Lorsque la forêt chante

By delavieencouleurs

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« Vous pourriez tuer un homme, demoiselle Foreas. » Cela sonne plus comme une affirmation qu'une question. Né... More

2 | Jugement trop hâtif
3 | Aussi fourbe que manipulateur
4 | Le tour de vos griefs
5 | L'autel de la paix
6 | Un secret jalousement gardé
7 | En attendant le chant
8 | Une réalité qui ne changera pas
9 | Balance politique
10 | Douleur lancinante.
11 | Le sens de la nuance.
12 | Innocente surprise.
13 | Des secondes ressemblant à de trop longues heures.
14 | Vibrante de ressentiment plus que de crainte.
15 | La magie de cet instant
16 | À son paroxysme.
17 | Jusqu'à ce que le problème s'en aille.
18 | Mauvaise idée.
19 | Improbable conversation.
20 | Un millier d'éclats
21 | Air menaçant.
22 | Affaire urgente.
23 | Un regard lourd de sens.
24 | Ce simple geste.
25 | Nous avons un problème.
26 | Pas de temps à perdre en mauvaise foi.
27 | D'une main possessive.
28 | Dis-le.
29 | Rictus narquois.
30 | Qu'avec toi.
31 | Un être totalement innocent
32 | Nouvelle réalité.
33 | Nulle part ailleurs.
34 | Comme une promesse.
35 | Chaque chose en son temps.
36 | Lecture étrange.
37 | Respect mutuel.
38 | Une voix froide et détachée.
39 | Éloge funèbre.
40 | À ton image.
41 | Un air grave.
42 | Moment suspendu.
43 | Regard nostalgique.
44 | Puisque plus rien ne te retient.
45 | Le seul son que j'ai besoin d'entendre.
46 | Derrière tout cela.
47 | Implorer la forêt.
48 | La proposition que j'attendais.
49 | Marche.
50 | Des doigts sur ma peau.
51 | Tu comprendras un jour.
52 | Nous dire au revoir

1 | Un grand loup gris en guise d'ombre

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By delavieencouleurs

Je me souviens du jour où mon père m'a donné ma première leçon de tir à l'arc. Avec ma petite moue concentrée, mes cheveux châtains tressés et en robe colorée, j'avais tout juste huit ans.

— Tu tires bien sur la corde, voilà, parfait.

J'étais fière qu'il m'accorde enfin le droit de cette pratique réservée « aux grands », ainsi que totalement captivée par ses mots. Un peu trop, d'ailleurs. Vous allez vite comprendre pourquoi je vous dis ça.

— Maintenant vise, Elora, en gardant tes deux yeux bien ouverts.

Ok papa.

Ma respiration saccadée même si ma cible n'était rien d'autre qu'un arbre, je n'entendais que sa voix chuchotant près de mon oreille. Pour une fois, la forêt se taisait, comme pendue à mon geste puisque j'apprenais comment la blesser.

— À trois, tu lâches tout.

À trois, je lâche tout.

Ça avait l'air simple !

— Un.

À trois...

— Deux.

Je lâche...

— Trois.

Tout !

J'ai vraiment tout lâché. Ouais ouais, l'arc avec, provocant un immense fou rire chez mon père. Encore aujourd'hui il raconte l'anecdote à qui veut l'entendre alors que j'ai dix-huit ans et suis devenue une archère émérite se distinguant dans les compétitions de la région du lac d'Eroly.

Sympa, merci.

