❝ CHAPITRE 20 ❞
▷ TW : aucun
Du temps ici, j'en ai passé. N'avoir aucun traumatisme serait me mentir, mais faire comme si tout cela n'existait me réconfortait. Toute ma vie avait été un supplice. Je voulais en finir au moindre obstacle et pourtant j'étais là, toujours sur mes gardes.
Je faisais entièrement partie de cette école désormais. Le temps faisait son chemin aussi vite que ma destinée se frayait. J'étais condamnée à me sacrifier.
En quel honneur et pour quelle raison ? Je n'avais su mettre de mots sur cette réponse. Je n'obéissais qu'aux supérieurs, comme mes conditions le demandaient. J'étais sur un socle bancal, où la faute n'avait pas sa place. À la moindre erreur, je serai renvoyée.
Plutôt mourir que retourner entre ses mains, Naoya était la seule raison qui me poussait à continuer. Je ne voulais pas y retourner, je ne voulais pas redevenir l'épouse docile qu'il avait épousée, je voulais être moi, seulement moi.
Mes périlleuses missions qui suivirent ne firent que m'infliger d'autant plus de douleur. J'étais dégoûtée, totalement écœurée, mais je m'efforçais de tenir debout, juste pour ses yeux.
Qu'est-ce que Geto m'apaisait, j'avais l'impression de vivre un rêve éveillé. Un rêve englouti d'un cauchemar qui n'était que l'illusion du reflet de mon destin. À quoi bon chercher à comprendre ?
Un matin de plus, et une nouvelle mission m'attendait. Classée C par notre proviseur, j'avais la garantie d'être tranquille pour aujourd'hui. Ni ma vie, ni mes armes à sacrifier, qu'il était bon de pouvoir se reposer. La mort me faisait terriblement peur.
Elle m'effrayait de plus belle tantôt elle approchait. Je n'étais pas sûre de comprendre la raison pour laquelle je menais cette vie. Sacrifier ma personne pour sauver des inconnus, était-ce réellement cela le travail d'exorciste ?
C'était difficile à accepter, mais puisque Geto le faisait, alors je marchais sans rechigner. D'ailleurs, cette fois-ci, il ne m'attendait pas devant la grille. Je n'avais pas idée d'où il était passé.
À traverser toute l'école d'exorcisme, c'est dans sa chambre que je le retrouvais. J'avais totalement oublié de frapper à sa porte et étais entrée en son sein. Le retrouvant affalé dans son lit, les yeux noirs de déception. Au grand jamais je ne l'avais vu dans cet état, pourtant, je n'avais cessé de le ressentir autrefois.
" Ça ne va pas ? La mission va commencer... "
Le faible ton que j'avais employé, avait suffi à attirer son attention. N'ayant de yeux que pour moi à cet instant-là, je pus l'apercevoir soupirer. Sûrement épuisé par les aléas du lycée. Il fallait dire que notre quotidien n'était pas de tout repos.
" Te dire que ça va serait te mentir. "
Il semblait totalement abattu, tant bien que je refermais la porte après moi lorsque je me joignais à son chevet. Ses cernes ne faisaient qu'empirer.
" Je suis désolé que tu me voies dans cet état, ce n'est pas dans mes habitudes... "
Suguru était un homme pudique. Jamais il ne présentait ses opinions, jamais il n'apportait sa touche personnelle émotionnelle, et il se contentait de faire bonne figure. Sûrement pour ne pas inquiéter le groupe.
Il n'avait ni besoin de prononcer des mots, ni besoin de s'affirmer pour que je ressente le mal-être qui l'anime. Ses sensations me parcouraient le corps, à chaque nuit que je passais à ses côtés. J'étais tellement désolée de le voir s'effondrer mentalement, mais n'avais rien pour freiner sa chute, non. Je chutais à ses côtés.
" Navré mais je ne peux pas assurer de missions dans cet état, je te revaudrai ça une autre f- "
" J'm'en fous de cette mission, ce qui m'inquiète, c'est toi. "
" K-Kana ? "
Il fut surpris de me voir me blottir dans ses bras. J'avais très vite ôté mes chaussures pour le câliner. À l'instant-même, je venais de changer ma destinée. Entre la mission et lui, il n'y avait pas grand-chose pour me faire reculer. J'aurais tout donné pour qu'il aille mieux à mes côtés. C'était l'un des vœux que je souhaitais. Un vœu, que j'aurais voulu partager à deux.
" T'as toujours été là pour moi, maintenant, à ton tour ? "
" T'as vraiment pas le sens des priorités... "
" Ma seule priorité, c'est toi. "
Un océan de picotements parsemait mon existence. J'éprouvais soudainement de la joie, de l'entrain, mon cœur battait à ses côtés. J'étais bien plus heureuse de m'allonger ici.
Il m'enlaçait à son tour, le visage toujours aussi neutre, comme tourmenté par quelque chose qui m'échappait. Il était si pudique qu'il m'était rude de deviner la moindre de ses pensées. C'est bien pour cela que je lui demandais :
" Allez dis-moi tout, qu'est-ce qui empêche le plus fort de se lever d'ici ? "
" Tu sais très bien que ce titre ne m'appartient plus... J'ai comme un mauvais pressentiment, je ne saurais comment te l'expliquer. "
Ce sont ces petits détails qui m'effrayaient chez lui. Peu importe les circonstances, Suguru ressentait le moindre drame approchant. Il me mettait la boule au ventre, rien qu'à l'idée d'y penser.
Mais pour honorer tout le soutien qu'il m'apportait, j'étais obligée de dissimuler mon angoisse. Au contraire, je souriais. J'espérais sûrement que cette fois-ci il se trompe. Pas comme les fois précédentes ?
