Sang de Rose [TERMINÉ]

By FairyLife2003

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Alisée a beau être une vampire âgée de plus d'un siècle, elle n'a jamais mis les pieds sur la terre de son es... More

Prologue
Chapitre 1 - Où mènent les promesses
Chapitre 2 - L'Attribution
Chapitre 3 - Vie de château ?
Chapitre 4 - Macarons, sang et mesquineries
Chapitre 5 - Une mise en garde
Chapitre 6 - Les deux "B"
Chapitre 7 - Une curieuse curiosité
Chapitre 8 - L'As ou le Roi ?
Chapitre 9 - Égarantes contradictions
Chapitre 10 - Écho cristallin
Chapitre 11 - Douces chansons
Chapitre 12 - La bibliothèque
Chapitre 13 - Lettre d'espoir
Chapitre 14 - Trouver son livre
Chapitre 15 - Épées dans le coeur
Chapitre 16 - De si belles surprises
Chapitre 17 - Bienvenue sur la Terre des Vampires
Chapitre 18 - Joie ou déception ?
Chapitre 19 - L'explosion
Chapitre 20 - Gare aux loups
Chapitre 21 - Jolie poupée rusée
Chapitre 22 - Souvenirs mélodieux
Chapitre 23 - Côté désert
Chapitre 24 - Rien qu'une distraction
Chapitre 25 - Secrets menaçants
Chapitre 26 - Rosa-Maria
Chapitre 27 - Gentil, vraiment ?
Chapitre 28 - Sacrément haut perché
Chapitre 29 - Ce que cachent les loups...
Chapitre 30 - La petite alpha
Chapitre 31 - L'ouverture de bal
Chapitre 32 - Danse ou pas danse ?
Chapitre 34 - Cadeaux empoisonnés
Chapitre 35 - L'éclair
Chapitre 36 - Pauvre poupée piégée
Chapitre 37 - L'affaire de la bague
Aesthetics personnages
Chapitre 38 - L'opéra
Chapitre 39 - Les coulisses
Chapitre 40 - Au-delà des ombres
Chapitre 41 - Danse éternelle
Chapitre 42 - Le prix d'une rose
Chapitre 43 - La meilleure des nuits ?
Chapitre 44 - Amour, gloire et disgrâce
Chapitre 45 - Lumières éteintes
Chapitre 46 - Réagir
Chapitre 47 - Voyage secret
Chapitre 48 - Retrouvailles
Chapitre 49 - Ombres du passé
Chapitre 50 - Un simple garde
Chapitre 51 - Prisonniers
Chapitre 52 - Cordes cassées
Chapitre 53 - Identités secrètes
Chapitre 54 - Faiblesses
Chapitre 55 - Le début de la fin ?
Chapitre 56 - Illusions
Chapitre 57 - En sécurité...
Chapitre 58 - Les loups
Trailer
Chapitre 59 - Sang mortel
Chapitre 60 - Quand se lève le sort...
Chapitre 61 - Fin de chanson
Chapitre 62 - Une histoire à écrire
Épilogue
Petit mot de la fin

Chapitre 33 - Qui croire ?

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By FairyLife2003

Quand Alisée approcha le grand hall du palais, après qu'un domestique l'ait informée de l'arrivée des quatre loups-garous, des éclats de voix assaillirent ses oreilles :

— Je ne comprends franchement pas pourquoi tu l'as invitée ! Elle va se mettre à pleurnicher dès que je vais avoir le malheur de menacer un peu trop rudement un prisonnier !

La belle vampire attendit avant de s'engager dans l'un des deux grands escaliers qui menaient jusqu'au bas du hall, où se trouvaient Isabella, son père, ainsi que Duncan, le garde royal aux cheveux bruns. Ce qui l'intrigua ne furent pas les propos de la princesse — elle avait cru comprendre depuis un moment qu'elle ne régnait guère dans son coeur — mais la manière dont elle s'était exprimée.

Aucune inflexion enfantine et espiègle n'habitait sa voix, si bien que la réserviste ne l'avait pas tout de suite identifiée. Elle lui croyait pourtant cette intonation légère naturelle, or apparemment, rien n'était moins sûr...

— C'est elle que les loups ont attaquée, j'estime qu'elle a le droit d'assister à leur interrogatoire, lui répondit calmement Adrian.