Je n'ai jamais tué, bien qu'il ait essayé de m'apprendre... espérant qu'ainsi j'accepterais de manger de la viande et deviendrais « normale » aux yeux des autres. Malgré tout, il n'a tenté qu'une seule fois de m'amener à la chasse. Ce jour-là – face à mon refus de tirer sur une biche – la forêt a chanté si fort que mon père n'a pu dissimuler sa crainte de ma différence. Attention, ne vous y trompez pas... il n'a nullement eu peur de moi, non. Mais pour moi. Car depuis que je suis toute petite, les animaux sauvages viennent me voir et je peux les toucher avec une étrange facilité. D'aussi loin que je me souvienne, les bois semblent s'éveiller dès que j'y pose un pied. Vous vous en doutez, je n'ai jamais eu le droit d'en parler ou de le montrer à qui que ce soit. J'ai compris pour quelle raison au fil du temps donc me montre prudente. Il est évident que je risque d'être prise pour une sorcière – quand bien même je doute de leur existence – si ce secret venait à être ébruité. Mais...

Peut-être en suis-je une, après tout ?

Je m'occupe de notre potager, le plus beau de toute notre communauté. Ma mère prétend que je suis connectée à la nature et que c'est un don précieux. Que ma grand-mère était ainsi. Dans sa famille, le bruit court que nous descendons des elfes. Ceci est une légende au même titre que le reste, bien sûr. Aucune trace de ce peuple n'ayant été découverte dans notre monde – Omëza – je me demande d'où viennent toutes ces histoires.

L'imagination est vraiment quelque chose de fascinant.

Toutefois, je me plais à rêver que c'est réellement le cas et que je suis Elora Foreas, héritière d'une grande lignée d'êtres respectueux de la nature ainsi que de la vie sous toutes ses formes. Dans votre univers, on dirait sans doute que je suis une bobo végétarienne antispéciste. Ici je suis juste la fille étrange, cela me convenant. Pour vous en dire plus, sachez que j'ai peu d'amis mais qu'avec Jonas Istark et Olios Ruby, nous formons un parfait trio depuis notre petite enfance. Ils sont les seuls – en dehors de mes parents – à connaître mon secret. Que la forêt chante pour moi. D'ailleurs, papa était furieux lorsqu'ils l'ont découvert après que l'un de nos jeux nous ait entraînés par mégarde parmi les arbres. Cet après-midi ensoleillé là, nous avions croisé une meute de loups. Mes deux amis ayant la peur de leur vie, j'étais la plus heureuse, fonçant vers eux – du haut de mes douze ans – avec la plus totale insouciance. Lorsque ma paume tendue a rencontré le museau d'un louveteau, ils ont retenu leur souffle pendant que dans l'air s'élevait la mélodie des oiseaux et du vent. Croyez bien qu'après ce spectacle, j'ai eu des comptes à leur rendre ! Il y avait de la lumière sur ma peau, ont-ils dit à l'époque. Personnellement je n'ai rien remarqué, occupée à jouer avec une petite boule de poils absolument craquante.

Loaf.

Quand sa mère a été abattue par des chasseurs le lendemain, il est venu me retrouver devant la porte de notre maison. Ouais. Je ne suis pas seulement la fille bizarre, pour les gens du coin. Je suis aussi l'anormale jeune femme se déplaçant avec un grand loup gris en guise d'ombre, un arc à la main. Néanmoins, mon père étant respecté en tant que conseiller de notre roi, personne ne trouve grand chose à redire. Vous savez ce qui aide aussi ?  Devinez ! Je suis considérée comme jolie. Il parait qu'on pardonne tout à une belle femme. Je suis d'ailleurs sur le point de vérifier si cette stupide affirmation est vraie.

Hum.

Êtes-vous avec moi ? Si oui, nous sommes sur le terrain de tir à l'arc sous le rempart du château d'Eroly. Myras semble furieux, Jonas et Olios ricanant en compagnie de Loaf. Ne ricanant pas, puisqu'il est un loup.

Un loup peut-il ricaner ?

Bref. Ce n'est guère le moment idéal pour les questions existentielles.

— Tu as triché, Elora ! gronde le jeune homme.

C'est ça, c'est ça. Quel mauvais perdant !

— Ah oui ? le nargué-je, hautaine. Par quel tour de passe passe aurais-je pu réussir un tel exploit ?

Non mais sérieux ?! La mauvaise foi a ses limites !

