❝ CHAPITRE 21 ❞
▷ TW : choc émotionnel, décès
Il était formel que je ne connaissais pas cette femme. Ni par le passé, ni de mon séjour dans cette école, elle me paraissait totalement inconnue. Sa tenue ne pouvait m'indiquer l'enseigne à laquelle elle appartenait. Un simple bas blanc l'habillait, et une chevelure blonde se dressait au-dessus de son visage. Ses traits semblaient bien plus âgés que nous.
" Allez réponds à ma question ! "
" Tu n'as toujours pas répondu à la mienne, t'es qui ? " Insiste Geto.
" Et si je te disais que... La personne qui se trouve en face de toi n'est personne d'autre que Yuki Tsukumo, exorciste de classe spéciale, tu me croirais ? "
Lorsque je m'étais fait une idée de ce que pouvaient représenter les grades S, je pouvais jurer ne pas la croire. Mais nous mentir ainsi ne rimait à rien, si ce n'est qu'elle ne présentait aucun vice visible tiré de son comportement. Je lui laissais le bénéfice du doute, et apparemment, Suguru avait fait de même.
La blonde s'installait à nos côtés, sur cette banquette occupant la majeure partie de cette salle de repos. Aussitôt elle s'accoudait dessus, et avec aise déposait sa main sur l'épaule du brun disposé à mes côtés, puis elle s'exclamait :
" Ravie de faire votre connaissance, toi tu es Geto-kun et toi... " Elle réfléchissait un instant silencieusement avant de reprendre. " Tu es Takeda Kana ! "
Entendre mon nom s'émaner de ses lèvres fut une surprise. Ce n'est pas que j'étais mal à l'aise mais plutôt étonnée qu'une haut-gradée le connaisse. J'avais beau m'imaginer mille possibilités, j'espérais au fond de moi-même que mes prouesses lui étaient parvenues.
Peut-être parce que j'avais envie de l'impressionner, peut-être parce que je me sentais légitime d'être reconnue pour mon talent. La blonde prolongea sa lancée :
" J'en ai entendu des belles sur toi, mais c'est vrai que t'as l'air plus sympa en vrai ! "
C'est bien ce dont je redoutais le plus. Ma valeur était de nouveau bafouée par les erreurs de mon passé. Par les rumeurs propagées à mon sujet, pour la complice de Toji que j'étais, ma punition demeurait quotidienne en ce lieu.
Chaque jour, mon passé me rattrapait. Mais un instant à me leurrer sur mon pitoyable sort fut ébranlé par son geste soudain devant mon visage. Tsukumo s'était subitement rapprochée de moi, à cheval sur Geto qui nous séparait de sa présence, je n'avais pas pu retenir la panique qui me hantait. À mes pires prédictions, je n'arrivais pas à deviner si elle avait de mauvaises intentions.
" Ce n'est rien du calme, elle est de notre côté... "
La voix de Suguru me calmait instantanément. Il appuyait son propos par la paume de sa main maintenant mon genou. Son geste propageait en moi ce sentiment de sécurité. Je savais avoir confiance en son intuition.
S'il ne craignait pas le danger à ses côtés, alors je n'avais plus de quoi avoir peur. Je me laissais aller par son geste, et la bonde décalait ma frange pour inspecter mon visage. J'étais loin de connaître la raison de son attention particulière pour mon regard.
" Oh, tes yeux sont vraiment magnifiques ! Ton frère n'a jamais accepté de me rencontrer, alors rares comme vous êtes, je ne suis pas déçue du détour ! "
Peut-être était-elle tout simplement maladroite, peut-être cherchait-elle à susciter une quelconque réaction de ma part, énoncer le nom de mon frère demeurait minable à mes yeux. Comme si je n'avais jamais été comparée à celui-ci, je ne supportais pas être mise au second choix.
Si par mon évolution j'avais pu renverser la balance familiale, j'aurais savouré la place de l'élite comme on peut si bien la nommer chez les miens. Mais ce rêve m'était toujours inaccessible du haut de mon petit grade de "celle qui apprenait tout du monde de l'occulte", j'étais encore bel et bien en retard pour me mesurer à cela.
Je n'étais réduite qu'à écouter les ragots de cette femme sans même ne pouvoir échanger un avis équitable à celle-ci. Mais je devais avouer que l'écouter devenait bien plus qu'intéressant. Sa vision du monde était bien étroite.
J'avais beau détester le personnage qu'elle incarnait, son savoir était indiscutable. Sa théorie au sujet de ce monde était grandiose et spectaculaire à mes yeux. Son savoir me retournait le cerveau, comme une fusion d'idées naissantes, nouvelles et avant-gardistes.
