Attention : Ce chapitre contient une illustration pouvant choquer un public jeune et/ou sensible.
« Vous devriez vraiment être plus prudente... » Une voix féminine, plutôt raffinée venait de réveiller Beth. Elle leva les yeux et bondit sur ses pieds en apercevant son interlocutrice. C'était Hilda, la « petite princesse », mais elle n'avait plus rien du petit personnage pixélisé de l'écran de télévision.
Hilda était très grande, fine, et avait le port d'une reine. L'allure hautaine, elle fixait Beth avec ses yeux qui étaient un mélange du bleu du ciel nocturne et d'une sorte de vert qu'elle n'avait jamais vu avant. Il y avait, à l'intérieur, une sorte de lueur, comme une flamme. Ses cheveux flottaient au gré du vent tels une cascade de fins fils dorés et c'était un tableau du plus bel effet : « Vous allez bien ? Que faites-vous ici, si loin dans la forêt ? » Beth ouvrit de grands yeux et regarda autour d'elle. Des arbres, des buissons, de hautes herbes, tous très touffus et Karen, tout aussi sonnée qu'elle. Le soleil était en train de se coucher et la végétation rendaient les lieux déjà bien sombres.
Elle n'était clairement plus chez elle et, pour ne pas arranger les choses, elle ne reconnaissait pas l'endroit où elle se trouvait. Chris travaillait après ses cours quand il n'étudiait tard sur le campus. Il allait rentrer, trouver l'appartement vide et paniquer. Dans sa tête, les émotions s'entremêlaient. La peur, la panique, même. Beth se tourna vers Karen qui était encore déboussolée. Avant qu'elle n'ait pu se plaindre, une créature surgit des buissons. Elle avait le corps d'un homme d'une stature impressionnante. Une montagne de muscles de presque deux mètres de haut. Il avait de longs cheveux flamboyants et sur son visage, des sortes de taches sombres lui barraient les joues. Ses dents pointues rendaient son sourire effrayant.
Hilda dégaina son épée à la vitesse de l'éclair, empoigna Beth par le bras et l'attira vers elle puis rejoignit Karen qui se redressait, encore hébétée. La créature cessa d'avancer et croisa les bras : « Vous êtes toutes très appétissantes... ». Hilda était clairement impressionnée mais faisait de son mieux pour ne pas montrer sa peur. Beth et Karen, elles, étaient tétanisées : « C'est quoi ce...truc... ?
— Truc... ? s'offusqua la créature, en s'avançant, menaçante.
— C'est un Djinn ! Un démon très dangereux, expliqua Hilda, en gardant son calme. Je vais le retenir ici, sauvez-vous...courez le plus vite possible. Tout droit. Vous trouverez un refuge !
— Vous voulez sérieusement qu'on vous laisse avec un démon ? , demanda Karen en tremblant.
— Karen, la dame a l'air de savoir ce qu'elle fait alors laissons faire les pros....
— Beth, il a l'air vraiment dangereux... »
Le démon les fixait avec ses yeux rouges et luisants. Hilda lui faisait courageusement face avec son épée. Karen et Beth reculèrent lentement. Karen analysait la situation. Elle avait des scrupules à laisser Hilda seule. Beth en eut un peu moins et se sauva d'un coup en lui criant de faire de même. Elles se mirent à courir aussi rapidement qu'il leur était possible de le faire. La créature laissa échapper une sorte d'éclat de rire terrifiant et balaya Hilda d'un revers de la main. Elle roula jusqu'à un buisson pendant que la bête se mettait à poursuivre Beth et Karen : « J'adore chasser les humaines ! Leur chair est à la fois tendre et juteuse ! ».
Beth se retourna et vit le démon gagner du terrain sur elles. Karen cessa de réfléchir à ce qui se passait et se mit à hurler jusqu'à en perdre son souffle, alors que son amie se surprenait à courir encore plus vite malgré la taille ridicule de ses jambes : « Plus vite Karen !
— Je fais ce que je peux !
— Fais ce que tu peux encore plus vite !
— Je suis nageuse ! Pas coureuse de 100 mètres ! ».
