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By BellyBarma

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By BellyBarma

Astrid est morte.

Cette pensée a commencé à se diffuser dans mes veines comme un fluide glacé en ouvrant la porte. Je suis tombée nez à nez avec un soldat que je n'avais jamais vu avant. Il pleuvait des cordes. Sa cape trempée lui tombait lourdement devant le visage. Un courant d'air frigorifique m'embrassa toute entière, glissa dans mes vêtements, hérissa mes poils.

Je restais figée sur le palier à fixer cet étranger sans esquisser le moindre mouvement.

Il haletait, et dû retrouver son souffle pour demander gravement, chassant du dos de la main une cascade qui lui dévalait la pommette : "Vous êtes Zia Cole ?"

Je serrais la poignée de la porte du poing, retenant ma respiration.

Mais déjà, je savais.

"Que voulez-vous ?"

À ma question, l'homme se mit à chercher maladroitement quelque chose dans ses vêtements. Il dût s'y reprendre à plusieurs fois pour sortir un bout de papier froissé et humide d'une poche. Je croisais son regard terne lorsqu'il me la tendit. Sa main tremblait un peu.

Je m'en saisis vivement. Mon cœur loupa quelques battements en voyant le sceau de cire rouge gravé de deux ailes entrecroisées. L'encre délavée donnait au papier un air de deuil.

Astrid.

Je fis signe au soldat d'entrer et jetai la lettre sur la table sans même l'ouvrir. Il retira sa cape verdâtre avec soulagement en pénétrant dans la pièce à vivre et laissa apparaître un visage trop jeune, trop doux. Je lui donnais la vingtaine ; peut-être moins. Ses cheveux châtains avaient été maltraités par l'humidité. Sa peau était salie de crasse. Mais ce qui me marqua fut son regard : deux orbes vides, abattue, qui ne reflétait qu'une fatigue terrassante.

Je lui tirais une chaise près du feu brûlant encore dans la cheminée en ce printemps capricieux.

"Je vous sers quelque chose ? demandais-je.
⁡- De l'eau, merci."

Je remplis son gobelet, avant de sortir une bouteille d'absinthe. Je me sentais absente, confuse. Le soldat lui-même restait silencieux, le regard perdu dans les flammes. Mon verre d'alcool se vida d'une goulée. J'essuyai le coin de ma lèvre, avant de questionner par politesse : "Au fait, vous êtes ?
⁡- Moblit Berner. Je suis de l'escouade du caporal Astrid."

Il eut une drôle d'expression, comme s'il s'apprêtait à ajouter quelque chose, mais se ravisa en pinçant la bouche. Le visage sombre qu'il affichait confirma mes doutes.

Elle était définitivement morte.

Le contenu de mon verre disparut aussi vite que le premier. Si le fort goût herbeux m'avait d'abord fait amèrement grimacer, il m'anesthésia vite la gorge. Je me concentrais sur cette sensation de toutes mes forces, comme si elle pouvait me transporter ailleurs, dans un endroit où il n'y aurait pas cette puanteur de vieux sang humide ni cette lettre froissée sur la table.

Cette situation me semblait absurde. J'avais toujours su qu'elle se produirait. Nous avions répété maintes et maintes fois les étapes à suivre. Pourtant, maintenant qu'il était venu le temps de la pratique, je me trouvais hors de mes propres pensées, comme dans un rêve aux contours flous.

Astrid ne serait pas là pour me corriger si je ratais une étape, cette fois.

Ma priorité était la lettre. Étonnement, elle m'était adressée. Une jolie écriture qui avait bavée en prenant l'eau indiquait : "À Zia et Logan Cole". Je trouvais étonnant qu'ils se soient trompés. Peut-être une volonté de son testament.

Cette pensée me souleva l'estomac.

Les craquements de l'escalier me firent sursauter. J'avalais de travers la gorgée de liqueur que je m'apprêtais à engloutir. L'alcool m'arracha une quinte de toux brûlante. Le soldat du bataillon se redressa.

Logan.

Logan ne doit pas être au courant.

Logan a besoin d'être le premier informé.

"Maman ? Tu es rentrée ?"

Logan s'arrêta net en entrant dans la pièce. Son portrait innocent, du bout de son nez constellé de tâches de rousseurs à la pointe de ses boucles brunes, me frappa en pleine poitrine.

Il eut un mouvement de recul et serra son carnet contre lui. Son regard azur passa de Moblit Berner à moi avec méfiance.

"Où est Astrid ?" demanda-t-il.

J'ouvris la bouche ; la refermai. Mon cœur au bord des lèvres. Le silence s'épaissit dans ma tête, dans ma gorge, à m'en couper le souffle. L'apnée se prolongea jusqu'au moment où Logan aperçut l'enveloppe sur la table à manger. Je m'élançai pour bloquer l'accès, mais l'enfant s'en était déjà saisi.

"Rends-moi ça", ordonnais-je.

J'entendis avec étonnement ma propre voix se briser fébrilement. Il m'ignora, et arracha le cachet.

Il déplia lentement le papier jauni, lut la lettre en silence. Son visage d'adolescent resta calme en parcourant les lignes. Il ne montra pas le moindre tressaillement, pas le moindre battement de paupières. Quand il eut terminé, il laissa la missive tomber au sol.

