" L'amitié naît lorsqu'on a pour l'autre
une estime supérieure
à celle qu'on a pour soi-même "
Point de vue externe
Au cœur du Bayou, hormis cette chouette qui hulule du haut de sa branche, tout est tranquille.
Un épais manteau brumeux plane au-dessus des marécages. L'eau semble elle aussi profondément endormie, pas le moindre remous à la surface offrant le privilège à la mousse espagnole de la recouvrir d'un tapis verdâtre.
Puis soudainement, la terre se met à trembler troublant ainsi la quiétude de ces douze mille kilomètres carrés de cette forêt en partie inondée de Louisiane. Une biche, que personne n'aurait pu repérer, se redresse. Le corps tendu et les oreilles pointées en avant, elle prend quelques secondes pour analyser la situation. Sous ses fins sabots, elle ressent chaque vibration. Elles sont frénétiques et se rapprochent. Le cervidé panique. D'un coup de museau, elle réveille son petit et l'oblige à décamper sur-le-champ.
Subitement, la chouette se tut. Ses grands yeux s'arrondissent lorsqu'elle repère les deux canidés que rien ni personne ne pourrait stopper dans leur course folle. Le roux mène la danse tandis que le second se calque à chacun de ses mouvements. En apprentissage, le loup noir et blanc laisse ce nouveau lui faire ses premiers pas dans un monde qu'on lui a bien trop longtemps privés. Et courir au clair de la lune dans cet espace libre et sauvage lui fait un bien fou.
Au fur et à mesure, il gagne en confiance. Il revient sans difficulté à hauteur de Chris. Et il est d'une masse si importante comparée à lui que ces mouvements sont beaucoup moins fluides que sont devenus les siens.
Il est plus rapide, plus agile, plus coordonné que son acolyte parce que son corps a été conçu de cette façon. Chris, non. Ce dernier a été taillé pour le combat.
Et cela l'intrigue d'autant plus. Il a besoin de connaitre de tester sa propre force et rien de mieux d'apprendre de celui qu'il considère comme le meilleur. Alors dans un jeu, sans doute maladroit, il se jette sur le canidé roux et plonge ses crocs dans sa gorge l'obligeant par la même occasion à se stopper.
Surpris par l'attaque, les pattes de Chris dérapent. Avec vivacité, il secoue la tête de droite à gauche cherchant tant bien que mal à le déloger. Seulement, la mâchoire de son assaillant est puissante et l'emplacement choisi, aussi prêt de la jugulaire, est sans aucun doute extrêmement judicieux. S'il venait à la trancher, il en serait fini de lui. Même s'il n'est question que de jouer et non d'un véritable combat, son instinct le pousse naturellement à se défendre.
Alors s'aidant de ses puissantes pattes arrières, il exécute un saut, surprenant son adversaire. Et cela a parfaitement fonctionné. Sous l'impulsion et le poids massif du fils de Sam, Klaus a relâché la pression sur sa mâchoire. Tandis qu'il percute le sol dans une roulade, le canidé roux secoue sa fourrure épaisse afin de la remettre correctement en place.
Intrigué, le loup noir et blanc se relève et observe avec intérêt son semblable.
Et il a beau être un peu gauche dans ses mouvements et ne pas tout comprendre, encore moins où se situe sa place au sein de la hiérarchie, il est suffisamment intelligent pour avoir compris...
Compris qu'il sera toujours plus agile que lui. Compris qu'il le battra toujours à la course, mais qu'en revanche sa force physique ne surpassera jamais la sienne. Il est bien trop svelte, bien trop léger.
Il ne peut s'empêcher de japper. À cet instant, il se sent tel un louveteau égaré appelant désespérément ceux qui étaient censés lui apprendre, le guider.
Malheureusement, personne ne viendra pour lui.
Et il n'arrive pas à comprendre pourquoi son instinct lui dicte que sa place est au sommet alors qu'en face, il y a bien plus fort que lui.
Doit-il alors se soumettre ?
Rien que l'idée de devoir le faire le fait grogner.
Non, il ne le fera pas. Il ne le pourra jamais. Ce n'est pas son destin et rien ni personne ne lui retira ça de la tête.
La queue en boule sur son dos, Chris ayant senti sa détresse s'avance vers lui. Et Klaus, quelque peu perdu, ne peut s'empêcher d'observer cette attitude qui n'a absolument rien d'hostile. Il serait si facile pour lui de mettre en évidence cette faiblesse et pourtant à aucun moment il ne recherche la confrontation comme s'il se fichait bien de ce détail.
Alors doit-il en faire de même ? Finalement, est-ce si important ?
D'un aboiement, Chris l'incite à jouer. Et bien que Klaus reste assis paresseusement, lorsqu'il voit son acolyte s'enfuir, son instinct le pousse à le pourchasser.
Et plus il court contre le vent et plus toutes ses interrogations deviennent superflues. Sans importances. Parce qu'au fond, entre eux il n'y a pas de désir de dominer l'autre.