Derrière elles, la créature les rattrapait en ricanant. Beth fit un effort ultime qui fut interrompu par le bruit sourd de la chute de Karen sur le sol humide et froid de la forêt. Beth se retourna vers son amie. Le monstre était penché au-dessus d'elle. Karen lui jeta de la terre au visage ce qui fit totalement la créature changer d'humeur. Son sourire disparut et dans un rugissement terrible, il attrapa Karen par la gorge : « Comment oses-tu, misérable créature ! »
Karen ne pouvait pas crier, tant la pression de la main du démon sur sa gorge était forte. Elle n'avait plus les pieds qui touchaient le sol et ces derniers se balançaient en tous sens alors qu'elle essayait de se libérer de l'étreinte fatale de son agresseur. Beth regardait son amie se débattre sans succès et soudainement, elle fut prise d'un coup de folie. Elle se jeta sur le monstre et se mit à le frapper. Les poings serrés, elle le martelait aussi fort qu'elle pouvait : « Lâche-la ! Tu vas la laisser tranquille, oui ? Fiche-lui la paix ! Laisse-la tranquille ! Tu vas la lâcher !? ».
Le démon, sa main maintenant toujours fermement Karen, écarta Beth d'un coup de pied dans le ventre : « Attends ton tour ! ». Beth tomba à terre le souffle coupé. Son amie avait cessé de bouger et son corps pendait comme une poupée de chiffon. Son visage était baigné de larmes, ses yeux exorbités laissaient encore entrevoir la peur qu'elle avait dû ressentir juste avant de perdre conscience.
Beth se releva folle furieuse, et frappa le monstre de toutes ses forces en hurlant le nom de son amie. Elle se fichait bien de ce qui pouvait lui arriver, si elle pouvait sauver Karen. Peut-être qu'il allait la laisser en paix, qu'elle reprendrait son souffle puis qu'elle arriverait à se sauver... peut-être qu'il restait une chance après tout... et même si elle ne se réveillait pas, en frappant assez fort, peut-être qu'il prendrait peur... et ensuite elle pourrait la réanimer... lui faire du bouche-à-bouche ? Un massage cardiaque ? Revenir en ville et l'amener à l'hôpital... Toutes sortes de solutions plus folles les unes que les autres passaient comme des flashs ininterrompus dans la tête de Beth, qui fut encore une fois sauvagement repoussée. Elle roula sur plusieurs mètres et manqua de perdre connaissance tant la tête lui tournait. La créature maléfique grogna un mot incompréhensible puis passa sa langue sur la joue de Karen pour boire ses larmes tout en regardant Beth qui se rendit peu à peu compte de la situation : elle était la prochaine. Le démon attrapa fermement un des bras de Karen et tira un coup sec dessus. Il s'arracha au niveau du coude dans un bruit affreux d'os brisé. Alors que la vessie de Beth cédait tant elle était terrifiée, il se mit à manger le bras de Karen... puis il mordit dans son cou et se mit à sucer son sang, toujours en fixant Beth droit dans les yeux, comme pour surveiller que son dessert ne prenait pas la poudre d'escampette. Beth ne pouvait détacher son regard de cette horrible scène. Karen se faisait lentement dévorer et elle était la suivante sur le menu. Et son tour arriva, bien plus vite qu'elle ne l'avait prévu.
Le démon marchait lentement vers Beth, paralysée par la terreur et la tristesse. Elle avait si peur qu'elle ne sentait même pas sa jupe trempée qui lui collait aux fesses. Il se pencha au-dessus d'elle et lui sourit de façon effrayante. Elle pouvait voir ses crocs luire sous les dernières lueurs du soleil, tels de petits poignards, et elle se dit que c'était la fin. Elle ferma les yeux pour revoir une dernière fois son frère, Chris, puis Shinji et, quand elle les rouvrit, elle sentit qu'elle avait plus que jamais envie de vivre. Le démon lui attrapa un bras, et elle le fixa droit dans les yeux. Elle repensa au bruit du bras de Karen qui s'arrachait et elle décida de ne pas se laisser faire. Elle se retourna en hurlant : « Pas question !!! ». La main du démon glissa du bras de Beth et ses griffes y laissèrent de fins sillons desquels se mirent à perler de petites gouttes de sang. Beth recula en se traînant au sol alors que le Djinn tendait à nouveau la main vers elle. Elle plaça les siennes vers lui, prête à se défendre, même si le combat était plus qu'inégal. Il se mit à rire à gorge déployée puis il attrapa Beth à la gorge, tout comme il avait fait avec Karen. Elle était en danger et elle savait qu'elle n'avait que quelques secondes pour agir. L'air se faisait rare et la pression de la main de la créature sur son cou empêchait le sang de passer. Elle se sentait perdre connaissance et rassembla toute l'énergie qui l'habitait dans ses mains. Elle se concentra au maximum pour pouvoir frapper de toutes ses forces le visage de ce monstre, pour peut -être lui crever un œil ou lui casser le nez ou bien encore lui griffer la face. Mais elle n'en eut pas le temps. Elle n'eut pas le temps non plus de voir Hilda se précipiter vers eux en courant, l'épée à la main.