Il releva les yeux vers le soldat, les paupières alourdies d'indifférence : "Vous mentez, n'est-ce pas ?"

Il se tourna vers moi et me sourit : "Ne fais pas cette tête, Zia. Tu vois bien qu'Astrid veut juste nous tester, voir si on applique bien ses instructions. Il suffit de tout faire bien, sinon maman va encore t'engueuler."

Moblit Berner semblait au moins aussi abasourdi que moi par sa réaction. Il se releva, la mine sombre.

"Je suis désolé, mais tout est vrai. Astrid a... Son équipement s'est cassé à cause des intempéries. Cela n'aurait pas dû se produire. C'est ma faute, j'étais en charge de la vérification du matériel, mais j'ai failli à ma tâche. Et maintenant..."

Il baissa la tête et serra ses poings tremblant.

Le silence retomba. Aucun de nous trois ne fit de mouvement. Le moindre geste aurait donné de la texture à ces paroles.

Logan fut de nouveau le premier à bouger. Il ne parla pas, mais sorti précipitamment de la pièce pour remonter dans sa chambre. Une porte claqua à l'étage.

"Excusez-le."

Ma réplique sonnait creux.

"C'est moi. Désolé, c'est un gros choc."

Le soldat se rassit lourdement et se prit sa tête dans les mains.

"La caporal-cheffe a été un modèle pour beaucoup d'entre nous ces dernières années... Savoir qu'elle n'est plus parmi nous va laisser un grand vide dans le bataillon..."

Je me laissais tomber à mon tour sur une chaise, songeant sombrement qu'il n'y avait pas à s'inquiéter pour ça. L'armée était douée pour remplacer leurs soldats perdus. Je me demandais toujours avec le même cynisme comment ils arrivaient à enrôler de nouveaux soldats dans leurs rangs alors que les fosses communes débordaient. Je savais que la perte du mur Maria avait ironiquement été un âge d'or pour le bataillon. Un nouveau major. Des moyens comme ils n'en avaient jamais eu. Des hommes, femmes et adolescents ayant fraîchement perdus leur foyer trouvant refuge dans la reconquête de leurs terres. Et je connaissais aussi le sinistre résultat ; des centaines de milliers de personnes lâchées dans la nature sans entraînement. Un massacre, en somme.

Le peu de respect que j'éprouvais envers le bataillon d'exploration était partie en fumée depuis un moment.

"Vous êtes sûr que vous ne voulez pas boire ?" insistais-je en constatant que le soldat était resté replié sur lui-même.

Il secoua la tête sans me regarder. Je me levais, ramassais la lettre au sol avant d'avaler une longue gorgée d'absinthe au goulot de la bouteille.

"Il y a une chambre libre au bout du couloir avec un nécessaire de toilette. Faites comme chez vous. Si vous avez besoin de quelque chose, venez me chercher. Je serais là-haut, première porte à droite."

Je le laissais sur ces mots et remontais mollement dans ma chambre, titubant d'épuisement à chaque marche.

***

Les lueurs blanchâtres de l'aube tapaient sur les carreaux lorsque je me rattrapais d'une chute brutale.

Je me redressai soudainement, suffocante. Mon pouls battait à toute allure dans mes tempes, frappant à chaque coup une migraine aiguë. Je mis quelques secondes à rassembler mes pensées et comprendre que je venais de me réveiller d'un long cauchemar. J'essayais d'en rassembler les morceaux, mais plus je tentais de m'en saisir, plus mes souvenirs filaient sous mes doigts.

Je me trouvais en travers de mes draps ouverts, encore serrée dans ma robe de travail. Je n'avais pas pris la peine de retirer mes chaussures avant de m'endormir. Une bouteille vide roulait sur le plancher aux côtés de divers vêtements sales.

Ah oui... Je me souvenais à présent.

Astrid.

Elle était bel et bien morte.

La poisse.

La lettre était toujours là, ouverte à côté de moi. Je fixais le paraphe d'un œil mort. Un nom était écrit dans de jolies courbes : Erwin Smith.

C'était étrange de voir l'homme à la tête du bataillon d'exploration prendre le temps d'écrire un courrier d'une telle banalité. Peut-être parce qu'Astrid était son bras droit.

Elle résumait ce que je savais déjà : Astrid était décédée en cette vingt-quatrième expédition du bataillon d'exploration suite à une défaillance mécanique. Nous étions invités à nous joindre à la cérémonie d'enterrement qui aurait lieu dans la journée, ainsi qu'à récupérer ses biens. Condoléances et blablabla.

Rien d'inattendu. Mais quelque chose me dérangeait, sans que j'arrive à comprendre quel était le grain de sable crissant dans les rouages.

Le battant de la porte trembla lorsqu'on frappa trois coups fermes. Ils résonnèrent douloureusement dans ma boîte crânienne.

Je me levais difficilement, serrant l'arrête de mon nez entre deux doigts. Le soldat sembla embarrassé lorsque je lui ouvris. Je n'étais pas sûre qu'il ait fermé l'œil, compte tenu de ses lourdes cernes, mais les traces de boues avaient disparu de ses joues.

"C'est pour quoi ?"

Il rougit légèrement et détourna le regard en apercevant le bazard, comme s'il trouvait impudique de regarder dans la chambre d'une femme.

