Rebekah
Un coup à droite, un coup à gauche. Chris, prend chacun des virages à la corde. Sa conduite est nerveuse, brusque. Elle l'est d'ailleurs bien trop pour mon cœur qui a repris du service depuis peu.
La tête blottie contre son dos, les doigts cramponnés à son corps, je ne m'autorise toujours pas à ouvrir les yeux.
Puis, lorsque j'imagine qu'il nous pense en sécurité, il se met à ralentir jusqu'à s'arrêter sur le bas-côté. Toutes les vibrations qui résonnaient contre mes cuisses se sont achevées brusquement au moment où il a coupé le moteur de ce monstre de métal. Et pourtant même si elles ont cessé, j'ai comme la désagréable sensation que mes jambes tout entières sont ankylosées.
— On est arrêté, Rebekah ! Tu peux me lâcher maintenant.
La voix du fils de Sam brise aussitôt le silence que la nuit venait juste de retrouver.
Petit à petit, je m'oblige à desserrer les doigts blanchis par la pression que j'ai exercée. Il ne lui faut d'ailleurs que très peu de temps pour qu'il profite de sa liberté pour fuir cette proximité que nous avions.
— Crois-tu que cela soit possible ? j'ose demander tout en descendant maladroitement. Que Silas ait pu vraiment s'allier à cette meute ?
En guise de réponse, il hausse les épaules puis m'avoue :
— Cela expliquerait pourquoi ils ont pu se transformer alors que ce n'est pas encore la pleine lune.
— Qu'ont-ils à gagner dans toute cette histoire ?
— Beaucoup, Rebekah ! Tu vis depuis assez longtemps pour savoir que nos deux espèces sont l'ennemie de l'une et de l'autre, et cela depuis des générations.
Et pourtant, quand je regarde l'homme qui se trouve en face de moi, je n'ai en aucun cas envie de ça entre nous deux ! Bien au contraire, ce loup, je veux l'apprivoiser. J'ignore si l'on me le permettra et pendant combien de temps on me l'accordera mais je suis prête à en savourer chaque instant avant que nous trouvions nos âmes sœurs respectives. Et cela même si rien que de l'imaginer avec une autre m'oppresse la poitrine.
Cependant, depuis son plus jeune âge, la vie l'a déjà bien malmené afin qu'il partage lui aussi cette aversion pour les miens. Je pars avec une balle dans le pied mais je ne m'avoue pas vaincue pour autant.
— La Nouvelle-Orléans est un repaire de vampires où les loups, après en avoir été chassés, n'ont désormais plus leur place. J'imagine qu'en échange de leur loyauté au combat, Silas leur a promis qu'il pourrait reprendre la ville. Et le pouvoir, comme tu dois également le savoir, fait tourner la tête de beaucoup d'hommes.
En effet ! Alors que je suis plongé dans mes pensées, il soulève son tee-shirt sous sa veste de cuir et lâche d'un air horrifié :
— Tu as vu les marques que tu m'as faites ! J'ai les empreintes de tes ongles incrustés dans la peau.
Ne m'attendant pas un tel spectacle, je cligne des yeux un nombre incalculable de fois comme pour m'assurer que ce que je vois n'est pas qu'un nouveau mirage.
Ses abdominaux merveilleusement sculptés sont d'une perfection sans nom. Son torse est lisse. Je l'imagine d'une douceur parfaite pour y promener ses doigts. Seul un fin duvet noir trace une ligne de son nombril pour mourir jusqu'à l'élastique de son boxer. À l'emplacement même où le V de son bassin est bien prononcé.
Puis sans prévenir, il rabat son tee-shirt mettant fin au spectacle.
— Attends une minute, j'étais distraite, tu veux bien le remonter afin que je constate les fameuses marques dont tu parles ! je demande avec niaiserie.
Loin d'être dupe ou étant, moi, très mauvaise comédienne, il comprend sans mal la supercherie.
— Bah quoi ? je reprends. Ne fais pas ton prude ! Tu oublies que je t'ai déjà vu... complètement nu ! je lâche avec un sourire non dissimulé. Et puis regarde, moi, j'ai bien la marque de tes crocs sur ma peau et je ne pleurniche pas ! j'ajoute en remontant ma manche et en tendant mon bras dans sa direction.
J'ignore ce qui est en train de se passer dans sa tête alors qu'il l'observe longuement. Regrette-t-il de m'avoir mordu ? je ne sais pas.
Puis, redressant soudainement ses yeux dans les miens, il s'approche. Fascinée, je le laisse me prendre au piège entre le monstre de métal et lui. Ses larges paumes appuyées sur la selle, je me sens prise en étau. D'aussi prêt, l'odeur de son parfum vient aussitôt m'envelopper. Boisé. Il est boisé. Prenant mon courage à deux mains, tout en essayant de contrôler mon cœur malmené, j'affronte son regard.
Ses iris d'un bleu quasi irréel me harponnent, me dépouillent littéralement.