— Oh, ta bonté m'étourdit, papa chéri, maugréa Isabella. La prochaine fois, je dirai aux toutous d'attaquer Branwell, on verra si tu lui demandes de nous faire la grâce de sa présence...

À la grande surprise d'Alisée, elle entendit le garde lâcher un gloussement rauque. Pas la moindre réprimande ne lui tomba dessus. Bien qu'étonnée qu'une telle familiarité demeure impunie, elle ne resta pas dans l'ombre plus longtemps et s'approcha de l'escalier le plus proche. Elle dévala les marches dorées en soulevant les pans de sa robe bleu foncé très sobre, parfaitement adaptée pour une sinistre visite aux cachots. Les trois immortels se tournèrent vers elle à l'entente de ses pas.

— Eh bien, nous avons failli vous attendre ! s'exclama la princesse, son ton léger habituel revenu. Laissez-moi deviner, vous vous étiez encore perdue dans l'un de vos livres ?

Son père lui jeta un regard mi-accusateur, mi-gêné, qu'elle ignora royalement.

— Plutôt dans les couloirs, Votre Altesse, précisa tranquillement l'interpellée. J'ai toujours du mal à m'y retrouver.

Mais Isabella s'était déjà désintéressée d'elle, partie en direction de l'un des corridors. Son garde prit le temps d'adresser un hochement de tête respectueux à la nouvelle venue, puis suivit la silhouette fantomatique.

— Vous vous êtes remise de vos exploits d'hier soir ? lui sourit malicieusement Adrian, quand elle arriva au pied des marches.

Elle se mordit la joue. La veille, alors qu'elle dansait avec Danila jusqu'à ne plus tenir debout, ses yeux avaient plusieurs fois rencontré ceux du roi, resté en retrait au bord de la piste. Leurs regards n'étaient pas passés inaperçus auprès de l'ancienne louve, qui ne s'était pas gênée pour adresser des haussements de sourcils évocateurs à son amie, au grand désarroi de cette dernière.

— Le vampirisme a au moins l'avantage de guérir miraculeusement les ampoules... Par contre, j'ai l'impression d'avoir encore je ne sais combien de musiques dans la tête.

Quoiqu'elles soient idéales pour la danse et bien plus agréables à entendre que les autres, les compositions des Dorémi Horizons paraissaient ancrées au fond de ses oreilles. Si elle n'avait pas été à ce point fatiguée, elle n'aurait sûrement même pas pu trouver le sommeil !

— Ne m'en parlez pas ! s'exclama Adrian. C'est justement pour cela que j'ai empêché Isabella d'ordonner la reformation du groupe. Lorsqu'ils venaient en personne, c'était encore pire...

— Et je ne te l'ai toujours pas pardonné ! s'écria la princesse, hors de leur vue. Comptez-vous vous dépêcher, ou attendre la prochaine pleine lune ?

Ils obéirent et s'engagèrent dans le couloir lumineux où patientaient Duncan et Son Altesse, près d'une petite porte. L'ouverture du battant révéla un escalier en colimaçon très étroit, aux marches de pierre grise.

— Heureusement que vous vous êtes entraînée à tourner hier soir, car vous n'avez pas fini que d'avoir le tournis, la prévint le roi.

Et ce ne fut pas peu dire... Leur descente tortueuse dura si longtemps que la vue de la réserviste parut se retrouver envahie de spirales. Elle se tint tant bien que mal à la rampe constituée d'une simple corde retenue par des anneaux de métal. L'unique luminosité provenait du chandelier tenu par Duncan, qui devançait le groupe. Les ombres projetées par les flammes dansaient sur des murs dont la pierre, à mesure qu'ils s'enfonçaient dans les entrailles du palais, devenait de plus en plus brute.

Comment la falaise qui soutenait le château avait-elle pu être autant forée ? Était-ce bien raisonnable de laisser un tel édifice reposer sur du gruyère ? Certes, le monarque pouvait se permettre de jouer avec la mort, mais un effondrement ne réussirait franchement pas aux autres courtisans...

Lorsqu'une porte de bois se profila sur l'un des murs circulaires, Alisée crut qu'ils avaient enfin atteint leur but, cependant Sa Majesté la détrompa :

— Ici se trouvent les réserves de poudre du royaume, lui indiqua-t-il en s'arrêtant au milieu des marches afin de se tourner vers elle.