"Pardon de vous déranger. Il ne faudrait pas trop tarder à partir : le quartier général est à plus de trois heures à cheval. La charrette est déjà prête, il ne manque plus que vous."

J'opinais. Je m'isolais pour me changer, avant d'aller réveiller Logan à mon tour.

L'adolescent m'épargna cette peine. Il était déjà débout, un sac à dos rempli à ses pieds. Loin d'être l'enfant brisé par la perte de sa mère, une étincelle de détermination nouvelle brillait au fond de ses prunelles claires. Ses joues se creusèrent en fossettes lorsqu'il me sourit calmement : "Je suis prêt."

Loin de me rassurer, son attitude renforçait mon mauvais pressentiment. Je baissais la voix pour lui proposer : "On est pas obligé d'y aller. Je peux mettre l'autre à la porte, et on verra pour les affaires plus tard."

Une part de moi le suppliait d'accepter cette alternative. Mais le brun enfila son sac trop grand pour lui.

"Je veux y aller. Je dois m'assurer que... c'est bien vrai."

Son regard était tombé au sol, tristement absent. Un pincement au cœur me fit pincer les lèvres. Je l'attirai à moi dans une impulsion pour le serrer fort dans mes bras. Il répondit d'abord maladroitement à mon accolade, avant d'accepter de m'enlacer à son tour. Nos poitrines palpitèrent en chœur dans un silence confus.

"Ne t'inquiète pas, tout va bien se passer, je t'assure..."

Une larme lâche se fraya un chemin entre mes paupières, avant de finir fauchée par la paume de ma main. Je me maudis de me montrer aussi faible en situation de crise, alors que Logan gardait la tête sur les épaules. C'était à moi d'être l'adulte responsable.

"Je serais avec toi, affirmais-je à voix basse en me détachant de lui. Tu peux me faire confiance, Logan."

Je respirais un grand coup, avant de sortir rejoindre le jeune soldat.

***

Je soupirais presque de soulagement en apercevant les tours du quartier général du bataillon d'exploration se dessiner entre les arbres. Si la douleur pointues derrière mes yeux s'était résorbée au contact de l'air frais et humide, elle avait vite été compensée par d'affreuses courbatures qui tendaient chaque membre de mon corps. La route avait été affreuse, me ballotant contre les barrières de la charrette à chaque nid de poules. Sans compter les insupportables minutes passées à pousser l'engin lorsqu'une roue s'était empâtée dans la boue.

Il ne m'avait jamais paru aussi bon de pouvoir enfin me lever et marcher de nouveau. La fatigue me fit chanceler et il ne fallut que quelques pas avant de me tordre la cheville. Logan en sauta de la carriole à ma suite : "Ce n'était pas malin, les talons.
⁡- Recevoir un commentaire sur ce que je me reproche depuis un moment est exactement ce dont j'ai besoin quand je fais une erreur, merci, ironisais-je.
⁡- Avec plaisir."

Nous levâmes les yeux vers les hautes tours. Un grand bâtiment se dressait devant nous. Ses larges murs de pierre brute s'apparentaient à des remparts de fort. La forêt venait mourir dans son ombre de géant.

"Ils se mettent bien le bataillon, l'air de rien", commentais-je à mi-voix.

L'enfant haussa les épaules. Moblit Berner revint vers nous quelques instants plus tard, après avoir cédé les chevaux à quelques autres soldats arborant les ailes de la liberté.

"Le major vous attend, suivez-moi je vais vous conduire à son bureau."

J'échangeais un regard perplexe avec Logan. Le major en personne allait nous accueillir, ce qui était assez inattendu. Astrid nous avait toujours indiqué que nous serions guidés par un capitaine, voire son successeur.

Ma méfiance s'accentua en rencontrant le personnage.

Moblit s'arrêta devant une large porte après nous avoir fait traverser un labyrinthe, de couloirs, de cours et d'escaliers, tous taillés dans de gros blocs de grès fade. Seul le sol était revêtu d'un parquet parfaitement ciré. Il tourna la poignée après s'être annoncé et la porte s'ouvrit sur une ambiance tout à fait différente. Un espace formel mais chaleureux, habillé d'un grand tapis rouge et tapissé de bibliothèques et de buffets. D'épais fauteuils de cuir entouraient une table basse. De lourds rideaux pendaient à la large fenêtre arrondie. Ses vitraux en croisillons laissaient passer une lumière douce, qui découpait l'imposant bureau au fond de la pièce. Un homme aux cheveux blonds tirés en arrière leva la tête en nous voyant.

"Logan et Zia Cole sont arrivés. Les enfants du caporal Astrid.
⁡- Bonjour, vous pouvez entrer."

Il mit ses papiers de côté et se leva.

Le bataillon pensait donc vraiment que j'étais la fille d'Astrid ? Ils ne devaient pas avoir les yeux en face des trous. Cette erreur me procurait un étrange mélange de bonheur, de tristesse et de culpabilité.

