- Je n'ai jamais voulu cette vie, je déclare les larmes aux yeux.
- Fais-le, m'encourage Ivar.
Ma lame s'enfonce dans le ventre de Viggo. Tous ce qu'ils m'ont fait vivre. Toutes ces fois où ils se sont moqués de moi devant leurs invités. Où ils m'ont exhibé. Toutes ces fois où j'ai dû sacrifié une vie pour qu'elle ne finisse pas comme la mienne. Ma lame s'enfonce une seconde fois.
- J'aurais été une bonne mère, je dis d'une voix tremblante avant de lui asséner un autre coup.
Et je n'arrive plus à m'arrêter. Les gardes lâchent Viggo qui tombe au sol sous mes coups de dague. Je fais les choses machinalement. Une fois que la lame est dans sa chair jusqu'au manche, je la sors pour la planter à nouveau. Mon esprit est vide. À chaque seconde où je vois sa vie s'éteindre peu à peu, je sens la mienne reprendre. J'allais enfin vivre ma fin heureuse. Au côté de l'homme que j'aime et de notre enfant.
- Brenna.
Tous ce qu'il restera de lui et son père sont ces cicatrices sur ma peau.
- Brenna.
La main d'Ivar se pose sur mon épaule. Je relève la tête vers lui.
- C'est fini. Il est mort.
Un poids venait de quitter mes épaules à ses mots. Tous le monde m'observe. Personne ne m'avait vu ainsi. Et moi non plus. Hvitserk lâche Siv qui coure dans ma direction. Elle tombe à genoux et m'attire dans une étreinte, pleurant à chaudes larmes.
- C'est fini, elle murmure en me serrant encore plus fort.
Je lâche la dague pour rendre l'embrassade de ma soeur. Bien qu'elle ne l'avait pas vécu physiquement comme moi, Siv l'avait vécu moralement. Elle s'en voulait de ne pas avoir pu réagir plus tôt. De ne pas avoir pu le tuer en même temps que son père.
- Ça va aller, je lui réponds ce qui décuple ses pleurs.
— SL —
Je jette le tissu dans l'eau à présent rouge en prenant une grande inspiration. Je n'avais pas réussi à calmer ma cadette avant un bon moment. Et j'étais à présent épuisée. Toutes ces émotions de la soirée ont eu raison de moi.
Ivar a fait exécuter tous les hommes qui étaient au courant de ce que me faisait subir Viggo et son père. Siv avait retenu tous les visages. Comme si elle s'était fait une liste dans sa tête pour le jour venu. Je n'avais pas pris part à tous cela. Après m'être relevé du cadavre de Viggo, j'ai vomi tous ce que mon estomac contenait.
Je me suis jurée de ne plus jamais toucher une arme de ma vie sauf si celle d'Eli est en danger. Mon regard se tourne vers l'enfant endormi dans notre lit.
- Tu es une bonne mère.
Mes yeux cherchent la voix de mon époux. Ivar venait d'entrer dans la pièce, traînant ses jambes de fer.
- Quoi?
- Ce que tu as dis tout à l'heure.
J'aurais été une bonne mère.
- Tu l'es.
Un sourire gênée se dessine sur mes lèvres tandis qu'il se rapproche pour poser sa main sur ma joue.
- Je ne veux plus tuer personne.
- Tu n'auras pas à le faire.
J'embrasse la paume de sa main, serrant celle-ci des miennes.
- Je le ferais pour toi.
Ivar se penche pour déposer un baiser sur mes lèvres.
- Je suis désolé si mon cadeau était déplacé. Et si j'ai rouvert des plaies en le laissant venir ici.
J'attrape le col de ma tunique pour l'écarter, laissant apparaître mon épaule et la trace rosée qui l'a traverse.
- Elles sont cicatrisés.
Un gloussement rauque s'échappe de sa gorge avant qu'il ne secoue la tête. Il se penche une seconde fois et embrasse la cicatrice.
- Tu as été forte. Je suis fier de toi.
Je me lève pour lui faire face bien qu'une dizaine de centimètres nous sépare. Je les comble en me mettant sur la pointe des pieds et pose mes lèvres contre les siennes. Sa main libre emprisonne ma taille pour me rapprocher de lui. Il approfondit le baiser avant que je ne m'écarte pour l'écourter.
- Ce n'est pas comme cela que je voyais notre dernière soirée ensemble, il déclare en pointant du menton Eli dans notre lit.
- Elle voulait rester avec nous ce soir.
- Et comment lui dire non? Il plaisante.
Je l'entraîne jusqu'au lit et l'aide à défaire ses jambières. Il ne parle pas de ce qu'il s'est passé comme si cela n'avait jamais existé. Ses sujets sont aléatoires. Discutant de la pluie et du beau temps. De son départ demain et de son frère aîné qui restera à mes côtés pour me protéger.
- Je lui ai dis que s'il voulait regagner ma confiance, il devait s'assurer que ma femme et ma fille restent saines et sauves durant mon absence.
- C'est un beau geste, je lui réponds en rangeant ses jambes de fer. J'apprécie les efforts que tu fais avec Ubbe.
- Hm.
Ivar n'aimait pas beaucoup parler de ses sentiments envers ses frères. Mais j'étais persuadée qu'il était heureux que Ubbe soit de retour. A plusieurs reprises, il m'a dit que Ubbe et lui avait eu une relation très fusionnelle. Loin d'être celle avec Hvitserk où ils se comprennent en un seul regard mais elle était tout aussi spéciale.