Sa fille fit immédiatement volte-face pour le foudroyer de son regard bleu.

— Livre-lui toutes nos stratégies, les effectifs de nos soldats et l'emplacement de nos camps d'entraînement, tant que tu y es !

Mais son agacement la déserta à la vue de la mine sceptique de la concernée.

— De poudre ? répéta-t-elle, ne voyant pas exactement de quoi il parlait.

Il lui mima une explosion, alors elle comprit. Sur la Terre des Loups, toute arme à feu, qu'elle fut un simple pistolet ou un canon, était formellement interdite. Ces équipements d'attaque inventés relativement récemment par les vampires effrayaient les lycanthropes, auxquels les balles en argent se révélaient fatales. Ils préféraient de loin les combats frontaux, quitte à y perdre la vie, plutôt que de lâches projectiles envoyés à distance. Dans ce domaine-là, seul le tir à l'arc trouvait grâce à leurs yeux.   

Ils considéraient aussi l'usage de la poudre comme trop hasardeux, une seule mauvaise manipulation pouvant se retourner contre son utilisateur.

— Vous... Vous voulez dire que les réserves de poudre du royaume sont stockées... sous le palais ? s'éberlua-t-elle.

La folie s'était-elle à ce point emparée du souverain ?

— Au moins savez-vous maintenant ce que veut vraiment dire "jouer avec le feu"...

Elle espéra qu'il allait éclater de rire et dévoiler une mauvaise blague, en vain.

— Soyez certain de me voir préparer mes valises dès notre retour en haut, l'avertit-elle.

Loin de lui accorder du crédit, il s'esclaffa et ils reprirent leur descente. Non seulement tu vis sous le même toit que le roi des vampires, mais en plus ce toit risque d'être réduit en poussière à tout moment... Elle n'avait absolument aucune raison de ne pas dormir sur ses deux oreilles... Aucune.

Néanmoins, cette découverte fort peu rassurante ne la préoccupa guère longtemps. Son attention se retrouva bientôt accaparée par Adrian, qui ralentissait ostensiblement l'allure à chaque nouvelle marche. Comme il avançait dos à elle, elle ne pouvait voir son visage, mais devant eux, sa fille se retournait régulièrement, les sourcils froncés en un air inquiet qui ne lui ressemblait pas. Elle ne formula cependant pas un mot, même quand son père prit une profonde inspiration étrange.

Alisée se demandait s'ils allaient atteindre l'autre bout du monde lorsqu'enfin, les escaliers s'achevèrent pour laisser place à un long tunnel creusé dans la roche, telle une grotte. Duncan et Isabella marquèrent une pause, les yeux tournés vers le roi, comme s'ils attendaient quelque chose. L'intéressé se contenta d'un bref hochement de tête, qui parut suffire à la princesse et à son garde. Ils s'engagèrent côte à côte dans le couloir, si tant est que l'on puisse le désigner ainsi.

La réserviste se permit de marcher à la droite du monarque et risqua un bref coup d'oeil vers lui. Son expression fermée la troubla, ainsi que l'océan de ses iris rendu sombre et déchainé par le manque de clarté. Elle se surprit à regretter son horripilante malice ordinaire. Il ne l'honora pas d'un seul regard, celui-ci farouchement accroché au fond du tunnel, où l'obscurité régnait encore.

Était-ce l'idée de faire face aux loups-garous qui le mettait dans un pareil état ? Elle voulait bien le croire, néanmoins quelque chose lui disait qu'il ne s'agissait pas que de cela... À commencer par Isabella, qui le regardait par-dessus son épaule presque toutes les vingt secondes.

Des portes métalliques finirent par apparaître, réparties de chaque côté du couloir. Leur noirceur contrastait avec la roche claire des murs. Chacune était transpercée par un petit volet, qui permettait de surveiller ce qui se passait à l'intérieur des geôles. Étonnamment, aucun garde ne patrouillait. Duncan détacha de sa ceinture un trousseau de lourdes clés, dont le tintement résonna le long du tunnel. Pendant un court instant, Alisée crut voir un léger tremblement agiter les doigts du roi, mais il enfonça aussitôt les mains au fond de ses poches.