L'image d'Astrid me vint en tête. Je vis son crâne éclater dans un hurlement strident. Les éclats de sang, de carcasse et de cervelle s'éparpillèrent dans les airs, puis décélérèrent dans leur trajectoire et s'arrêtèrent tout à fait. Ils revinrent en arrière et, comme un fil qu'on rembobine, le sang fut aspiré, les os se rassemblèrent, ses globes oculaires rentrèrent de nouveau dans leurs orbites, ravalant chaque goutte de larme qui en avait coulé. Et bientôt ne resta que son portrait initial : une femme fatiguée à l'éternel sourire convaincu creusant des fossettes dans ses joues tachetées de sun, aux cheveux bruns négligemment lâchés autour de son visage. Seuls ses yeux hazel gardaient ce vide macabre, cette texture de cadavre. Comme une poupée de cire. Une fois qu'elle fut tout à fait reformée, sa tête éclata de nouveau.

"Zia ?"

Je sursautais. Le major Smith se tenait face à moi, beaucoup plus près que je ne l'avais calculé. Ses yeux bleus me scrutaient, concernés et impassibles. Son regard me mit instantanément mal à l'aise. Il avait quelque chose de creux qui me fit penser à ma vision sordide.

J'attrapais mollement la main qu'il tendait dans ma direction.

"Enchanté. J'aurais aimé vous rencontrer dans d'autres circonstances, mais on m'a beaucoup parlé de vous, donc je suis ravi de vous savoir parmi nous aujourd'hui.
⁡- J'aurais bien répondu être aux anges, si je n'étais pas là pour des raisons évidentes", rétorquais-je d'un ton amer.

Le major esquissa un maigre sourire.

"Vous avez de l'humour. J'espère que cela vous aidera dans cette période difficile."

Je n'étais pas sûre que mon sarcasme soit aussi efficace qu'une bonne bouteille de vin, mais je m'abstins du commentaire.

Erwin Smith recula de quelques pas. Ses pupilles de mort passaient sans arrêt de moi à Logan. Mon instinct me disait de partir immédiatement, mais pourtant je restais sagement là, immobile.

"Je m'excuse mais je n'ai pas beaucoup de temps à vous accorder. J'ai beaucoup de rapport à envoyer concernant la dernière expédition, qui a été pour le moins compliquée. Je tenais juste à vous voir quelques minutes pour vous expliquer la situation."

Il fit une pause pour avaler une longue gorgée d'eau d'un verre posé sur un coffre le long du mur, tout en maintenant ses paupières grandes ouvertes, les iris fixés sur mon visage. Je cillais.

"Voyez-vous, chaque soldat écrit un testament par prévention avant chaque expédition. Cependant, celui qu'Astrid nous a retourné était vide. Cela arrive rarement, et les procédures sont assez floues à ce propos... Techniquement, ses affaires appartiennent entièrement à l'armée à présent, y compris votre maison. Mais compte tenu des événements, on vous donne tout de même l'autorisation de récupérer ses biens et d'assister à la cérémonie en son honneur."

Je m'étouffais face à tant de clémence et de générosité. J'échangeais un regard discret avec l'enfant, et je sus instantanément qu'il pensait comme moi. Astrid nous avait dit à plusieurs reprises qu'elle précisait nos droits dans chacun de ses papiers.

"Elle se déroulera en début d'après-midi. Je vais vous faire guider pour la journée et on vous raccompagnera chez vous demain. En attendant, les restes de son corps sont exposés dans les sous-sols, si vous souhaitez lui faire vos adieux..."

La vision du visage d'Astrid éclatant repassa en une fraction de seconde sous mes yeux.

"Non, merci. Nous allons nous contenter de prendre ses biens."

Logan blêmit et hocha la tête. Le major opina.

"N'hésitez pas à venir me voir si vous avez des questions."

Il appela Moblit qui était resté aux portes du bureau.

"Conduis-les à la cantine pour le moment. Je pense qu'ils ont eu une longue matinée."

Je me méfiais énormément d'Erwin Smith, et je savais que quelque chose n'allait pas dans son discours, mais je dûs admettre que je lui fus reconnaissante de nous accorder cette pause. Mes jambes flageolaient, ma cheville me faisait souffrir, et je peinais à rester droite tant mon dos me lançais. J'avais grandement besoin de faire des étirements ; et j'avais choisi le pire accoutrement pour me balader dans la boue des camps d'entraînement. Une robe au corset de coton serré et des bottines à talons. Même courts, ils me faisaient trébucher à chaque dalle inégale. Mon sens du pratique m'exaspérait parfois.

Bientôt, la grande salle fut remplie par plusieurs centaines de soldats dont les voix résonnaient en désunion contre les murs de pierre sans fenêtre. Mon mal de crâne m'assommait de nouveau, attisé par le brouhaha ambiant. Je savais que c'était une mauvaise idée de vider une bouteille entière d'absinthe la veille.

Plusieurs soldats nous avaient rejoint à table, curieux de trouver de nouvelles têtes. La plupart tiraient des cernes de plusieurs pieds de long, preuve de la dernière journée mouvementée, mais je fus surprise de constater autant de visage souriant, de blagues et piques lancées à tort et à travers.

Je comprenais à peine tout ce qui se disait. Logan, plus à l'aise, réussit à expliquer la raison de notre présence, et notre table se transforma en concours d'anecdotes concernant Astrid. Certaines me firent presque sourire, mais je me désintéressais vite, l'attention accaparée par la personne s'étant glissée à côté de moi, me poussant à moitié dans sa maladresse.