- Et puis si tu ne le veux vraiment plus dans ton entourage, tu peux toujours lui proposer d'épouser Oydis, je lui confie en haussant les épaules.
Je me glisse sous les draps et il m'imite de l'autre côté du lit. Nous nous nichons contre Eli, gardant tout de même un contact physique, ma main dans la sienne.
- Je vois mal trois frères épouser les trois soeurs, il se moque.
- Les trois?
- Ubbe et Oydis, Hvitserk et Siv, toi et moi.
Oh. J'avais presque oublié que Hvitserk avait jeté son dévolu sur Siv. Pauvre Hvitserk.
- Brenna?
- Hm? Je marmonne en rouvrant doucement les paupières.
- Ca va aller maintenant?
Je n'arrive pas à déceler si ses mots sont pour ce qui s'est passé plus tôt dans la soirée ou pour tous le reste. Un sourire étire mes lèvres et je pose ma main sur sa mâchoire, caressant sa barbe naissante du bout des doigts. Je n'avais jamais été aussi heureuse de toute ma vie.
- Plus que jamais.
Ivar se redresse légèrement avant d'embrasser mon front, chuchotant quelque chose dans sa barbe que je n'ai pas réussi à déchiffrer, mes paupières trop lourdes pour combattre le sommeil.
—SL—
Eli me tire vers le ponton. A l'inverse de moi, l'enfant avait l'habitude de voir son père partir. Ivar nous suit au pas, les esclaves avaient déjà préparé les navires. La plupart des guerriers sont prêt à partir, n'attendant que mon époux.
- Eli, tu vas déboiter le bras de ta mère, la gronde gentiment Siv en apparaissant de nulle part.
- N'exagère pas, je ris.
Ma cadette secoue la tête en riant, les mains sur les hanches. Il est encore tôt et pourtant tout Kattegat est réveillé. Le bruit d'une corne nous fait sursauter toutes les trois. Le signal de départ. Je me tourne vers Ivar qui m'offre un sourire réconfortant.
- C'est l'heure, il déclare en se mettant face à moi.
Il se penche et attrape Eli pour la serrer dans ses bras. La petite rend l'étreinte de son père avant qu'il ne la repose.
- On se revoit bientôt, il déclare une main sur le haut de son crâne.
- Ma' et moi, on t'attend.
Ivar se redresse et plante son regard glacé dans le mien. Kattegat sera bien vide sans lui et Hvitserk à nos côtés. Même pour quelques mois seulement. Il colle son front au mien.
- Fais attention à toi, je lui murmure, mes deux mains posées en coupe sur son visage.
- Je te le promets, il répond déposant un baiser sur mes lèvres. Et Hvitserk est là pour ça.
Son frère à nos côtés lève les yeux au ciel en secouant la tête.
- Je compte sur toi, dit plus durement Ivar à Ubbe à ma droite.
L'aîné hoche doucement la tête. Ubbe n'est pas très bavard mais il semble à tout prix vouloir regagner la confiance de ses frères.
- Tout se passera bien, je le rassure en posant ma main sur l'épaule de l'aîné des Ragnarsson.
Ubbe m'offre un bref sourire en acquiesçant. Il était reconnaissant que Siv et moi ne lui soyons pas hostile comme le reste de Kattegat. Hvitserk est le premier à sauter dans le bateau, il était bien silencieux et ça ne lui ressemblait pas du tout.
- Siv.
Ma jeune soeur baisse son regard vers l'homme qui venait de l'interpeler.
- Quand je reviendrais, je t'épouserais.
Ivar et moi nous échangeons un regard, surpris des mots de Hvitserk. Ma soeur se fige avant d'éclater de rire. Elle s'accroupit pour être au niveau du brun et pose sa main sur le haut du crane de l'homme.
- Oh, Hvitserk.
- Je suis sérieux, il grogne en retirant la main de la jeune femme.
- Je n'en doute pas.
Siv soupire et se redresse.
- Mais ça ne se fera pas, elle déclare. Tu n'es pas du tout mon genre, Hvitserk Ragnarsson.
Je me pince les lèvres l'une contre l'autre me retenant de glousser, Eli accrochée à mes jupons.
- Quel genre d'homme préfère-tu alors?!
- Aucun, elle se moque. Mon genre... n'est pas les hommes.
Et c'est comme si Hvitserk venait de se prendre un coup de massue. Il n'arrivait pas à assimiler les mots de ma soeur. Ivar lui, part dans un fou rire avant de rejoindre son frère dans le bateau. Hvitserk n'avait vraiment pas de chance avec les femmes. Je pensais pourtant que les choix de ma soeur étaient plutôt évident. Elle n'arrêtait pas de tourner autour d'Estrid. Mais il semblerait qu'à part moi, personne ne l'avait remarqué puisque la révélation de Siv avait même surpris Ivar.
- Ce n'est pas grave mon frère, des femmes il y en a partout dans le monde.
Un second bruit de corne nous coupe, signal pour leur départ imminent. Certains navires quittent déjà le port. Je ne pensais pas que ça allait être si dur de les laisser partir. Pourtant lorsque les hommes commencent à pagayer, une douleur me lance au coeur. Des dernières embrassades sont faites à la hâte avant qu'ils ne soient plus à porter. Et rapidement, ils ne deviennent que de petits points sur l'Océan.
- A bientôt, je souffle en les regardant disparaître.