Sa prétendue désinvolture ne la berna pas, surtout quand il tressauta à l'entente de la clé que le garde inséra dans l'une des serrures.

— Il faudra que l'on pense à faire nettoyer ces murs, fit inutilement remarquer la princesse d'une voix un peu trop forte.

La réserviste comprit qu'elle avait en réalité cherché à dissimuler le déclic induit par le déverrouillage de la porte. Elle ne put cependant couvrir le grognement inquiétant que fit cette dernière en s'ouvrant. Duncan y entra sans mal, à l'inverse d'Adrian qui marqua un arrêt au niveau du seuil. Malgré la pénombre, Alisée vit la main d'Isabella se poser doucement sur le bras de son père. Ils échangèrent un regard que la belle vampire ne put lire, mais qui réussit à convaincre le monarque d'avancer.

Elle les suivit silencieusement, s'attendant à se retrouver entassée au milieu d'une minuscule cellule. Or au contraire, elle fut surprise de découvrir une "pièce" certes petite, mais beaucoup plus spacieuse qu'un cachot habituel. Le chandelier du garde éclairait la même roche claire que dans le couloir, omniprésente du sol au plafond. Pas la moindre trace, ni la moindre odeur d'humidité ne se voyait ou ne se faisait sentir.

Si quatre personnes ne se tenaient pas debout face à eux, deux hommes et deux femmes d'environ quarante ans, les poignets enserrés par d'épaisses chaînes fixées au mur, on aurait presque pu oublier qu'il s'agissait d'une cellule de détention.

— Contente de voir que vous êtes arrivés à bon port, leur sourit Son Altesse en inclinant légèrement la tête. J'espère que cette petite chambre vous plaît... Regardez, vous avez même de quoi vous faire les griffes.

Elle désigna le sol, où effectivement, se devinaient des marques de griffures. Cela signifiait donc que des lycanthropes avaient été retenus ici lors des nuits de pleine lune. L'immortelle osait à peine imaginer le carnage causé par un animal enfermé ici... et encore moins plusieurs.

La fille du roi n'obtint aucune réponse. Les loups-garous — qui portaient bien les bracelets rouges distinctifs de leur espèce — conservèrent une expression impénétrable, qui ne témoignait pas plus de peur que de rage. Ils ne tentèrent même pas de tirer sur leurs liens, de toute façon bien trop courts pour leur permettre d'atteindre leurs visiteurs.

Ce calme parut intriguer la princesse, qui fronça les sourcils.

— Oh, d'habitude, vous m'aboyez déjà dessus en m'invectivant de jolis petits noms fleuris... J'imagine que votre alpha a revu sa manière de vous dresser.

En dépit de ses efforts afin de leur hérisser le poil, ils ne prononcèrent pas un mot. Nuls signes visibles de maltraitance ne striaient leur corps et leurs habits étaient à peine froissés. Peut-être que cela ne va pas durer...

Apparemment, reprit Isabella avec de sa voix légère, votre dressage a rencontré ses failles, puisque vous auriez mis les pattes sur le domaine du palais. D'après les gardes qui vous ont attrapés, vous avez reconnu les faits sans chercher à les nier... Soutenez-vous toujours votre responsabilité ?

— Oui, répondirent-ils à l'unisson.

Cette unanimité laissa les vampires perplexes. Ne cherchaient-ils donc pas à se défendre ou à clamer leur innocence ?

— Dans ce cas, je suppose que vous saurez dire lesquels de nous vous avez affronté, les confronta Son Altesse en désignant son père, Alisée et Duncan.

D'un geste du menton, l'un des loups montra le roi, puis la réserviste.

— Impossible de l'oublier, celle-là, ajouta-t-il avec un petit sourire que la concernée eut envie de découper au couteau.

Il ne dut pas plaire à Adrian non plus, car il émergea enfin de son silence :

— De quelle meute venez-vous ?

— Nous sommes tous des Loups du Saphir, indiqua le même homme.

— Et où sont vos bagues ? rétorqua le monarque.

En effet, les loups-garous portaient toujours une bague à chacune de leurs mains. La pierre qui sertissait l'anneau correspondait à celle de la meute du lycanthrope. Elles servaient notamment à faciliter la transformation lors des pleines lunes et à diminuer la douleur causée par celle-ci.

— Les soldats qui nous ont transportés jusqu'ici nous les ont volées, affirma une louve. Le respect est visiblement inconnu à votre territoire.