C'était une femme aux traits androgynes. Ses cheveux étaient attachés en une queue de cheval brouillonne, laissant s'hérisser d'épaisses mèches brunes par tous les côtés. Ses lunettes ovales laissaient entrevoir deux prunelles brillantes d'excitation.

"Eh ça fait super longtemps !" s'exclama-t-elle.

Je me crispais toute entière. J'essayais de fuir en me plongeant dans mon potage insipide auquel j'avais à peine touché. La brune criait presque pour se faire entendre. Je priais pour qu'elle ne rameute pas du monde vers moi. Heureusement, la confusion sonore était telle que personne ne faisait attention à nous.

"Quoi ?
⁡- Mais oui ! Tu te rappelles pas ? Hansi Zoe. On était ensemble pendant les quatre-vingt douzième brigades d'entraînement !
⁡- Vous devez confondre.
⁡- C'est Zia, non ? Tu me mets le doute là", s'esclaffa-t-elle.

Je soupirais. La tension dans mes tempes battait son plein, le bruit commençait à grignoter mes quelques heures de sommeil, et je n'avais pas la force d'inventer un mensonge minable. Je n'avais pas anticipé retrouver un ancien camarade là, et être reconnue aussi facilement. À l'époque, le bataillon était franchement impopulaire, et rares étaient les recrues survivant plusieurs années. Je pensais que seule Astrid était assez folle pour en rêver.

J'avouais, dans l'espoir qu'elle me fiche la paix : "Oui, c'est moi."

La soldate se pencha vers moi, tout en fourrant une grosse cuillère dans sa bouche. Loin de la désintéresser, l'étincelle de curiosité qui brillait dans ses yeux se raviva.

"C'est dingue de te voir ici ! Qu'est-ce que tu deviens ?"

Un éclat de feuille bouillit gicla sur ma joue pendant qu'elle parlait. Je l'essuyais avec une grimace à peine voilée.

"Pas grand-chose."

Mon employeuse, amie conflictuelle et mère de substitution venait juste de mourir, mais sinon rien d'exceptionnel. Je poussais mon bol encore plein. Un poing d'acier serrait mon estomac, me rendant nauséeuse.

"T'es là pour l'enterrement ? s'enquit-elle après avoir aspiré bruyamment une nouvelle gorgée de bouillon. Ça craint d'avoir perdu Astrid comme ça. C'est la course au grade depuis hier... Enfin, y a pas de doute sur qui la remplacera."

Elle me fit un regard entendu, comme si je pouvais naturellement saisir de qui elle parlait alors que je ne connaissais rien du bataillon.

"Euh, d'accord."

Je me levais sans un regard pour elle et me glissais hors du banc. Je tapotais sur l'épaule de Logan : "Tu viens, on y va ?"

Celui-ci jeta un regard hésitant aux nouveaux camarades qui l'entouraient, avant de retourner son attention sur moi : "Je préfère rester ici pour l'instant. Je te rejoindrai plus tard."

Ça ne me plaisait pas de le laisser avec une bande d'inconnus, mais peu désireuse de rester ici, je me résignais à aller chercher Moblit Berner seule. Il mangeait avec des camarades deux tables plus loin.

"Conduisez moi jusqu'à la chambre d'Astrid, s'il vous plaît. Je voudrais en finir au plus vite."

***

Le soldat me laissa devant la porte et fila sans demander son reste. Un silence épais emplit le long couloir à mesure que les claquements de bottes s'éloignaient. Je soupirais de soulagement, m'accordant un instant de pause.

Une apaisante odeur de cirage, d'humidité et de savon flottait dans l'air. Il faisait frais et sombre dans ce château de pierre, mais quelques touches de lumière éclairaient ce tableau. Quelques particules de poussière dansaient dans le rayonnement d'une fenêtre. Le parquet reflétait la lumière de l'extérieur comme un lac de miel.

Je me projetais un instant dans le quotidien d'Astrid. Elle avait dû passer là des milliers de fois, poser ses pieds sur ses planches sans s'en préoccuper, perdre goût à ce calme simple. Chaque jour, elle avait dû se trouver à ma place exacte, épuisée et courbaturée, pensant à la longue soirée de solitude qui l'attendait.

La veille au matin, s'était-elle retournée ici-même pour regarder par le carreau les premiers rayons du soleil ?

Je dûs prendre une grande inspiration pour calmer l'humidité qui embuait ma vision. Je savais que si je m'arrêtais quelques secondes de plus, j'en resterais là, et je n'aurais pas le cran d'entrer. Je décidais de me priver de ce temps de réflexion et poussais le battant.

Ce n'était pas une chambre à proprement parler. La porte s'ouvrait sur une pièce à vivre petite et froide. Deux fenêtres donnaient sur la croûte nuageuse grisâtre. Un bureau rectangulaire entre deux chaises se tenait face aux vitres, croulant sous de nombreuses piles de papier. Un fauteuil usé était posé dans le coin d'une armoire.

Une pièce adjacente possédait un porte-manteau, une commode et un lit destiné à une unique personne. Tout avait été laissé en l'état, jusqu'au verre d'eau plein sur le chevet, comme si la résidente des lieux pouvait revenir d'un instant à l'autre. Son parfum flottait encore dans l'air.

