Tout l'Univers - Gjon's Tears
❝ Quand tu me manques, je mets la main sur mon cœur et je ferme les yeux. Car je sais que c'est le seul endroit où tu existes toujours. ❞
- anonyme
★
- Clara ? Tu fais quoi ? demande Roméo en la voyant remettre précipitamment son manteau.
- Il faut que j'y aille...
- Quoi ? Maintenant ? Mais il est vingt-deux heures passées.
- C'est important. Pour moi, pour elle. Pour Danae. J'en ai besoin. Je dois aller la voir. S'il te plaît, laisse moi tout t'expliquer...
Roméo la suit, sans rien dire. Une multitude de questions lui traversent l'esprit, mais il se tait, voulant laisser le temps à Clara de lui répondre calmement le moment venu. Elle l'attrape par le bras et les deux marchent à pas de loup dans l'appartement. L'adolescente ouvre le tiroir du meuble du salon et en sort un trousseau de clés.
- On va prendre des vélos électriques, ça te va ?
- Oui, oui pas de soucis...
- T'as ton permis, sinon ?
- Ouais.
- Nan mais je vais rester sur mon idée des vélos. Il y a tout un parking en bas de ma rue. On en déverrouille deux, ça devrait aller.
- Ok, je te suis.
Elle esquisse un sourire et lui lance un regard doux, dans lequel le brun décèle une sorte de remerciement.
- Ta mère va rien dire que tu sortes à une telle heure ?
- Elle comprendra, t'inquiète pas. Je vais lui laisser un mot au cas où elle se réveille pendant qu'on est partis, mais elle va se douter de là où je me trouve.
En disant cela, Clara griffonne un rapide mot qu'elle pose sur la table, puis sort de l'appartement, Roméo sur ses talons. Ensuite, ils descendent les escaliers sans faire trop de bruit, puis atteignent l'extérieur. Une fois dehors, la blonde se dépêche d'aller jusqu'au parking où sont entreposés les vélos à louer. Elle s'exécute d'en déverrouiller deux, dont un qu'elle avance jusqu'à l'adolescent.
Ils les enfourchent et pédalent ensuite pendant un long moment dans les rues désertes parisiennes. L'air nocturne autour d'eux est plutôt froid, mais faire du vélos les réchauffe. Contrairement à ce que Clara pensait, aucune crise d'angoisse ne s'apprête à faire surface, elle se sent même très bien et sait qu'elle a pris la bonne décision de tout révéler à Roméo. Au détour d'une rue, la blonde reconnaît la devanture d'un fleuriste et s'arrête.
- Attends moi là, je reviens tout de suite.
Clara gare son vélo, descend de dessus et marche jusqu'à la boutique. Celle-ci est fermée, mais l'adolescente trouve un bouquet invendu, oublié sur le trottoir, qui semble l'attendre. Elle sourit, se dit chanceuse et sort un billet de cinq euros de sa poche, qu'elle glisse dans la boîte aux lettres du magasin et repart vers Roméo en courant. L'adolescente pose la gerbe de fleurs dans son panier, et les deux se remettent en route.
Ils s'arrêtent soudain après quelques kilomètres parcourus devant un cimetière. Clara descend de son vélo, aussitôt suivie par Roméo, le gare contre un poteau puis se met à escalader la grille. Elle prend une pause à mi-chemin, reprend son souffle, se frotte les mains rougies par le métal du portail, puis tire sur un loquet de fer rouillé placé en hauteur. La porte s'ouvre dans un clic et elle redescend se placer à côté de Roméo, satisfaite.
- C'est fermé la nuit, dit-elle comme pour se justifier. Mais j'ai découvert qu'on pouvait l'ouvrir en tirant un peu dessus. Viens.
Elle récupère son pot de fleurs dans le panier de son vélo, attrape Roméo par la main et les deux adolescents pénètrent dans le cimetière.
- Tu viens souvent ici ? chuchote t-il.
- Plusieurs fois par an, oui. Parfois juste quand j'ai envie d'être seule, je viens me réfugier ici. J'arrose les fleurs, je lui dis bonjour.
Elle l'entraîne soudain devant une tombe puis s'arrête. Sur la pierre noire est gravée en lettres d'or trois simples lignes.
Danae Isabelle Moreno
À jamais dans nos cœurs.
Roméo entrelace ses doigts dans ceux de Clara. Lorsqu'il voit les larmes perler au coin de ses yeux bleus, il sent qu'elle va avoir besoin de lui pour la soutenir.
- Oh, Clara...
Mais il ne peut poursuivre sa phrase, coupé par l'émotion. Il serre la blonde contre lui, tandis qu'elle lui raconte ce qu'il s'est passé, quelques années auparavant.
★
Quatre ans et demis plus tôt, le soir de l'accident.