— C'est drôle d'entendre cela de la part de toutous qui se sont infiltrés illégalement sur la Terre des Vampires, répliqua la princesse. Vous ne devez pas ignorer que ce que vous avez commis est un crime. Et le châtiment réservé à celui-ci ne doit pas non plus vous être un mystère...

Encore une fois, ils ne daignèrent pas lui répondre.

— Pourquoi avez-vous fait cela ? demanda alors Isabella, de but en blanc.

Comme si leur tour de parole était mieux réglé que du papier à musique, la seconde femme ouvrit la bouche :

— Nous sommes en colère après les réglementations stupides imposées par vous et notre Grand Alpha. Pourquoi les vampires ont-ils le droit de se rendre chez nous, alors que nous autres lycanthropes ne pouvons pas poser un orteil dans votre royaume ?

— Oh, eh bien, je ne sais pas, fit Adrian. Peut-être parce que vos si douces et agréables morsures peuvent nous tuer ?

— Vous aussi pouvez nous vider de notre sang lorsque nous sommes sous notre forme ordinaire, contra un captif.

— Certes, sauf que dans ce cas-là, nous mourrons quelques heures plus tard, ce qui n'est pas franchement dans notre intérêt...

Une flamme incendia les yeux marron d'une louve.

— Cela n'a pas empêché l'un de vos sujets d'assassiner la première femme de notre Grand Alpha.

Le roi laissa échapper un rire sans joie.

— Vous allez vraiment me faire croire que vous n'êtes qu'un groupe de petits revanchards qui veulent venger une affaire vieille de plus de vingt ans ? Surtout que cette dernière comportait son lot de zones d'ombre...

Les prisonniers laissèrent planer un silence, mais ne se démontèrent pas.

— Nous savons ce que nous avons fait en approchant votre palais. Notre mort ne fera que renforcer la colère des autres loups-garous quant à ces lois arbitraires. Si nous ne pouvons pas pénétrer sur votre territoire sans en payer le prix, alors nous ne voulons pas de suceurs de sang chez nous.

Ainsi, ils cherchaient uniquement à se faire élever au rang de martyrs, pour que l'opinion des métamorphes bascule définitivement en faveur du bannissement des vampires sur leurs terres ? Alisée savait que quelques excentriques souhaitaient l'abrogation du traité de paix signé entre les deux espèces, qui autorisait les immortels à vivre — de façon réglementée — sur la Terre des Loups. Elle ignorait si depuis son départ, cette volonté s'était développée dans l'esprit de nouveaux lycanthropes.

— C'est tellement touchant, ironisa Isabella en levant les yeux au ciel. Quoi de plus dramatique qu'un sacrifice ? Complètement inutile, de surcroît.

— Nous savons que nous obtiendrons gain de cause, affirma fermement un loup.

— Oh, bien sûr, se moqua Adrian. Et moi, je sais que je me transformerai un jour en un adorable petit ourson...

Ils firent fi de sa remarque et conservèrent leur calme inébranlable.

— Si là est tout ce que vous avez à nous dire, nous n'avons pas davantage de temps à perdre avec vous, reprit Son Altesse. Les lois que vous abhorrez tant exigent que dans un cas comme celui-ci, vous soyez rapatriés sur la Terre des Loups. Nous laisserons à votre Grand Alpha le plaisir de décider de votre peine, mais vous et moi la connaissons déjà...

Elle amorça un pas vers la sortie, que son père arrêta.

— Une dernière chose, intervint-il en plantant son regard dans celui de l'un des lycanthropes. Activez vos yeux de loups. J'ignore exactement comment vous appelez cela, mais vous m'avez compris.

La réserviste mit quelques secondes à saisir de quoi il retournait. Lorsqu'ils étaient sous leur forme ordinaire, les loups-garous pouvaient, pendant un court instant, "réveiller" leur vision animale. De cette façon, leurs iris se teintaient de la couleur associée à la pierre de leur meute.

— Pourquoi ? se méfia une prisonnière.

— Il ne s'agit pas d'une requête, mais d'un ordre, trancha le roi.

Sa voix était aussi aiguisée qu'une lame de couteau. Il ne l'avait jamais employée devant Alisée, même lors de leur dispute au milieu des rosiers.