Je me laissais tomber sur le lit qui craqua sous mon poids. Le visage enfouis dans mes mains, je me forçais à serrer les paupières afin de ne pas laisser couler les larmes qui brûlaient ma cornée. Mon souffle commençait à tirer douloureusement dans ma poitrine.

Que faisais-je là ? Pourquoi avais-je accepté de venir ? Pourquoi avait-il fallu qu'Astrid crève ? Pourquoi était-elle restée au bataillon tout ce temps, au lieu de rester avec sa famille ? N'aurait-elle pas voulu voir son fils unique grandir ? J'avais beau l'aimer, cette femme était d'un égoïsme qui me donnait la nausée. Laisser Logan seul, c'était le pire coup qu'elle aurait pu faire. Au final, il y avait bien longtemps qu'elle l'avait abandonné ; pouvait-on même considérer qu'elle fut mère un jour ?

Je sursautais en entendant la porte du bureau claquer. Des pas résonnèrent sur le plancher grinçant. Je restais muette, pétrifiée. On posa lourdement quelque chose sur ce que je supposais être une chaise, puis j'entendis une voix grave marmonner : "C'est pas vrai..."

Un courant d'air froid et humide entra dans la chambre lorsque les fenêtres s'ouvrirent une par une. Puis les claquements de semelles s'approchèrent dans ma direction. J'eus tout juste le temps de bondir sur mes pieds et chasser une larme traître qu'un soldat passa l'encadrement de la porte. Il s'arrêta net en me voyant.

C'était un homme svelte, aux épais cheveux rasés à partir des oreilles. La surprise disparut rapidement de son regard. Son visage peu viril se crispa en une moue désagréable. Je crus qu'il allait m'interroger sur mon identité, mais à la place il croisa les bras et demanda : "C'est toi qui a foutu de la merde partout ?"

Je me penchais et remarquais les traces de boue que j'avais laissé derrière moi à chaque pas.

"Euh, non... enfin, c'est peut-être quelqu'un d'autre."

Il fronça des sourcils sceptiques, toisant mes bottines couvertes de gadoue comme s'il s'agissait d'une arme de crime. Je me sentais démunie et à court de réplique face à ce silence inconfortable.

"J'espère que tu vas nettoyer ça vite."

L'irritation me gagna à l'écoute de son ton platement agacé. Je n'aimais pas la familiarité avec laquelle il s'adressait à moi, alors que j'avais d'autres chats à fouetter. Et puis, ça n'allait pas le tuer. Ce n'était pas lui qui, dès le matin, avait dû patauger pour pousser sur une charrette moyennement bien entretenue.

J'aurais voulu qu'il parte et me laisse trier les affaires. La dernière chose dont j'avais envie, c'était de continuer une dispute stérile avec un parfait inconnu. Je croisais les bras à mon tour : "Désolée, mais ce n'est pas mon problème. Si vous voulez bien m'excuser, j'ai à faire.
- C'est justement ton problème : tu as dégueulassé mon bureau."

Mon cœur loupa un battement. Il était donc le nouveau caporal-chef. Le major n'avait pas perdu de temps !

J'observais le remplaçant d'Astrid sous un angle différent. Le flegme menaçant de ses bras croisés, l'ennui du pli de ses lèvres, le désintérêt de ses yeux cernés me firent l'effet d'une claque. Sa prédécesseure, dont la chambre était encore remplie de ses vêtements, venait à peine de se faire bouffer vivante, mais cet homme respirait l'indifférence et venait me manquer de respect sans ciller. Je frémis de colère.

"Je dois juste prendre les affaires de ma mère. Je vous laisserais vous en charger après", assénais-je en me redressant un peu plus fièrement.

Il fronça les sourcils d'un cran : "Impossible que tu sois la fille d'Astrid. Tu es beaucoup trop vieille."

Constater que tous les membres du bataillon n'avaient pas de la merde de mouches dans les yeux me rassura autant que sa remarque eut le don de m'énerver. Je voulais juste qu'on me laisse tranquille, c'était trop demander ? Je ricanais, agacée, attrapant un vêtement au hasard pour la caler sous mon bras : "Bien sûr que non, je suis juste venu prendre furtivement ces manteaux... C'est vrai que je ressemble à une voleuse."

Il me jaugea avec perplexité : "Pas vraiment. N'importe qui avec un minimum de cervelle saurait qu'il ne faut pas porter de talons à la campagne, surtout à cette saison. Par contre, c'est une veste d'uniforme qui appartient au bataillon."

Il désigna le tissu brun que je tenais fermement. Je le lâchais sur le matelas en crispant la mâchoire.

"Je n'ai pas de raison de mentir. Allez voir votre chef si vous avez un problème avec ma présence ici, mais si vous voulez bien, j'ai à faire."

La porte grinça de nouveau, me sauvant de cette altercation embarrassante. Logan hésita à entrer, fit quelques pas avant de nous voir dans l'encadrement de la chambre. Il dû sentir la tension qui s'était installée dans la pièce car il eut un sourire crispé.

"Euh, bonjour...?
- Viens Logan, qu'on termine ça vite."

Le nouveau caporal recula et le laissa passer. Il me jeta un dernier regard sévère avant de s'en aller : "Évitez de salir plus que ça."

Puis il referma la porte derrière lui.

"Est-ce que c'est un code ? demanda le brun, dubitatif.
- Non, je pense qu'il parle sérieusement."