Je comprenais là, le pourquoi du comment Yuki Tsukumo possédait le titre de grade S. Son statut était purement mérité.
" Mais pour l'instant, ma théorie rend sceptiques nos supérieurs alors je la laisse somnoler dans son coin... "
La blonde mit un terme à ce sujet par cette conclusion. À mes yeux, ce n'était que gâchis. Comment cette théorie pouvait rendre sceptiques nos supérieurs alors qu'elle mettrait terme aux châtiments des humains. Plus de fléaux, plus de souffrances, étaient-ils contre nous pour ne pas accepter un tel plan d'action ?
" Tu veux dire qu'il n'y aurait plus de morts si l'on anéantissait tous les non-exorcistes ? "
Ma réaction fut tardive, mais avait fini par être entendue. Je voulais m'assurer d'avoir compris ne serait-ce qu'un quart de son savoir, et débattre encore et encore avec elle sur le futur de notre humanité.
Mais à ma grande surprise, au lieu de la voir impliquée sur le sujet, je la vis me sourire bêtement. Mine d'être amusée par mon comportement, je ne sus interpréter cette réaction soudaine.
" Oh, ne t'emballe pas sur cette voie, j'estime que ce n'est qu'une possibilité ! Je ne détiens pas la vérité absolue, après tout, qui sait, je suis juste peut-être folle ? "
Cette femme était bien loin d'être folle. Je n'étais pas sûre de comprendre la raison pour laquelle elle me dissuadait d'insister, mais restais formelle à ce sujet. Une classe S ne pouvait pas être insensée, et ça, personne ne pouvait me le faire avaler autrement.
" Bon, moi je vais y aller ! "
" Attends ! "
À retourner le sujet de fond en comble, je ne l'avais pas vue se lever. Je ne voulais pas la laisser filer et la rattrapais lorsque je bondissais de mon siège pour brandir son poignet. Comment pouvait-elle s'imaginer partir sans même n'avoir touché le fin mot de cette histoire ? Il m'était impossible d'entrevoir la suite de cette journée sans ne l'entendre terminer.
" Tu n'as pas terminé d'expliquer ta théorie, ce serait changer le monde si tu- "
" Ne t'emballe pas sur un sujet que tu es incapable de maîtriser. Entraîne-toi à la place et penses-y quand tu auras évolué. Tu verras, ce n'est pas si mal ! "
Ma capacité à endurer la critique fut entravée. Je n'avais ni idées, ni arguments pour contester le jugement qu'elle me portait. Je la regardais partir sous mes yeux, tandis que je restais plantée au beau milieu de la salle, comme une incapable sans arguments. Je détestais ce stade inférieur qui m'était attitré. À ce moment, je me sentais peinée et humiliée.
" Tu ne viens pas ? "
La voix de Geto parvint à mon oreille quelques instants après. Je le vis apparaître quelques pas devant moi, semblant m'attendre pour quitter les lieux, aux portes de la salle de repos, au centre de l'ouverture. Je n'arrivais pas à faire un pas en avant.
" Ne le prends pas personnellement, après tout à ses yeux nous ne sommes que de simples étudiants... "
J'étais purement consciente qu'il cherchait à me réconforter. Cela se voyait à la manière dont il s'était rapproché, cela s'observait au ton ironique qu'il employait, Geto était loin de comprendre la sensation qui me hantait. Elle me détruisait, elle m'achevait, j'étais consumée par la pression sociale que je subissais.
" Tu sais Suguru, je m'entraîne dur. Je suis sans relâche, et je m'acharne pour ne serait-ce que vous égaler. Alors, pourquoi ma valeur n'est-elle jamais reconnue ? "
" Moi, je la reconnais. "
Son affirmation avait interrompu cet océan de négativité que je propageais par le biais de mes paroles. Il poursuivit par :
" Je la reconnais car je porte attention à tous les efforts que tu fais. Tu mérites tout autant que moi d'être ici, n'en doute jamais. Apprends juste à remarquer les personnes qui en valent la peine, le reste, ça n'est d'aucune importance. "
Telle était la raison pour laquelle je l'admirais, sa perception était vue comme divine de mes yeux irrigués juste vers lui. Il avait les bons mots pour me réconforter, il me faisait ressentir mon existence en tant que telle, ne cherchant qu'à être reconnue par les miens, pour ma valeur et la personne que j'incarnais.
Je ressentais cette passion pour lui, de n'exister qu'à ses yeux, car il était le seul à ne jamais me juger. Geto m'estimait pour ce que j'étais, et ça, c'était bien la seule chose qui pouvait surmonter mes peines enchaînées à mes pieds. Je le vis me tendre la main avec bienveillance.
