Jeudi 8 mai.
Harry,
Je ne sais pas si nous avons été stupides d'avoir pensé que cela pouvait fonctionner et s'arranger, ou si nous étions sincères, mais que trop de choses nous ont déchirés pour pouvoir nous retrouver. J'ai l'impression que mon corps tout entier tremble de colère. Mon esprit s'encombre de souvenirs désagréables, mon coeur bat incroyablement vite et je suis presque sûr que mes yeux lancent des éclairs lorsque je le regarde.
Il s'est passé six jours depuis notre soirée de "retrouvailles", avant que tout les efforts de ces derniers jours ne tombent à l'eau. Nous sommes à notre deuxième séance chez la thérapeute et je n'arrive pas à croire que le ton soit monté aussi vite, au point de nous lever et de crier l'un sur l'autre.
- Tu m'as reproché de ne pas assez t'exprimer ce que je ressentais ! Et quand j'ai essayé de le faire, tu t'es fermé comme une huitre !
- Pour me mentir et me dire que tu n'arrivais plus à avancer dans ta vie.
- Calmez-vous, dit la thérapeute. Ça ne sert à rien de crier, asseyez-vous.
Louis soupire en passant une main dans ses cheveux, puis se rassoit sur le canapé. Je me rassois aussi, sur le bord, comme si j'allais quitter la pièce d'une seconde à l'autre. Je me ronge l'ongle du pouce.
- Louis, avez-vous toujours cette impression de ne plus avancer dans votre vie ?
- Non, enfin...Si, encore un peu.
- Vous pouvez me dire pourquoi ?
- À cause de moments comme celui-là. Où Harry n'écoute que ce qu'il ne veut et reste renfrogné dans ses pensées. Là, j'ai l'impression de ne pas avancer et que tout ça ne sert à rien.
- Va t'en alors. La porte est grande ouverte, au moins tu pourras avancer comme tu veux.
- Ne me pousse pas Harry.
- Harry, pourquoi vous ne laissez pas Louis exprimer ce qu'il ressent ?
- Parce que je sais parfaitement ce qu'il va dire. Qu'il est désolé pour ce qu'il a dit, qu'il va faire des efforts et qu'il m'aime. Et dès qu'il se passera à nouveau quelque chose, il recommencera à mentir ou à me reprocher des choses.
- Oui, c'est vrai que je te reproche souvent des choses, il dit ironiquement. Pauvre Harry, il a un méchant mari.
La thérapeute se pince les lèvres en nous regardant. Elle ferme son carnet et le tient sur ses genoux.
- Écoutez ... Cela ne mène nul part et nous revenons toujours au point de départ. Nous allons essayer de remettre les choses à plat, en douceur.
- Je suis d'accord, dit Louis.
- Bien. Harry, êtes-vous d'accord pour reprendre les choses calmement, sans que personne ne hausse le ton ?
Je soupire et acquiesce positivement de la tête.
- Avez-vous déjà pensé à passer du temps séparément ? Un peu comme une pause, mais...
- Oui, dis-je en interrompant la thérapeute, nous avons déjà fait deux breaks, mais je ne pense pas qu'une troisième pause soit une bonne idée pour essayer de sauver notre couple.
- Laisse-la finir, tu veux...
- Ne voyez pas cela comme une séparation. Vous avez vécu beaucoup de choses difficiles ces dernières années. Ces épreuves vous ont changées. Elles vous ont rendues plus forts individuellement, mais plus fragiles ensemble. L'idée est de vous redécouvrir vous, en tant que personne. Pas seulement en tant que maris et pères, mais en tant que Louis et Harry. Les couples qui viennent en thérapie, le font pour deux raisons. Soit l'une des personnes souhaite mettre à un terme à la relation et à besoin d'aide pour le dire à l'autre. Soit, ils veulent tout faire pour sauver leur mariage et se battent ensemble pour que cela fonctionne.
- Et c'est ce que l'on veut, pas vrai Harry ?
J'essaye de me contenir. J'essaye vraiment de ne pas lever et partir de cette salle en claquant la porte derrière moi. Je ne sais pas ce que je veux. Je ne sais plus ce que je veux. Il y a quelques jours, les moments que je partageais avec Louis étaient ceux que je recherchais depuis longtemps. Je me sentais à nouveau bien, mais avec ce début de séance, ça a complètement effacé ces derniers jours de paix. J'inspire profondément avant de répondre en essayant d'avoir l'air sincère.
- Oui...
- D'accord. Ce temps que vous allez passer séparément, c'est vous, qui en choisissez la durée, ensemble. Et on se retrouvera à la fin de ce temps pour faire le point sur votre relation. Ce que vous avez fait pendant cette pause, ce que vous avez ressentis et comment vous vous sentirez à ce moment-là. Qu'est-ce que vous en pensez ?