— J'en connais une qui pleurnichait sur la moto ! lâche-t-il avec ce que je pense être de la taquinerie.
— Je viens de redevenir humaine, Chris ! je murmure n'ayant pas la force d'en faire plus. Je n'ai pas envie de mourir bêtement.
En se rendant compte de ma fixation incontrôlable sur sa bouche, il s'écarte de moi, mettant fin à nouveau à ce rapprochement naissant. La partie est loin d'être gagnée mais une fois encore, je n'ai pas rendu les armes.
— Ce qu'il a dit sur les vampires... est-ce que c'est vrai ? il me demande, le regard désormais fuyant, tout en glissant ses mains dans les poches.
Je soupire. À nouveau, il songe à cette version de moi-même. Sa question, à ce moment précis, alors que nous étions si proches en est la preuve formelle.
— Oui ! j'admets. Nos amies sorcières ont lancé un sortilège pour priver Silas de son vampirisme. Le rendre mortel était le seul moyen que nous avions afin d'espérer en venir à bout. Visiblement, quelque chose n'a pas bien fonctionné. Chacun des membres de ma famille est redevenu humain à son tour. Et vu que nous sommes à la tête des lignées de notre espèce, chaque vampire en a subi les effets.
Bien que j'imagine à quel point, cette nouvelle doit l'enchanter, il reste neutre et ne laisse absolument rien paraitre.
— Comment a réagi ton frère ?
Je fronce les sourcils. Sa question me surprend.
Pourquoi se soucier d'un homme qu'il l'a frappé et qui l'a chassé comme un malpropre ?
— Mal ! J'admets. Nik n'est déjà pas facile à vivre en temps normal. Cependant, je crois qu'avec ce qui vient de nous arriver, c'est encore pire !
Mon aveu le fait sourire.
— Il a beau avoir souffert d'avoir été bridé, le vampire a toujours eu le dessus sur son loup et au bout du compte cela lui... convenait. Et désormais, ayant été privé de la créature qui avait le monopole sur son corps, la deuxième enfouie au plus profond de lui, et qui va pouvoir prendre le dessus, lui fait peur. J'imagine que cela doit être un peu comme... la toute première transition qu'on subit et qu'on ne sait pas en quoi on va se transformer.
Chris est affreusement silencieux. Pourtant, mes mots l'ont atteint et il les a enregistrés. D'ailleurs, il a été si facile de lui révéler tout ça. Dévoiler ouvertement les fragilités de Nik à un inconnu qu'il pourrait utiliser contre lui, mon frère m'écorcherait vif s'il le découvrait.
Les minutes s'égrainent et Chris est toujours perdu quelque part dans ce que j'imagine être ses souvenirs. C'est à cet instant que je songe aux révélations de son père le concernant. Désormais, je pense à l'enfant qu'il était et qui n'a pas déclenché sa lycanthropie comme il l'aurait dû. À ce même soir-là, après avoir perdu sa mère, après avoir découvert que les monstres existaient vraiment qu'il a du affronter sa toute première mutation sans que personne ne l'eût préparé à ça.
— Ouais, je vois ce que tu veux dire ! dit-il finalement sans s'étaler davantage.
Je doute qu'il sache que son père m'a révélé ce qu'il en était. J'aurais préféré que cela vienne de lui mais je ne regrette pas pour autant d'en avoir pris connaissance.
— Allez ! Je te raccompagne chez toi ! il termine.
Je jette une œillade à sa moto puis rebascule mon attention sur le loup Originel.
— Plus doucement ? je l'interroge.
Un sourire amusé s'étire sur ses lèvres avant qu'il avoue d'un air qui se veut rassurant :
— Oui, cette fois, je vais y aller plus doucement !
Et Chris a tenu sa promesse. Même si je pense qu'il ne me sera jamais possible de m'habituer à son engin de malheur, je dois reconnaitre que le retour a été bien plus appréciable que l'allée. Lorsqu'il s'arrête devant le QG, je n'éprouve aucune envie de retirer mes mains de sa taille. Encore moins de soulever ma tête de son dos. Cette fois, c'est un câlin déguisé.
Car cette proximité, enfin, je l'a savourais.
Patient et silencieux, Chris ne me brusque pas pour que je descende. Je sais à quel point cette situation entre nous le rend mal à l'aise. Dans un coin de son esprit, je reste toujours l'un des plus puissants vampires.
Non sans mal, je redresse ma tête et m'oblige à détacher mes mains de son corps. Bien que l'envie me manque cruellement, je m'appuie sur ses larges épaules et descends de sa moto.
Je cherche aussitôt à capter son regard. Perdu en plein tourment, le sien est fuyant.
— Chris... je... je voulais te dire... je commence
— Tu devrais rentrer ! il me coupe, toute son attention se rivant finalement sur moi. Ton mec doit se demander où tu es passé !
J'arque un sourcil tout en essayant d'assimiler ce qu'il vient de dire.