" Allez viens, ce n'est pas toi qui voulais marcher au soleil ? "
Comme si malheur ne s'était jamais produit, je brandissais la main qu'il me tendait. Insouciante du mal qui m'avait été fait, mon sourire étirait mes lèvres puis je marchais à ses côtés au travers de l'école d'exorcisme. Le soleil illuminait les allées que nous traversions.
Sublimés par la chaleur de cette fin d'été, nous étions comme dans un rêve bercé par les bienfaits de mère nature effaçant nos peines et nos terreurs. L'illusion de ce bien-être n'était qu'éphémère, et le malheur avait fini par nous rattraper.
" Tu n'es pas obligée de regarder, d'accord ? Tiens-moi juste ça, je vais recouvrir son visage. "
Et le dernier rayon de soleil à éclairer nos journées fut le premier à nous quitter, Yu Haibara. Quelques jours passés, nous avions été appelés à six pieds sous terre aux entrailles de l'école d'exorcisme.
À la suite d'une mission accomplie, Geto et moi nous y étions rendus sans en connaître le motif préalablement. Nanami se tenait déjà sur place, aux portes de la chambre froide de notre école, mon camarade y était une dernière fois exposé.
Son corps était quelque peu déchiqueté, métamorphosé par la mort qui l'avait consumé, le Yu qui était sous mes yeux m'avait traumatisée. C'était comme si au travers de sa silhouette, je revoyais le sourire étincelant qu'il manifestait.
Une bonne personne comme lui avait rendu l'âme, et son innocence envolée rendait les murs de ce lieu soudainement fades, arides et parsemés de pourriture. L'école d'exorcisme ne serait plus la même sans lui, je le sentais, comme le poids que j'avais au cœur qui me l'écrasait.
" Pourquoi ce n'est pas Satoru qui s'est chargé de cette mission... si ça continue, on va tous y passer ! "
Était-ce donc ça, ma destinée ? Pourrir sur ce brancard déchiquetée par la mort qui m'attendait ? Pourquoi devions-nous être sacrifiés au titre de l'humanité ? Qui étions-nous réellement pour subir le châtiment d'autres, tandis que nos vies s'écourtaient à tour de rôle.
J'étais témoin du destin qui m'attendait. Et une chose est sûre, je refusais d'y succomber avant de ne serait-ce qu'évoluer. Mon talent, mon entraînement, mon dévouement, ma soif de reconnaissance n'avaient pas été assouvis, non, j'étais ravagée à l'idée de ne pas pouvoir atteindre mon objectif si cruellement.
J'y renonçais, j'y renonçais si fort que la panique m'ébranlait. Le cadavre sous mes yeux ne devenait plus que mon reflet et m'effrayait au point de me faire chuter contre le sol, tremblante à l'idée de périr.
" J-je ne peux pas mourir maintenant... Non ! "
Je m'étais exclamée aussi fort dans cette salle que ma voix avait résonné. Je semblais en état de choc, ce qui avertissait aussitôt Geto et il rappliquait à mes côtés. Il avait recouvert Yu avant de s'abaisser au-dessus de moi, sa silhouette me surplombant de sa grandeur.
" Kana s'il te plaît calme-toi... "
" Et c'est qui le prochain, toi ? Moi ? Je n'ai pas fini d'évoluer je ne veux pas mourir maintenant, je- "
Comment voulait-il me calmer dans cet état-là ? Cet état de rage profond, marqué par un tel traumatisme que je n'arrivais à surmonter. Je m'étais tellement battue pour me maintenir en vie qu'il m'était inconcevable de mourir après m'être trouvée une raison d'exister. J'étais figée sous sa silhouette, victime de ma peur qu'il tenta d'apaiser. Ses mots se glissèrent doucement lorsqu'il me murmura :
" Non, tu ne vas pas mourir. Tant que je suis à tes côtés, je te promets que je te protégerai. Juste, respire calmement. "
Au contact de ses mains contre les miennes, mon poux avait ralenti et mon cœur reprenait une allure normale, j'étais comme isolée dans une bulle. Une bulle où il n'y avait plus que lui et moi. Sa voix berçant nos entrailles, et sa promesse m'avait réconfortée.
Il était le plus fort à mes yeux, et sous sa protection j'espérais croire que rien ne m'arriverait. Je voulais lui donner une chance, je voulais lui faire confiance. J'étais docile, et lui montrais une attitude plus calme.
" Fais-moi confiance, ces singes ne te toucheront pas. "
Et son dernier souffle contre mes joues fut celui-ci, d'autant plus bas que le précédent, d'autant plus glaçant qu'il ne l'avait démontré auparavant. C'est cette confiance qui m'avait fait croire en lui.
Ces singes n'avaient pas le droit de nous toucher.
A SUIVRE DANS LE PROCHAIN CHAPITRE