Je ne sais pas si ça peut fonctionner ce genre d'exercice. Peut-être que ça peut nous faire du bien de passer du temps séparément, mais... Et si au final ça nous éloignait ? Et si, on se rendait compte que finalement... On se sent mieux l'un sans l'autre ? Ce n'était pas le but recherché de ces séances de thérapie.
- On peut essayer, dit Louis sûr de lui.
- Harry ?
Je ne suis pas sûr de moi. Je ne suis vraiment pas sûr de tout ça, mais ma bouche dit à la place de mon cerveau.
- On peut essayer...
- Combien de temps vous souhaitez faire cet exercice ? C'est vous et vous seuls qui choisissez.
Louis tourne sa tête vers moi et je le regarde aussi, difficilement.
- Trente jours ? il propose.
- Un mois ? Tu veux faire ça pendant un mois ?
- On ne se sépare pas Harry. On sera tous les deux à la maison, ce n'est pas... Comme les deux dernières fois. Cette fois, ce sera différent. Nous sommes avec quelqu'un pour nous aider.
- Louis à raison. Vous avez trois enfants qui sont assez grands pour comprendre les choses et il y a Maïa aussi, donc vous continuerez à vivre ensemble. Seulement, vos vies seront séparées et les chambres aussi. Établissez un planning pour vous occuper des enfants et respectez-le. Pas de discussion. Pas de communication, sauf en cas d'urgence. Et la règle la plus importante, pas de relations sexuelles, ensemble ou avec d'autres personnes.
- Cela va de soit, dis-je en pouffant.
- Est-ce que vous êtes d'accord avec cela, tous les deux ?
- Oui.
- Oui.
- Vous pouvez commencer l'exercice demain, le temps d'organiser vos plannings et d'en parler avec vos enfants.
Je n'y crois pas du tout, et pourtant... Cela va durer un mois...
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Vendredi 9 Mai - Jour 1.
Nous avons parlé aux enfants, nous avons tout expliqué à Maïa. Nous avons établi un planning qui n'a pas beaucoup changé de l'ancien, étant donné que nos horaires de travail sont assez différents l'un de l'autre. Louis dort dans notre chambre et moi dans le bureau sur le clic-clac.
La semaine, j'emmène les enfants à l'école ou à la garderie le matin et Louis les récupères le soir ou inversement en fonction des imprévus avec l'hôpital. Maïa les gardent comme tous les mercredis après-midi.
Et pour les week-ends, on verra ce qui est possible de faire. On essayera de faire en sorte que les enfants passent du temps avec leurs grands-parents, cousins et cousines ou parrains et marraines.
Je ne crois toujours pas que cette pause ou cet exercice peut fonctionner. Je ne sais pas si j'arriverai à ne pas parler à Louis pendant un mois entier. Quelques jours oui, nous l'avons déjà fait lorsque nous étions disputés, mais un mois... c'est beaucoup. Nous avons dit aux enfants que nous jouons à un jeu, Louis et moi. Nous allons essayer d'être le moins possible ensemble dans la même pièce avec les enfants, pour ne pas les perturber et à table, on improvisera.
Maïa non plus, n'est pas convaincu par tout cela. Elle pensait que c'était mieux pour nous que l'on passe du temps ensemble tout les deux, plutôt que séparément, mais elle a accepté de nous aider dans ce moment particulier et je lui en suis reconnaissant.
Je prépare le petit-déjeuner pour tout le monde. Maïa et Louis descendent avec les enfants. J'essaye de ne pas croiser le regard de mon mari. J'installe Samuel dans sa chaise haute et lui donne son biberon de chocolat. Les jumeaux mangent leur bol de céréales et Maïa mange un pain au chocolat avec un verre de jus de fruits. Je n'ai pas vraiment faim ce matin, alors je bois juste un café.
- Pourquoi tu fais pas de bisou à papa pour le petit-déjeuner ? Demande Oscar.
- Papa et moi faisons un jeu, tu te souviens mon chéri ? Lui répond Louis.
- Ah oui, je me souviens. Il va durer longtemps le jeu ?
- Quelques jours.
Je pose ma tasse dans l'évier lorsqu'elle est vide et vais préparer mes prendre mes dossiers pour la journée. Cette situation est mauvaise pour nos enfants. Ils ont assez soufferts de nos disputes et maintenant ils doivent supporter notre silence.
Lorsque les enfants ont fini de prendre leur petit-déjeuner, ils disent au revoir à leur père. Maïa m'aide à les installer dans la voiture, puis elle monte devant, côté passager. Je monte ensuite au volant et souffle longuement.
- Est-ce que ça va ?
- Ça ira mieux quand je serai au travail. Loin de tout ça.
- Courage Harry.
- Merci...
Oui... Je vais en avoir besoin de courage.