— Quoi ? je l'interroge, perdue
— Bonne nuit, Rebekah ! Du moins, ce qu'il en reste !
Et après ces simples mots, le moteur rugissant à nouveau de sa moto, il démarre en trombe. Je le regarde disparaitre au loin avec un sentiment d'inachevé logé au plus profond de la poitrine.
— Te dire... merci ! je termine.
Les jambes encore flageolantes, je pousse la grille en fer forgé qui fait désormais un poids de damné.
Alors que je regagne la cour, je peine à dissimuler ma surprise en découvrant mon frère debout au beau milieu de cette dernière. Et l'expression placardée sur son visage est loin d'être rassurante.
— Nik ! Tu... tu n'es pas couché ! je demande
— Quand ma petite sœur manque à l'appel alors que la situation actuelle laisse déjà à désirer, figure-toi... que non !
Las, je soupire.
— Où étais-tu Rebekah ? dit-il tout en avançant dans ma direction.
— Et j'attends de toi, une réponse qui, je l'espère, sera plus que convaincante ! il poursuit la mine toujours aussi sombre.
Prise sur le fait, et n'ayant aucune envie replonger dans des perpétuels mensonges qui un jour où l'autre finira par remonter à la surface, je décide d'opter pour la vérité.
— J'étais avec Chris !
— Chris ? répète-t-il, le sourcil arqué.
— Oui, Chris !
Visiblement, quelque chose lui échappe et il semble s'en rendre compte.
— Et le fait qu'il s'en est pris à toi, cela t'est-il complètement égal ou es tu simplement stupide ?
Sans pouvoir me retenir, je souris. Étrangement, et même si je suis balafrée à cet endroit, cette morsure fait partie de moi maintenant. Si elle devait disparaitre du jour au lendemain, elle me manquerait.
— J'apprécie que tu joues au grand frère protecteur avec moi et tu sais que je t'adore mais ce qui s'est passé était un simple accident, Nik !
— C'est ce que m'a dit aussi Caroline !
Je déglutis longuement en croisant son regard puis ose demander :
— Et Caroline te dit toujours tout ?
À ma question, Nik fronce les sourcils puis poursuit :
— Aucune idée ! Y a-t-il quelque chose que je devrais savoir et dont j'ignore encore, ma très chère sœur ?
— Non ! je nie catégoriquement.
Klaus
La nuit a désormais fait place au jour et je suis, une fois de plus, sur le balcon. Mes facultés ne sont plus les mêmes. La fatigue de mon insomnie de cette nuit se fait sentir. Cette enveloppe charnelle ne sert à rien. Elle est faible. Je suis devenu faible. Mon corps invulnérable ne m'a jamais autant manqué que maintenant.
À ma grande surprise, le quartier français a retrouvé un peu de vie. D'ici, je perçois l'odeur des viennoiseries du si célèbre Café du Monde. Quelques noctambules, et cela même s'ils sont encore peu nombreux, défilent juste en dessous de moi. Alors que l'un d'eux lance un collier à mes pieds, je sens la présence de mon ange le ramasser dans les secondes qui suivent.
— N'offre-t-on pas, ce genre de choses ici à une personne pour laquelle on espère qu'elle se déshabille ? me demande-t-elle dans une moue que je trouve adorable.
— En vérité, ce sont plutôt les femmes qui ont tendance à dévoiler leurs poitrines en échange de ces précieuses perles, je l'informe avec amusement.
— Quoi ? elle s'époumone en se tournant dans ma direction. Tu es sérieux ?! Elles sont barges !
— C'est une coutume qui a lieu principalement lors de Mardi gras.
— Je n'arrive pas à y croire ! s'égosille-t-elle.
Jamais je ne me lasserais de la voir s'émerveiller pour tout et n'importe quoi.
— Et toi, mon ange, veux tu que je t'offre... des perles ? je lui demande d'un sourire malicieux
— Et dévoiler mes seins, ici ! Tu peux toujours rêver ! s'offusque-t-elle.
Cette fois, je ris. De toute façon, il était hors de question que je la laisse faire. Son corps est à moi et uniquement à moi ! Je tuerais celui qui oserait la regarder.
De mon poste d'observation, j'aperçois Chris s'approcher du QG. Ce dernier en cherchant à rejoindre l'entrée se fait passer un de ces précieux colliers autour du cou.
— On dirait bien qu'aujourd'hui, ce sont les femmes qui prennent ce pouvoir sur les hommes ! me fait remarquer Caroline en ayant, elle aussi, assisté à cette scène.
J'esquisse un nouveau sourire. Après tout, que serait un homme sans une femme ? Celle qui sera bientôt la mienne officiellement m'a mis, moi, Klaus Mikaelson, a genou.
— Pourrais-tu nous laisser, mon ange ? je lui demande alors que je sais que le loup Originel est désormais dans le QG.
Il est plus que temps pour lui et moi d'avoir une vraie conversation.