Les deux blondes montent en voiture. Il est tard, elles reviennent d'une sortie avec le centre de loisirs et le père d'un de leur camarade s'est proposé de les ramener chez elle. Clara tient la portière ouverte, tandis que Danae prend place sur la banquette arrière. Une fois les deux installées, les ceintures bouclées, le père de leur ami démarre, guidé par les lumières aveuglantes de la capitale. Il allume la radio, monte le volume, et se met à fredonner sur les paroles, sans pour autant déporter son attention de la route.
Soudain, dans un carrefour, une voiture à leur gauche grille un feu rouge et leur fonce dedans dans un bruit fracassant. Tout le monde se met à crier. Le père de leur ami tente de réagir, fait crisser les pneus pour reprendre le contrôle du véhicule, mais c'est trop tard. Le choc est passé.
Ensuite, tout n'est qu'une succession de choses pour Clara. Les sirènes de pompiers. Les cris. Les pleurs. L'hôpital. Le docteurs. Les examens médicaux qui s'étalent sur plusieurs semaines. Puis un appel. Dans un élan d'espoir, Clara court chercher le combiné et décroche.
- Allô ?
- Mademoiselle Moreno ?
- Oui, c'est moi.
- C'est le docteur Meurin à l'appareil. Je... je suis désolée...
Clara se souvient pas réellement de la réaction qu'elle a eu en apprenant la nouvelle. Elle se rappelle juste lâcher le téléphone avant de s'écrouler en pleurant dans les bras de son père.
★
- La voiture est arrivée par la gauche et nous a percuté de plein fouet. Ma sœur s'est tout pris, continue Clara. J'ai crié sous le choc, des passants ont appelé les secours. On m'a emmené à l'hôpital pour me faire passer des tests. Tous les jours, j'allais voir ma sœur, en espérant qu'elle se réveille de son coma. Puis, un jour alors que les médecins m'avaient autorisé à retourner chez moi, les urgences ont appelé. À ce moment, ma vie a basculé. Cet appel a chamboule l'équilibre que je m'étais crée. Je ne suis pas sortie de chez moi pendant plus d'une semaine, après ça. C'était au-dessus de mes forces. Je ne pouvais pas, je n'arrivais pas. Je me disais que c'était impossible, qu'elle ne pouvait pas être morte. Qu'elle ne pouvait pas m'avoir laissé ainsi...
- Oh, Clara... je ne sais pas quoi dire... J'imagine à quel point ça a été difficile pour toi.
- Je n'avais personne à qui me confier. Ma mère a commencé à boire et à prendre tout un tas de médicaments pour l'aider à aller mieux. Ça a été pire que tout. Elle a plongé dans la dépression et dans les addictions. Elle buvait beaucoup, ne sortait plus, a arrêté de prendre soin d'elle. Mon père...
Clara s'arrête un instant pour refouler un sanglot qui s'apprête à monter.
- Tu ne m'as jamais parlé de lui... l'invite à poursuivre Roméo.
- Mon père s'est cassé de la maison un beau jour, pendant la nuit. Pas un adieu ni rien. Juste une lettre censée nous expliquer la raison de son départ. Il a dit que me voir lui faisait penser à ma sœur... Et qu'il ne pouvait plus le supporter. Qu'elle lui manquerait toujours et qu'il n'arriverait pas à faire son deuil s'il vivait avec son portait craché. Je me suis pris un deuxième coup de poignard. Au lieu de chercher à me consoler, il m'a fait culpabiliser. À partir de là, mon monde s'est effondré...
Cette fois ci, les larmes coulent sans que l'adolescente ne puisse les arrêter. Roméo la serre contre sa poitrine, pose son menton sur sa tête et caresse ses cheveux tandis que son corps est agité de sanglots.
- Pleure, dit-il. Pleure si ça te fait du bien. Libère toi de toute cette douleur. Je suis là...
- Ma mère, hoquète t-elle quand elle s'est calmée, ma mère s'est faite licenciée de son travail, car son patron n'en pouvait plus qu'elle arrive bourrée, en retard ou qu'elle ne vienne carrément pas certains jours. De mon côté, j'ai commencé à fréquenter des soirées, des personnes plus âgées. Ça a eu des répercussions sur mes résultats scolaires. Mes professeurs ont demandé le redoublement de ma quatrième. Puis, j'ai rencontré Éric. Il m'a promis tout un tas de choses, m'a permis d'oublier ma souffrance, et j'ai trouvé refuge dans tout ce qu'il me proposait. La suite tu la connais.
La blonde sort un mouchoir de la poche de son manteau et s'y mouche bruyamment. Roméo ne dit rien, il ne veut pas interrompre ce moment de confidences.
