Shalta

By elonaballon

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L'échec, le rejet. Toute sa vie, Shalta y a été confrontée. Entrepreneuse textile, la presque trentenaire vit... More

Préambule
Chapitre un
Chapitre deux
Chapitre trois
Chapitre quatre
Chapitre cinq
Constellation d'amour
Chapitre sept
Chapitre huit
Chapitre neuf
Correspondance
Chapitre dix
Chapitre onze
Chapitre douze

Chapitre six

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By elonaballon

Le cœur battant, je me laisse choir sur le sofa convertible. Décidément, avec Côme, on fonctionne de la sorte : fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis. Mais à trop jouer avec le feu de l'indécision, ne risque-t-on pas de se brûler les ailes ?

Je compose son numéro avant de tomber sur la messagerie.

— Salut, c'est Shalta. J'ai passé un moment sympa, hier soir. Hum... Il paraît que les croissants de chez Meldy sont à se damner. On pourrait juger ça par nous-mêmes ?

Je me lève, enroulant les draps autour de mon corps nu. Je me rends dans la salle de bains, contemple mes traits fatigués dans le miroir et me fais couler un bain chaud.

— Ou alors... Je voulais savoir si, par hasard, tu accepterais de m'accompagner au gala de ce soir ? ajouté-je en glissant mes orteils dans l'eau. Je te rassure, ça ne t'engage à rien. On peut même y aller entre amis si tu le souhaites.

J'ai à peine prononcé cette phrase que je souhaite disparaître sous les flots et ne plus jamais remonter à la surface. Qu'est-ce qui m'a pris de dire cela ? Je souhaite que Côme fasse partie de ma vie, de quelque façon que ce soit, mais je devrais me rendre à l'évidence : nous ne serons jamais amis.

— En plus, ça tombe bien. Tu connais Shiver comme ta poche. Je suis sûre qu'elle sera ravie de te voir.

Et voilà que je sors les grands prétextes... Franchement, pourquoi je me réduis à cela ?

— Bon, tu me tiens au courant. Je croise les doigts.

Je jette mon téléphone sur le tapis de douche, tapant mon front contre ma paume de main. Plus risible que mon comportement, il n'y a pas. Pourquoi suis-je si pathétique quand il s'agit de Côme ?

— C'est moi ! s'exclame ce dernier en claquant la porte d'entrée.

En parlant du loup... Le voici qui débarque dans la bergerie, prêt à ne faire qu'une bouchée du pauvre mouton que je suis.

Je le jauge du regard. Lui, se départ de ses vêtements pour me rejoindre dans la baignoire.

— Tu prends toute la place, maugréé-je malgré moi.

— Ne fais pas la rabat-joie... C'est un bassin, ta baignoire.

La brute pince mon nez avant de m'embrasser tendrement. Il glisse ses grandes mains dans ma chevelure humide, désormais coupée au carré.

— Elles ne sont pas si inégales que ça, souligne le poète en enroulant une mèche autour de son doigt.

— Je crois que ça ne me déplaît pas... L'impulsivité fait parfois des miracles.

— J'espère que tu parles de notre épopée d'hier soir.

— Où est-ce que tu étais quand je me suis réveillée ? dis-je en pivotant dans sa direction.

— Dis, ça te regarde ?

— Ne fais pas le rabat-joie, le repris-je sur un ton moqueur. Tu n'es plus avec...

— Non, me coupe-t-il aussitôt. Au fait, ma cousine organise une réception ce soir.

— Je sais. Je t'ai laissé un message pour te proposer de m'y accompagner.

— On est connectés. Eh bien, tu m'en verrais honoré.

Vêtue de ma robe sirène, je déferle dans la soirée avec l'imprévisibilité d'un ouragan. J'ignore ce que le destin me réserve. Une chose est sûre : ce moment sera propice à la détente et aux rencontres si je daigne mettre dans un coin de ma tête mon obstination pour les affaires.

— Je vais nous chercher du vin, bébé, prévient Côme.

Sa poigne relâche ma taille. Le beau brun s'échappe quelques minutes alors j'en profite pour observer l'élite se déployer autour de moi. J'ai l'air un peu perdue – comme un poisson jeté au milieu des requins.

— Dior ?