— J'ai déplacé les cibles par la force de mon esprit, peut-être ? Je t'en prie, Myras, accepte ta défaite, cela vaut mieux que de continuer à te ridiculiser comme tu le fais !

— Franchement, tu es tellement bizarre que ça ne m'étonnerait qu'à moitié que tu en sois capable, grogne-t-il en s'approchant.

Ma petite voix intérieure me chuchote d'éviter d'insister.

Tu ne voudrais pas que le bruit se répande au sujet que tu sois une sorcière, Elora.

C'est ça, c'est ça.

Prudente, j'adresse au lord en colère une moue ingénue dans un sourire adorable.

Beurk.

— J'ai eu de la chance, voilà tout, exhalé-je. Je sais que tu es plus doué à l'arc que je le suis.

Et bien ! Heureusement que je suis bonne menteuse ! La vie m'a obligée à apprendre cet art, me direz-vous. Sinon je ne serais probablement plus là pour en parler, donc il n'y aurait aucune histoire à raconter. Soyons clairs, Myras Angü n'est aucunement meilleur archer que moi. Il s'agit juste d'un petit con arrogant de quatre ans mon aîné. Qui est aussi le neveu du roi et son héritier direct, son père étant le souverain du royaume d'Angü – plus au sud – de l'autre côté de la forêt. Ah. Cela vous étonne que je le tutoie ? C'est parce que nous nous connaissons – détestons – depuis mon enfance, nous côtoyant souvent de par la position de conseiller occupée par papa. Bref ! Sachez qu'un antipathique sourire se dessine sur son visage, ses yeux s'étant adoucis.

— Enfin des mots acceptables dans cette jolie bouche.

Ai-je déjà dit beurk ?

En tout cas et sous vos prunelles ébahies – au minimum – la jolie fille vient de se faire pardonner en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire. La façon dont je lui ai parlé aurait valu un tour au cachot à tous les autres ! Intéressante théorie, donc. Voilà qui peut servir ! J'esquisse une révérence, retenant difficilement mon envie de lui flanquer une raclée amplement méritée.

Inutile de tenter le sort, Elora !

Une autre fois peut-être ?

— À votre service, lord Angü, marmoné-je, totalement hypocrite.

Maintenant qu'il attrape mon menton, plongeant un regard lubrique dans le mien, j'observe du coin de l'œil que Loaf s'est vivement redressé.

Ne. Bouge. Pas.

Parfois, j'ai l'impression qu'il peut lire dans mes pensées. C'est stupide, je sais, étant consciente qu'il ne fait qu'analyser mon langage corporel. Et là – malgré la nausée me venant – je ne me sens nullement en danger alors il se rallonge.

— Fais attention à ce que tu dis, ma belle, je pourrais te prendre au mot.

Tant pis pour la répétition ! Beurk ! Je sais à quoi tu penses sauf que ça n'arrivera guère !

Son pouce glisse le long de mon cou pendant que je réprime un air dégoûté, demeurant stoïque. Visuellement. Car à l'intérieur, je bouillonne littéralement. Finalement son geste reste en suspens lorsqu'il regarde par-dessus mon épaule, affichant soudainement une mine heureuse que je n'avais jamais observé chez lui.

Cela veut-il dire que tu as un côté sympathique ? C'est aussi intéressant que surprenant !

— Estéban, mon cher frère ! s'exclame-t-il, ravi.

Oh, pitié... Un seul Angü dans les parages est suffisant ! Surtout s'il est comme toi !

Me crispant instinctivement, m'empressant de prendre congé en prenant une lente inspiration, il me retient malheureusement par le bras.

Pourquoi fais-tu ça ?!

Loaf a de nouveau dressé ses oreilles, attentif.

Tout. Va. Bien.

Je vous avoue que je m'inquiète un peu pour lui avec un étranger dans le coin, haut placé de surcroît.

— Je vais te laisser maintenant, j'ai à faire, annoncé-je lentement, faussement polie.