- J'étais suivie psychologiquement, mais je me renfermais sur moi-même et sur ce que je consommais. Face à mon refus de coopération, le docteur a demandé un transfert de dossier vers sa collègue, Madame Cottie, la psy qui me suit toujours actuellement. Elle a su m'apprivoiser, et j'ai appris à me confier, à me reconstruire. Je n'arrivais pas à faire mon deuil, à oublier, ma douleur était immense, et elle a su trouver les mots pour m'aider. J'ai repris progressivement les cours de théâtre, mais en changeant de troupe et de professeur. Comme une sorte de nouveau départ. C'est là que j'ai choisi d'emprunter le nom de Danae comme nom de scène. Pour lui rendre hommage. Pour ne pas oublier l'amour du théâtre qui nous liait toutes les deux. Cette passion commune que j'étais désormais la seule à poursuivre. Maintenant, sur scène, c'est comme si elle était toujours avec moi. Je lui ai promis de rester forte, de vivre pour nous deux. C'est grâce à cette promesse que j'ai réussi à remonter la pente... De l'accident, je n'ai gardé aucune séquelle physique. Mais j'ai perdu ma sœur jumelle, ma meilleure amie, ma moitié. Et elle a emporté avec elle toute la famille. Pendant longtemps je m'en suis voulu, j'ai trouvé injuste. Pourquoi elle et pas moi ?
- C'est pour ça que tu ne crois plus au destin ?
- Oui, j'ai arrêté de penser que la vie pouvait m'apporter des cadeaux alors qu'elle m'avait enlevé ma sœur.
Elle laisse tomber sa tête sur l'épaule du brun. Se confier lui a demandé plus d'énergie qu'elle ne le pensait mais elle se sent tellement plus légère et soulagée d'avoir partagé le poids de son passé.
- De nous deux, c'était elle la plus joyeuse, la plus positive. Elle était beaucoup plus extravertie que moi et c'était toujours grâce à elle si je sortais de ma zone de confort. Je me rappelle quand on avait douze ans, elle m'a traîné de force jusqu'au théâtre car j'étais trop timide pour m'inscrire toute seule. Danae a écrit nos deux prénoms sur la liste des nouvelles inscriptions ainsi que le numéro de notre mère pour qu'elle finalise le tout. Sur le coup, je lui en ai voulu mais je lui ai vite pardonné quand on est monté sur scène pour la première fois toutes les deux.
Elle sourit, tandis que ces bribes de souvenirs lui reviennent à l'esprit. Clara se détache ensuite de Roméo, attrape les fleurs qu'elle avait laissé à ses pieds et les dépose sur la tombe.
- C'est aussi son anniversaire. Je lui devais de venir aujourd'hui. Elle me manque énormément.
- Je sais, Clara, j'imagine bien. Tu es la personne la plus forte que je connaisse. Jamais j'aurais pu imaginer que tu avais vécu ça. Tu étais si jeune quand c'est arrivé, je peux comprendre que ça t'ai brisé. Mais on va surmonter ça ensemble, toi et moi, je te le promets.
Elle le remercie et embrasse tendrement.
- Je t'attends dehors avec les vélos. Reste le temps que tu as besoin.
- Ok, merci.
Une fois seule, Clara inspire profondément et murmure quelques derniers mots à sa sœur. C'est beaucoup plus sereine que la blonde va aborder sa dix-neuvième année. Ses blessures sont en train de guérir, elle le sent, et c'est grâce à Roméo notamment. Il a su la soutenir, la relever, elle sait qu'elle peut compter sur lui et que même s'il connaît son passé, il ne va pas la laisser tomber.
- Je t'aime, Danae, dit-elle avant de quitter la tombe et de rejoindre Roméo sur le trottoir.
Les deux repartent ensuite en vélo jusqu'à l'immeuble de l'adolescente. Ils garent leur vélo, s'embrassent puis Roméo repart chez lui. La blonde remonte doucement jusqu'à son appartement, puis file dans sa chambre, sans déranger sa mère.
Il est minuit passé, quand Clara se glisse finalement en pyjama dans son lit. N'arrivant pas à trouver le sommeil, elle s'assoit en tailleur sur son lit, et repense à la journée riche en émotions qui vient de se passer. Puis, elle commence à feuilleter le recueil de poésie offert par Roméo. À l'intérieur, les poèmes sont entrecoupés de photographies en noir et blanc, toutes plus envoûtantes les unes que les autres. L'adolescente se perd dans les premiers lignes, dans les mots puissants de l'auteur.
Soudain, un marque page tombe du livre. Elle le regarde et sourit quand elle voit l'écriture fine de Roméo dessus. « Si ton monde n'est que théâtre et poésie, alors laisse moi t'aimer en vers. », peut-elle lire.
Une simple phrase qui s'étale au feutre noir mais pourtant le cœur de Clara se gonfle immédiatement de bonheur. Elle le repose ensuite sur sa table de chevet, à côté du petit cadre, et touche le pendentif à son cou, en souvenir de sa sœur décédée. Bientôt, lui promet-elle, bientôt elle sera en paix avec elle-même.
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hello !
comment ça va ?
le chapitre tant attendu est là hihi !
j'avais tellement hâte de vous le partager, que vous découvriez enfin toute l'histoire de Clara
j'espère qu'il vous a plu <3
à la semaine prochaine
- anaïs.