Beth reprit connaissance la tête posée sur les genoux d'Hilda. Il faisait nuit et la pleine lune éclairait les bois à travers les branches des arbres. Elle fut très surprise de ne pas se réveiller dans son lit vu le cauchemar qu'elle venait de vivre. Puis encore plus quand elle se souvint qu'elle était censée être morte. Elle se passa les mains sur le cou et la douleur qu'elle ressentit lui fit comprendre que ce n'était pas un rêve : « Je...je suis en vie ?!
— En effet.
— Mais comment ça se fait ?
— Vous avez chassé ce démon juste au moment où j'arrivais...
— Quoi !? Sérieusement ? Moi ? Chasser un démon ? Vous plaisantez ?
— Vous l'avez fait d'une façon que je n'avais jamais vu avant !
— Qu'est ce qui s'est passé ?
— Je ne suis pas certaine...
— Pas certaine ?
— C'est la première fois que je vois ce genre de magie...
— De magie ?
— De la magie blanche...
— C'est une bonne blague ça ! ricana tristement Beth.
— Je ne plaisante pas, rétorqua Hilda.
— La magie, ça n'existe pas.
— Et les démons ? lui demanda Hilda, le plus ironiquement possible.
— Heu...
— Je ne sais pas d'où vous venez, mais la magie a toujours existé en Assilia.
— En Assi-quoi ?
— Assilia.
— Notre monde. Vous allez bien ? Vous avez pris un coup sur la tête ?
— Non mais...je ne comprends pas tout...Je...viens de loin...
— De loin... ?
— De très loin...j'ai l'impression...
— Ça explique votre tenue étrange...
— ...
— Nous parlerons de tout ça plus tard. Pour l'instant, il faut quitter cette forêt.
— M... Mais...et...et Karen...
— Je suis désolée mais...
— Elle... est...
— Je suis navrée, lui dit doucement Hilda, en lui prenant les mains pour la réconforter.
— Qu... qu'est-ce que je vais... devenir...
— Je ne vais pas vous abandonner ici.
— Mais... je suis... loin de chez moi...
— J'étais en route pour retourner en ville, vous allez venir avec moi.
— Ça ne vous dérange pas ?
— ... Je vais me débrouiller... Je ne peux décemment pas vous abandonner ici.
— Vous êtes vraiment gentille, merci ! s'exclama Beth en se serrant contre Hilda.
— Je ne fais que mon devoir de princesse...
— En plus je commence à vraiment avoir froid...
— Pardon mais...Vous sentez vraiment mauvais... ».
Beth se mit à rougir mais Hilda ne le vit pas, dans la pénombre. Elle bredouilla des excuses puis elle se leva et se mit à la suivre dans la forêt. Plusieurs fois, elle manqua de tomber à cause d'une racine ou d'une branche. Elle se mit doucement à pleurer en repensant à Karen : « ... Qu'est...qu'est-ce que je vais devenir... et... Karen... oh... Karen... ».
Beth trébucha et Hilda la rattrapa de justesse. Elle pleurait trop pour voir devant elle. Elle avait perdu Karen, sa meilleure amie. Elle se sentait écrasée par le chagrin. Elle avait du mal à respirer entre les sanglots. Hilda la garda dans ses bras un moment, malgré sa mauvaise odeur. Puis au bout d'un moment, Beth retrouva son calme et Hilda pu s'écarter d'elle en prenant une grande inspiration : « Bien... Il ne faut pas trainer. Même si je pense qu'il a eu son compte, si ce démon revenait par ici, on serait vraiment en très grand danger...
— Vous... êtes vraiment certaine que... ça ne posera pas de problème si vous m'hébergez... ?
— De toute façon, personne n'aura le droit de contester ma décision. Je suis la Princesse de ce pays. D'ailleurs, j'oublie mes manières, je ne me suis pas présentée. Je suis Hilda de Highwall.
— Enchantée...je suis Elisabeth Walker, mais mes amis m'appellent Beth. »
Beth ne s'était pas trompée, il s'agissait bien de Hilda, la princesse. Cependant, cela ne la rassura pas un instant car cela confirmait le fait qu'elle n'était plus chez elle, mais ailleurs, peut-être même... à l'intérieur du jeu.