Sans me répondre, Myras sourit, plaçant une paume dans le bas de mon dos pour me faire pivoter vers le nouveau venu.

Pouah, mais à quoi joues-tu ?! Que quelqu'un me vienne en aide !

— Hé, Elora ! m'interpelle Jonas, clairement amusé par l'idée de jouer un petit tour au lord. Ton père te cherche !

— Il dit que vous devez rentrer ! renchérit Olios.

Je vous a-dore !

Ai-je précisé que nous formions un super trio ? Parce qu'en voilà la preuve ! Je m'extirpe du désagréable contact me retenant en grinçant des dents.

— À bientôt, Myras.

Pas trop tôt non plus !

Il semble contrarié.

Quoi encore ?!

— J'y compte bien, Elora.

C'est ça, c'est ça.

M'éloignant d'une foulée rapide, je décide d'abandonner mon arc ainsi que mes flèches.

Tant pis ! Je reviendrai plus tard !

— Fuyons ! murmuré-je une fois aux côtés de mes amis.

Ce que nous faisons dans un énorme éclat de rire, Loaf sur nos talons. Jusqu'à ce qu'une voix grave et inconnue se fasse entendre dans notre dos :

— Ce loup me donne envie d'organiser une belle partie de chasse, pas toi ?

Pardon ?!

Je m'arrête net, faisant brutalement volte-face.

Qui. A. Osé. Dire. Ça ?!

Mes iris furieux rencontrent ceux du frère ainé de Myras, un rictus arrogant habillant ses traits. Dans d'autres circonstances, j'avoue que je l'aurais trouvé incroyablement séduisant. Mais là... Que viens-je de dire au sujet d'un deuxième Angü dans le coin, rappelez-moi ?! Voilà.

— Arrête Elora ! s'exclame Jonas, tentant de me raisonner lorsqu'il constate que je ne me contiens guère.

Je l'ignore, fonçant telle une furie vers les deux hommes au milieu du stand de tir. Olios essayant de me retenir à son tour, je l'esquive promptement.

— Reste là Loaf ! ordonné-je, fébrile.

Le canidé se fige et s'assoit. Peut-être ne lit-il pas dans mes pensées, toutefois il m'écoute !

— Essayez seulement et vous serez ma cible ! grondé-je, déchaînée, m'arrêtant sous le nez du prince.

Ouais. Contrairement à Myras, il porte ce titre, étant l'héritier direct de son père. Évidemment je n'en ai rien à foutre, incapable de rassembler mon bon sens tandis que son regard sombre me détaille sans vergogne.

— Cette bête est à vous ? C'est intéressant.

Est ?! Comme s'il m'appartenait ?!

— C'est un ami que je vous déconseille d'approcher ! aboyé-je, aussi écœurée que vindicative.

— Est-il souvent près de vous ? souffle-t-il près de mon oreille après s'être penché.

Mais enfin ?! Est-ce de famille d'envahir l'espace personnel des autres ?! Une coutume étrange du royaume d'Angü, peut-être ?

— Jour et nuit, préviens-je, reculant vivement.

Dégage de mon air !

Il se redresse, clairement amusé.

Je cherche ce qu'il y a de drôle !

— Alors je ne peux vous faire cette promesse, m'annonce-t-il avec décontraction.

Quoi ?! Quel rapport ?!

Elora... je crois que tu es trop en colère pour saisir l'évidence du sous-entendu n'ayant échappé à personne d'autre.

Oh. Merde !

Me détournant en pinçant les lèvres, je récupère mes flèches plantées au centre des cibles – lui signifiant que je sais viser et ne plaisantais aucunement – filant rejoindre mes amis. Êtes-vous d'accord pour affirmer qu'ils sont désagréables, ces deux frères ?! Qu'ils renvoient une image catastrophique de leur contrée ? Il est clair que ce n'est pas demain la veille que je ferai le voyage pour m'y rendre s'ils sont tous ainsi là-bas !

***

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