— Ce pouvoir ne s'active pas comme ça, il faut que...

— Très bien, la coupa la princesse. Puisque vous y tenez tant, je vais vous aider.

Pareil à si leurs esprits étaient synchronisés, Duncan lui lança sur-le-champ un poignard caché dans la veste noire de son uniforme. En un coup de vent, elle s'approcha de la dernière louve ayant parlé, et plaqua la pointe de son arme sous sa gorge. Elle dut légèrement lui entailler la chair, car une repoussante odeur de sang atteignit les narines de la belle vampire.

Cet affront ne parut pas émouvoir la louve, qui n'esquissa pas l'ombre d'un sursaut. Elle eut cependant l'intelligence de clore ses paupières, pour les rouvrir une seconde plus tard.

Ses iris scintillaient bel et bien d'un éclat bleu foncé, aussi profond qu'un saphir.

Un seul regard de Sa Majesté convainquit ses compagnons de l'imiter. Un imperceptible frisson parcourut l'échine d'Alisée, au souvenir des quatre bêtes aux mêmes yeux bleu sombre qui l'avaient encerclée dans la forêt. Quoi qu'elle en disait, elle était passée près de la mort, lors de cette nuit.

— Nous allons en rester là, déclara le roi. Quelqu'un passera vous poser quelques petites questions supplémentaires, auxquelles vous avez intérêt à répondre. Sinon, je me ferais une joie de vous garder jusqu'à la prochaine pleine lune... histoire de voir ce que font quatre bêtes enfermées ici.

Sa menace ne sembla pas inquiéter les interpellés plus que cela. Isabella et son père sortirent en premier de la cellule, suivis par Alisée et Duncan. Quand elle se retourna une dernière fois vers les loups, juste avant que le garde ne ferme la lourde porte métallique, l'immortelle crut voir un sourire se dessiner sur leurs lèvres.

Le monarque n'attendit pas une seconde pour reprendre le chemin de la surface, laissant tout le monde derrière lui. Il enjamba quatre à quatre les marches de l'interminable escalier, comme s'il prenait sur lui afin de ne pas utiliser sa vitesse surnaturelle. Ses accompagnateurs s'efforcèrent de le suivre, sans énoncer le moindre commentaire. Leurs pas résonnèrent sur la pierre durant de longues minutes, puis la petite porte en bois menant au couloir leur apparut.

Adrian la poussa avec une brusquerie qui trahit son agitation. Il s'adossa ensuite à l'un des beaux murs lumineux et poussa un très long soupir. On aurait dit qu'il revenait d'une éprouvante plongée au fin fond des abysses.

D'un regard, sa fille l'interrogea silencieusement et il hocha lentement la tête. Ses yeux rencontrèrent ceux d'Alisée qui troublée, ne rompit pas ce contact.

Pour la première fois depuis qu'elle le connaissait, elle eut l'impression de le voir... vulnérable. Était-ce seulement possible ? Elle l'ignorait, pourtant ce fut ce qu'elle crut.

— D'après vos souvenirs, de quelle couleur étaient les yeux des loups qui nous ont attaqués ? lui demanda-t-il enfin d'une voix rauque.

Elle-même mit un instant à recouvrer l'usage de la parole.

— Bleu foncé. Il s'agissait bien de Loups du Saphir.

— C'est bien ce qu'il me semblait, confirma-t-il en se détachant du mur.

— Mais... Vous ne trouvez pas leur attitude étrange ? fit-elle, devançant ainsi la princesse. Ils n'ont pas cherché à se disculper, n'avaient pas l'air inquiets quant à leur sentence... Vous pensez réellement que leur seul but est de se sacrifier ?

Certains comportements ne reposaient certes pas sur des explications rationnelles, néanmoins... Deux hommes et deux femmes, prêts à mourir rien que pour enclencher une guerre qui, fort heureusement, n'éclaterait sans doute pas... Elle peinait à le concevoir.

— Je ne pensais pas dire cela aujourd'hui, mais je suis d'accord avec vous, admit Isabella. Tout cela est assez étrange, cependant ce sont des choses qui se sont déjà vues. Je crois que tu devrais envoyer une nouvelle lettre au Grand Alpha, suggéra-t-elle en se tournant vers son père. Il pourrait mener une enquête afin de prendre la température au sein de son peuple et vérifier si ce que ces abrutis disent est vrai.