Logan et moi avions fourré les vêtements d'Astrid dans des sacs en silence durant deux heures. Tout fut rapidement bouclé, malgré notre lenteur émue. L'armée poussait au minimalisme. Elle ne possédait que très peu d'effets personnels inutiles, en dehors de quelques fleurs des champs séchées, d'un vieux bouquin qui ne semblait pas avoir été ouvert depuis des années, d'une plume qui devait avoir une quelconque signification à ses yeux, et un dessin d'enfant au crayon représentant quatre patates qui abordaient de grands sourires sous un grand soleil. Je reconnus mon écriture ronde, qui légendait au bas du papier à lettres : "Astrid, mamie, Zia et moi". Cette illustration devait dater des premières années où je m'étais occupée de Logan, puisque Mathilda, la mère d'Astrid, était décédée depuis longtemps. J'avais plié la feuille en quatre et l'avais glissée discrètement dans la poche de ma veste.

"Zia, regarde ça."

Logan me tendit le livre ouvert. Un mot était griffonné à la plume sur une des dernières pages.

"À nos nuits d'été."

La page suivante avait été arrachée. Peut-être une lettre jetée à cause d'un chagrin d'amour.

"J'ignorais que c'était une séductrice."

Mais Logan ne le prit pas à la rigolade. Il fronça les sourcils, sérieux.

"C'est sans doute de mon père.
- Ou bien une autre amourette, qui sait", conclus-je d'un haussement d'épaule.

Cela ne semblait pas incohérent qu'il s'agisse du père de Logan, mais cela avait peu d'importance. Ce n'était pas une dédicace dans un livre vieux de cinquante ans qui allait nous révéler son identité, alors que la soldate avait gardé le secret pendant plus d'une décennie. Elle m'avait racontée qu'il était mort en expédition avant la naissance de leur fils, mais n'avait jamais donné plus de détails.

Le peu d'espoir que j'avais de trouver une lettre indiquant son véritable testament avait été réduit à néant lorsque nous refermâmes la valise, ne laissant qu'une pièce dénudée derrière nous. Peut-être que je devais me résoudre à admettre qu'Astrid n'en avait en effet jamais écrit, et que son seul désir était de donner son maigre héritage au bataillon. Je me demandais pourquoi je n'y avais pas pensé plus tôt, tant cela semblait évident. Astrid s'était toujours moquée de Logan, ce n'était pas comme si elle avait pu avoir une étincelle de préoccupation pour son fils au moment d'écrire ses funestes vœux.

***

Alors que le cortège démarra entre les champs encore terreux pour rejoindre le cimetière militaire, la vision que j'avais eu plus tôt me revins. Où que je pose mon regard, je voyais la tête d'Astrid éclater en mille morceaux, se recoller, encore et encore. Une force invisible comprimait ma poitrine alors que j'avançais parmi les soldats, fixant d'un œil morne la terre se creuser mollement autour de leurs bottes et se gorger d'eau le pas d'après.

Son corps avait été placé dans un coffre fermé, tiré en début de cortège par un puissant cheval brun. Le sien, peut-être.

Avoir un enterrement pareil n'était réservé qu'aux hauts membres de l'armée, ou aux soldats aux exploits héroïques ayant fait évoluer la cause humaine. Ce traitement de faveur n'aurait pas plus à Astrid, elle qui déplorait les fosses communes et les bûchers réservés aux corps non-identifiés ou non-réclamés. Mais ce n'était pas comme si elle ou moi avions notre mot à dire face aux règles militaires.

Le cimetière ne se trouvait pas loin de là, mais n'importe qui aurait pu passer devant sans y faire attention. C'était une petite parcelle entourée d'une vieille barrière peu entretenue. Les tombes auraient pu se compter facilement. La plupart étaient de simples rochers. Certains n'avaient même pas de gravure de leur nom.

Un trou était déjà creusé sous le seul arbre du jardin macabre. Des croques-morts attendaient, leurs pelles sur l'épaule. Nous nous rassemblions tous autour du cercueil ; je nous comptais environ une cinquantaine. Quatre hommes, dont Moblit Berner, le descendirent solennellement en terre. Il disparut dans une angoisse muette, comme si une part de moi-même était restée dans la boîte.

Erwin Smith commença son discours, les mains dans le dos et le visage sérieux : "Astrid Cole était depuis deux ans déjà caporal-chef du bataillon d'exploration. Grâce à sa force et sa vigueur..."

Les croques morts commencèrent aussitôt à rejeter la terre dans la fosse. Mes poings se serrèrent et enfoncèrent mes ongles dans les paumes.

"... Elle illuminait le monde de sagesse et de bonté et était respectée de tous..."

Je m'attendais presque à ce qu'elle arrive derrière moi, me touche l'épaule et m'explique que tout cela était une erreur. C'était une autre soldate qu'ils avaient confondu avec elle. Je voulus m'élancer, crier d'arrêter. Mais mes pieds restèrent ancrés dans la boue, les mots se perdirent avant d'atteindre mes lèvres.

"... Elle était et restera un modèle de bienveillance et de courage pour l'humanité entière. Faisons en sorte que sa flamme ne se soit pas éteinte pour rien ! Qu'elle serve à raviver le feu ardent de la colère humaine ! Qu'elle serve à gagner le salut de l'humanité !"