Pov Rebekah
Une fois de plus, j'ai laissé la porte-fenêtre de ma chambre ouverte. C'est mal, dangereux. Pourtant, je n'arrive pas à en faire autrement. J'ai beau le faire chaque nuit, il ne vient pas pour autant. Et je sais que je suis stupide de nourrir cet espoir, car il est évident que nous n'en sommes pas encore là.
La fatigue se fait de plus en plus sentir. Mes yeux peinent à résister et pourtant je cherche désespérément à rester éveillé et concentré sur mon livre. Un simple coup d'œil en direction du radio réveil m'informe qu'il est presque 3 h du matin.
Cela fait des heures que lui et mon frère ne font désormais plus qu'un avec leurs natures sauvages. Et j'aurais tant aimé ne pas les rater lorsqu'ils sont venus au QG. Caroline m'a avoué que sa rencontre avec Nik avait quelque chose d'étrange et de touchant. Visiblement, son loup n'est pas aussi tyrannique que ce que le vampirisme a fait de lui. Et Chris, dans tout ça ? Comment est-il ? Ma belle sœur m'a également raconté le moment où il a tenu tête à Lucian pour défendre Klaus. Et au fond, ce côté protecteur, je ne l'ignore pas. Plusieurs fois, j'y assisté.
Un dernier coup d'œil en direction de la porte-fenêtre puis je me décide à rejoindre les bras de Morphée. Je dépose mon livre sur la table de chevet, enfile la chemise de Chris que je retrouve sous mon oreiller puis éteins la lumière.
Le jour arrivera vite. Et comme chaque matin, je serais réveillé par les roues des calèches et des sabots des chevaux qui frappent le sol pavé. Et ce son sera bien plus puissant que celui que je crois entendre maintenant. D'un froncement de sourcils, je tâtonne jusqu'à trouver l'interrupteur.
Lorsque je découvre la présence de ce loup cuivré dans ma chambre dont les griffes sur le parquet émettent un léger cliquetis, j'ai la sensation que mon cœur va se décrocher. Suis-je déjà en train de rêver ?
— Coucou toi ! je chuchote tout en me dégageant de la couette
Ses oreilles se balancent d'avant en arrière tandis qu'il me fixe de son regard semblable à de l'or liquide. Sa truffe commence à renifler tout ce qu'il y a autour et bien qu'il le fait, il ne me perd jamais de vue. Avec lenteur, je dépose mes pieds au sol et me dirige vers la porte-fenêtre. Lorsque je la ferme, son corps entier se crispe subitement et il prend le temps d'analyser la situation tout en penchant la tête sur le côté. Ses yeux étudient maintenant la porte entrouverte de ma chambre, la seule issue.
Je vais devoir me montrer plus rapide que lui.
Alors même si je sais qu'il déteste les gestes brusques, je m'élance, grimpe sur mon lit, bondit jusqu'à la porte et la ferme à son tour. Le claquement de cette dernière contre le bâti lui fait sautiller les oreilles. En particulier la gauche, comme souvent.
Désormais, il n'a plus aucun moyen de fuir et il semble lui aussi l'avoir bien compris lorsque je l'entends émettre de petits sons plaintifs derrière mon dos. Et chacun d'eux me brisent le cœur.
— Non, Chris, s'il te plaît. Tu n'as absolument rien à craindre.
Déboussolé, la queue rentrée entre ses pattes arrières qui ne cessent de trembler et les oreilles baissées, il est en train de perdre tout de sa superbe.
— Chris, c'est seulement moi et tout va bien.
J'avance, lui recule jusqu'à atteindre le mur. Comprenant qu'il est arrivé à échéance et qu'il ne pourra plus aller plus loin, il réagit comme il l'a toujours fait lorsque la panique prend possession de lui : il tente l'intimidation.
Ses babines se retroussent puis il émet un grognement sourd.
— Laisse-moi faire... tout ce que je veux c'est seulement te toucher !
Il regarde partout dans l'espoir de s'enfuir. Alors que je mes suis agenouillé devant lui, lui bondit avec fluidité au-dessus de ma tête et cherche à glisser sous mon lit. Et je ne peux m'empêcher de rire, il est bien trop volumineux pour y arriver. Et en comprenant par lui-même qu'il ne pourra pas s'y cacher, il exécute une marche arrière maladroite puis va se tasser dans un coin.
— Hey, bah alors... je chuchote
Il se redresse, grogne avec plus d'assurance. Seulement, moi, je ne bouge pas d'un centimètre.
Mon bras se tend, ses yeux dorés sont fixés dessus. Instinctivement, je repense à sa première morsure. La douleur pourtant lointaine me revient en tête. Ma main approche de sa truffe et lui s'élance.