— Il se peut en effet que les lycanthropes en aient vraiment assez de voir les nôtres traîner chez eux, reconnut le roi. Sauf qu'il ne sera pas question de changer les lois.

Si tous les immortels vivant sur la Terre des Loups étaient obligés d'emménager sur leur territoire, alors ce ne serait pas le déclenchement d'une guerre inter-espèces, mais probablement d'une guerre civile. Tous voudraient fournir un vampire à Sa Majesté pour se faire accepter dans un clan, ce qui monterait la population toujours plus l'une contre l'autre. Les Sans-Clan grouilleraient au milieu des rues et les effectifs des milices royales devraient être doublés. En clair, ce serait une pagaille innommable.

Isabella et son garde ne tardèrent pas à partir, après qu'elle ait convenu avec son père de potentiellement parler du problème aux chefs de clan. Alisée et Adrian se retrouvèrent donc seuls, uniquement accompagnés du silence.

— Je... Je suis désolé d'avoir eu cette réaction un peu étrange, commença-t-il finalement sans la regarder. J'ai un peu de mal avec les espaces clos, en particulier les prisons.

— Oh... Euh... Cela se comprend, le rassura-t-elle machinalement, étonnée qu'il se justifie. Je doute que quelqu'un y soit très à l'aise.

De la gêne — oui, de la gêne — s'imprima sur le visage de Sa Majesté le roi des vampires, mais il lui adressa malgré tout un discret sourire. Ne souhaitant pas l'embarrasser davantage en le questionnant sur les éventuelles origines de cette peur, elle changea de sujet :

— Je me dis que ces loups cherchent peut-être à nous mener en bateau. J'ai repensé à la lettre de Kristal et... Même si je sais qu'elle n'est pas très fiable, il serait plus logique qu'elle dise vrai que ces soi-disant "martyrs".

Attentif, il l'encouragea à continuer.

— Lors du conseil des chefs de clan auquel j'ai assisté, votre fille a fait état à Beatricia de mécontentements de la part des Blackfire. D'après ce que j'ai compris, cette grogne s'exprimait surtout dans des tavernes sur le territoire du clan Tanner. La missive de Kristal en fait même part. J'ignore quel est l'état actuel de la situation, mais si cette colère persiste encore, ne se pourrait-il pas plutôt que ces loups aient un rapport avec ce qui se passe chez les Tanner ? 

Elle reconnaissait que cela était incroyablement compliqué et peut-être trop tordu, néanmoins Adrian parut considérer ses paroles très sérieusement.

— Vous avez entièrement raison, déclara-t-il, presque impressionné. Les derniers rapports de nos soldats ne mentionnent plus tellement d'agitation chez les Tanner, mais les enragés peuvent très bien se faire plus discrets. Malgré tout, il faut aussi tenir compte du fait que ces loups viennent bien de la Terre du Saphir. C'est également de là qu'était originaire la première femme du Grand Alpha, qui s'est faite assassiner par un vampire il y a vingt-et-un ans. Il ne faut donc balayer aucune des deux possibilités, quitte à en attraper la migraine...

Il était clair qu'avec tous ces paramètres à étudier, le mal de tête guettait Alisée. Pourtant, une nouvelle idée l'assaillit :

— Et si les instigateurs de cette attaque avaient justement engagé des Loups du Saphir afin de brouiller les pistes ? s'exclama-t-elle.

Il haussa les sourcils et se mordit la lèvre inférieure pour réprimer un sourire.

— Je plains nos ennemis si Isabella et vous êtes de notre côté ! Vous feriez une excellente cheffe de clan !

Elle ne sut si elle pouvait prendre sa remarque comme un compliment.

— Nous allons devoir mener notre petite enquête, conclut-il en s'éloignant encore du mur. Vous n'avez qu'à réclamer des informations supplémentaires à votre amie. Peu importe ce qu'elle veut, nous le lui donnerons. Et tant pis si au final, ce n'était qu'une ruse de sa part. De mon côté, je vais voir avec le Grand Alpha.

Alisée acquiesça et le quitta pour remonter à sa chambre. Elle y griffonna une lettre à l'intention de la petite rousse, tout en espérant que quoi qu'il en était, ces sombres histoires n'iraient pas trop loin...

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