Tous d'un même mouvement, les soldats firent le salut de l'humanité.

Logan et moi restions les bras ballants. Du coin de l'œil, j'aperçus son visage se tourner dans ma direction, mais je ne parvins pas à détacher les yeux du trou. Lorsque les fossoyeurs eurent tout à fait terminé de le reboucher, la corde qui enserrait mes poumons ne sectionna. Un soulagement fantomatique me traversa.

C'est fini.

On nous demanda d'avancer, pour être les premiers à lui adresser nos derniers mots.

Logan passa devant, la mine sombre. Il resta silencieux plusieurs longues minutes.

Puis ce fut mon tour. Pendant un moment, les mots ne me vinrent pas. Que dire à cette femme, que j'avais tant aimer et admirer, et pour qui j'éprouvais tant de rancœur. Qu'aurait-elle aimer entendre sur son lit de mort. Je finis par murmurer : "Logan sera en sécurité, je te le promets."

Je me détournais, rongée par l'émotion. Pourtant, aucune larme de vint. Il ne restait que ce gouffre dans mes entrailles, qui s'était résigné à la laisser partir.

Je restais en retrait, à regarder les soldats défiler les uns après les autres. J'avais perdu Logan de vue, et me demandais vaguement où il pouvait être passé, mais je me doutais qu'il avait dû aller discuter avec quelques anciens camarades d'Astrid lui présentant leur condoléances. J'admirais son sang-froid ; mais après tout, il n'avait jamais été proche de sa mère.

"Zia Cole."

Je relevais les yeux.

Le Major Smith se détacha de la foule pour venir dans ma direction. Un deuxième homme lui emboîta le pas ; le nouveau caporal.

La situation se présentait mal.

Arrivé à mon niveau, le blond inclina la tête en salutation, et se tourna à demi vers l'homme l'accompagnant. Le contraste de leurs tailles rendait le brun ridiculement minuscule.

"Je vous présente le caporal-chef Livaï. Il m'aidera à superviser le bataillon d'exploration à partir d'aujourd'hui."

Ses yeux métalliques croisèrent les miens avec une expression désagréable. En le voyant ainsi, je ne pouvais que penser qu'il se fichait de cette cérémonie ou de la mort d'Astrid. Il ne prenait même pas la peine de le cacher.

La confusion que je ressentais se transforma en colère noire, comme un acide brûlant se répandant à travers mon corps, me rongeant jusqu'à la moelle. Je le foudroyai du regard.

"J'avais cru comprendre."

Le caporal-chef Livaï haussa vaguement les sourcils, surpris par ma soudaine agressivité. Erwin Smith préféra l'ignorer.

"Vous avez déjà pu vous croiser ? Très bien.
- Qu'est-ce que vous me voulez, bon sang ?"

Le caporal plissa les yeux et retroussa les lèvres : "Fais attention à qui tu t'adresses."

La major haussa une main pour tempérer son nouveau bras droit. Je croyais être en train de rêver. Déjà qu'il se pavanait avec son nouveau titre et son désintérêt... Il s'octroyait à présent le droit de me parler sur ce ton pendant l'enterrement de mon amie ?

J'écumais de rage. Le caporal-chef Livaï me darda d'un regard noir en sifflant entre ses dents.

"Tch."

Le Major ne se démontait pas, et gardait un regard ferme et impassible. Il ressemblait à une statue vivante, qui pouvait tout juste imiter les mouvements humains.

Je répétais, détachant bien chaque syllabe : "Qu'est-ce que vous me voulez ?"

Erwin Smith se redressa un peu, comme pour sembler encore plus grand qu'il ne l'était déjà. Puis il déclara d'une voix tout à fait égale : "Nous voudrions que vous rejoigniez le bataillon d'exploration."

***

Yeh ! J'espère que le chapitre vous aura plu... Les deux premiers seront très longs, comme ça, comme il y a pas mal d'informations de base pour poser les fondations de l'histoire. Je m'en excuse, je fais le maximum pour que ce ne soit pas trop indigeste, mais j'avoue que j'ai un peu peur de faire fuir dès le début pas mal de lecteurs•trices... ^^'

Oui, on a vu des débuts d'histoire plus joyeuse... et ça va pas aller en s'arrangeant avant un petit moment, je vous aurais prévenu(e)s... ;w; Le deuil est un sujet que je n'ai pas forcément l'habitude de traiter, mais je fais de mon mieux ! Hesitez pas à prévenir si quelque chose vous semble incorrect.

Comme je l'avais dit dans les avants-propos, à part quelques petites scènes, quelques informations, ce premier chapitre ressemble sensiblement à celui écrit pour l'ancienne fanfiction. Mais j'espère qu'on peut déjà sentir quelques différences...

Voilà... je crois que je n'ai pas grand chose à dire, en fait ! Simplement, faites moi part de vos retours sur ce début d'intrigue, sur votre scène préférée, sur cet aperçu de mon personnage... ce qui vous a marqué ! Positivement bien sûr, mais je ne suis pas contre la critique négative à condition qu'elle soit justifiée et construite ! :)

J'annoncerai la date de la sortie du chapitre 2 dans mes annonces, mais ça devrait être relativement rapide.

À bientôt, prenez soin de vous ! <3

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