Mon visage se crispe aussitôt, ses crocs entourent maintenant mon bras. Seulement, je constate que ses canines, bien qu'aiguisées, n'ont pas percé ma chair. En vérité, elles me retiennent plus qu'autre chose.
— C'est dommage pour toi, car moi j'ai deux mains, je lui dis dans un petit sourire amusé.
J'en approche alors la deuxième et cette fois j'atteins enfin le but que je m'étais fixé. Ma paume caresse le dessus de sa tête. Lui tremble, mordille un peu plus mon bras retenu en otage dans sa gueule, mais ce n'est pas pour autant douloureux.
— Tu vois, ce n'est pas si terrible ! je murmure
Mes doigts descendent dans son encolure puis remontent sur son dos. Rendant les armes, il me libère et commence à me renifler. Et tout y passe, mon visage, mes cheveux puis mon bras ou repose à jamais la cicatrice de sa première morsure. D'un coup de langue, il se met à la lécher.
— Est-ce que c'est ta façon à toi de me demander pardon ?
Je sais d'avance qu'il ne pourra pas répondre. J'ignore même s'il comprend chacun de mes mots, mais cela m'est bien égal. À cet instant, je suis heureuse, émue de pouvoir y croire.
— On recommence ? Tu veux bien recommencer ?
Et sans attendre, je tends à nouveau ma main dans sa direction. Chris, plus confiant, s'avance. Et enfin, il me laisse le toucher de son plein gré. J'oserais même dire qu'il recherche le contact lorsque sa tête s'enfonce un peu plus profond dans le creux de ma paume.
À cet instant, me voilà comblée. Alors sans lui en demander plus, je recule tout doucement et le remercie. Je sais que l'homme n'est pas conscient, mais pour moi c'est un pas de plus vers lui. Petit à petit, sa confiance, je la gagne.
Je me dirige vers la porte-fenêtre et l'ouvre sous son regard attentif. Chose promise, chose due.
— Tu es libre de partir.
Je retourne me coucher et me positionne de façon à le voir retrouver sa liberté. Seulement, une fois sur le balcon, il rentre à nouveau. À pas timides, son oreille gauche qui n'a de cesse de sautiller, il s'avance jusqu'à moi. Une après l'autre, ses pattes avant se déposent sur mon couvre-lit. Il semble attendre mon acceptation.
J'ai l'impression que rien de ceci n'est vrai ou d'être plongée dans une réalité alternative. Peut-être suis-je réellement endormie et que Morphée est en train de se jouer de moi. Cela m'est bien égal et au fond, je ne préfère pas savoir.
— Viens, Chris !
Et pour accentuer mes dires, je me saisis de ses pattes avant et l'incite à monter. Après avoir tourné dans tout le sens, il se décide enfin à s'allonger à mes côtés, ses yeux dorés me fixant avec un intérêt palpable.
Alors, lorsqu'après plusieurs heures, je reconnais le frappement caractéristique des sabots qui martèlent le bitume, je sais que la nuit s'en est allée pour faire place au jour. Et la simple idée de soulever les paupières m'est atroce. Et si tout ceci n'avait pas été réel ? Serais-je prête pour que la déception me saisisse ?
Pourtant je sais que je le dois. Après tout, c'est le seul moyen de passer du rêve à la réalité.
Mes yeux s'ouvrent et s'arrondissent en le trouvant là. Son visage redevenu humain est d'ailleurs tout près du mien.
Un sourire jusqu'aux oreilles m'envahit lorsque je prends le temps de le redécouvrir. Et je ne m'en lasse pas. Il est toujours aussi splendide. M'appuyant sur mon coude, je ne me gène pas pour le reluquer sur tous les angles. Même sa virilité, ne m'échappe pas.
— Tu es magnifique, Trésor ! je chuchote.
Puis jugeant mon inspection terminée, je camoufle sa nudité avec la couette. En m'approchant suffisamment, je fronce les sourcils en découvrant une cicatrice que je n'avais jamais vue auparavant. Pourtant bien visible au creux de sa nuque du côté gauche, elle est bien là. Je reconnais immédiatement les traces d'une morsure de vampire. Et vu que sa nature de lycanthrope ne l'a pas soignée, elle ne pouvait être là qu'avant. Elle ne peut donc venir que de celle qui l'a marqué à vie et bien de plusieurs façons. Et j'aimerais tant pouvoir le guérir de tous ses maux.
Et je ne peux m'empêcher de m'interroger au sujet de son oreille gauche, lorsqu'il est en loup, qui est toujours en train de sautiller. Y 'aurait-il un lien ? Cette créature a-t-elle plongé ses crocs si profondément en lui au point d'atteindre un nerf ?
Sans pouvoir me retenir, je dépose mes lèvres à l'emplacement même de sa cicatrice puis me niche contre lui en priant pour ne pas le réveiller. Parce que je ne suis pas stupide pour me douter que le Chris humain ne risque pas vraiment d'apprécier de se trouver là. À mes côtés, dans mon lit et complètement nu.