" Je pense que t'es surtout déprimé ! Sors avec moi, ça te fera du bien, en plus il fait beau aujourd'hui on devrait en profiter ? "
" Je ne sais pas si j'ai env- "
" Allez lève-toi, boire un jus en ma compagnie, ça te dit pas ? "
" Bon... Si tu veux. "
Il avait enfin accepté ma requête. Au fil des jours, je ne savais plus comment le convaincre alors je faisais comme je le pouvais, et cette fois-ci, ça avait fonctionné. Je n'avais plus qu'à attendre qu'il enfile quelque chose sur lui pour le traîner jusqu'en salle de repos.
Il n'avait même pas pris soin d'attacher sa chevelure. Il restait décontracté, et je pouvais admirer ce côté. Sous tous ses angles, je le trouvais parfait. Je ne pouvais pas m'empêcher de lui en faire part.
" Tu devrais laisser tes cheveux détachés plus souvent, ça te va bien ! "
" Tu trouves ? "
Suguru semblait surpris par mon compliment. Lorsque je l'avais rencontré, je l'avais connu plus confiant auparavant. Mais au fil du temps, il fallait dire que son estime se dégradait, sûrement à cause de la charge de fléaux qu'il ingérait. Sans Satoru, nous en bavions avec une montagne de missions.
" Plutôt jus d'orange ou cassis ? Moi j'adore le cassis ! "
" Tu ne me laisses pas le choix là... "
Mon côté opportuniste trahissait le peu de bonnes actions que je pouvais effectuer. Mais j'essayais de ne pas baisser les bras, et tenais également ce rôle de personne fiable, imperturbable par les aléas de la vie. Il fallait que je sois celle qui le soutiendrais. Qui l'aurait fait en retour ?
" Kana-senpai, Geto-senpai ! Vous aussi vous partez en mission ? "
À mi-chemin de la salle de repos, c'est Yuu Haibara qui nous interpella. D'un grand signe de main, il nous avait accueilli, sans même n'avoir l'idée que nous étions en train de sécher, et bien évidemment je laissais perdurer le mensonge.
" Aujourd'hui c'est repos pour nous, mais on peut tout de même te souhaiter bonne chance, pas vrai Suguru ? "
Son air dépité ne me facilitait pas la tâche. Il dénonçait mon mensonge sans même ne prononcer un mot, mais Yuu était bien trop innocent pour s'en apercevoir.
De toute manière ce n'était pas mon souci, tout ce que je souhaitais, c'était vivre mon bonheur éphémère à ses côtés aussi longtemps que je le pouvais. C'est bien pour cela que je lui lançais cette brique que je venais d'acheter. Il l'intercepta du premier coup.
" Je croyais que tu voulais celle au cassis ? " Il fut surpris de l'avoir entre les mains.
" C'était juste pour savoir quel était ton goût préféré, je sais que tu cherches toujours à me faire plaisir. "
Un sentiment de surprise déformait son expression. Pour avoir ne serait-ce qu'un peu de sincérité, il fallait ruser pour se l'approprier. Avec le temps, j'y arrivais à merveille, après tout, ce n'est pas comme si nous partagions la même chambre jusqu'à présent.
Nous finîmes par nous installer sur les fauteuils d'à côté, puis partagions ce jus de cassis pour lequel j'avais déboursé une fortune. Cette école n'est pas radine sur les prix.
" Dis Suguru, si je peux faire la moindre chose qui peut t'aider à aller mieux alors fais-moi signe ? "
" Pourquoi est-ce que tu cherches tant à vouloir me faire plaisir... "
Ma bienveillance était si évidente mais il ne semblait pas l'apercevoir. Chaque attention envers lui devenait suspicieuse à ses yeux. C'est comme s'il n'admettait pas mériter ce bonheur.
" Tu as toujours pris soin de moi malgré mes erreurs, c'est normal que je fasse de même non ? "
" Tu sais Kana... Je ne te demande rien en retour, je fais ça de bon cœur, je veux juste que tu sois naturelle. "
" C'est totalement naturel, c'est normal de faire plaisir à ceux qu'on aime... "
J'avais pris sa main entre les miennes puis l'avais emprisonnée. Mes lèvres toujours entrouvertes, je ne savais quelle idée m'avait percutée pour sortir cela. C'est comme si mon corps m'avait supplié de lui avouer instantanément.
Je voulais qu'il sache à quel point il compte pour moi. Je voulais qu'il sache la place qu'il occupait dans mon cœur. C'était difficile à avouer mais les mots étaient sortis tout seuls. Il en restait surpris, son regard fixé sur mon visage.
" Je n'ai fait qu'échouer mes missions depuis qu'on s'est rencontré, je suis grave en retard désormais tu vas bientôt me dépasser, je n'ai vraiment pas de quoi mériter tes attentions... "
" J'en ai rien à foutre de tes échecs, moi j'aime ta façon d'être, j'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi bienveillant avec moi... "
" Kana... "
À l'entente de sa voix, j'apportais sa main contre ma joue pour y déposer ma tête. J'étais sceptique à l'idée de lui avouer tout cela mais finalement j'avais apprécié. Je sentais mon cœur un peu plus léger, un peu plus lent, un plus proche de lui.
Son regard ne me quittait plus, et je raffolais de cette sensation. Je n'avais pas idée de ce que représentaient mes sentiments partagés entre ce garçon et celui qu'on m'a efforcé d'aimer.
C'était si différent que je refusais mettre un mot par-dessus. Par déni, ou par dépit, j'ignorais totalement les raisons de mes rougissements, puis cette femme interrompit mon bien-être soudain :
" Tu es Suguru n'est-ce pas ? Quel est ton type de femme ? "
A SUIVRE DANS LE PROCHAIN CHAPITRE