Un bel homme m'approche, puis me propose de trinquer. Même si je feins un sourire, je jette des coups d'œil à tort et à travers de la salle, craintive que mon amant me prenne sur le fait accompli. Après tout, je ne fais rien de mal en discutant avec cet inconnu. Je désire juste éviter un énième malentendu.

Fière de constater qu'il apprécie nos créations, je le contredis toutefois :

— Sandheaver.

Ledit gentleman me sert sur un plateau sa grandiloquente liste de conquêtes. Je n'en perds pas une pour me moquer de lui. Heureusement, Monsieur partage mon humour. Notre échange est agréable. Je me noie dans ses yeux vairons, mais m'en détourne lorsque j'aperçois Côme faire du rentre-dedans à une inconnue.

Je pince l'arête de mon nez par habitude. Dès lors, mon chagrin s'atténue et je m'efforce de m'intéresser aux dires de mon interlocuteur. Il s'avère qu'Espen n'est autre que notre associé, Gray.

— M'accorderiez-vous cette danse ?

Il me tend sa main. Déstabilisée par les effluves de son parfum, je lorgne le dessin indélébile dissimulé sous les pans de sa veste, à la base de son poignet. Gray m'entraîne sur le seuil des balcons avec une légèreté exquise. Nous tournoyons au rythme de la symphonie.

— On les déteste parce qu'on ne les égale pas, répété-je, les sourcils haussés, tandis qu'il me fait virevolter sous la nuit constellée. Je serais curieuse de découvrir ce que vous ne possédez pas... Ou plutôt qui vous apprécieriez d'être.

— Ne trouvez-vous pas ces cérémonies bien solennelles ? Basées sur le paraître ?

— C'est une façon de voir les choses. Mais je vous l'accorde, les gens sont ennuyeux à mourir ici.

— Dans ce cas, je ne vous retiens pas plus longtemps.

Il relâche son emprise et me tourne le dos. Soudain, une sensation de solitude m'assaille. Les mâchoires tombantes, je reste coi.

— Mais, je...

Alors que je m'apprêtais à lui courir après, Espen pivote brutalement et rit.

— Si vous croyez pouvoir me vexer aussi facilement, vous vous trompez de cible. Moi, j'ai les épaules solides pour accuser votre présomption.

— C'est ainsi que vous me voyez, présomptueuse ?

— Vous ai-je froissée ?

— Paraît-il, vous avez l'air de vous en amuser.

Le souffle chaud d'Espen effleure mon menton. Côme me toise de biais, les traits fermés. Ses lèvres viennent, par provocation, déposer un baiser dans le cou de la blonde vénitienne.

J'ai la sensation d'avoir déjà vécu cet instant ou du moins, les prémices de ma rencontre avec Espen. Je suis quasiment certaine de m'être servie de la capsule temporelle, d'avoir encore fait le mauvais choix. Il faut croire que le destin nous remet toujours sur le droit chemin. Lui, se fiche éperdument de nos volontés.

— Je le lis dans votre regard. Je crois que vous êtes dédaigneuse, Shalta, mais qu'au-delà de cette arrogance, de cette distance que vous vous efforcez de placer entre vous-même et les autres, se cache une femme qui voit le monde à travers les yeux d'un enfant.

J'incline la tête, l'air intrigué. Son monologue a su capter mon attention, évinçant Côme de mon champ de vision. Nos pas se font lents, nos regards profonds.

— Je reste persuadé que vous êtes bien plus qu'un être en constante quête de prévision. Tenez, si nous n'étions pas contraints de rester sur l'île, vous parcourriez sans doute le globe munie d'un sac à dos. Vous vous feriez tatouer sur un coup de tête, vous danseriez jusqu'au bout de la nuit entourée d'inconnus...

Mes mâchoires se décrochent. Je tente de garder la face. Comment parvient-il à lire si facilement en moi ? Comment saisit-il les facettes les plus discrètes de ma personnalité ?

— Arrêtez-moi si je me trompe, poursuit mon cavalier d'une voix rauque.

— Vous avez raison sur toute la ligne, ne pus-je qu'admettre. Mais supposez toujours.

— Vous pourriez vous balader. Alors, votre regard serait captivé par la devanture d'une boutique. Vous y chercheriez quatre bâtons de senteur.

— Pourquoi quatre ?

— Je ne sais pas, avoue-t-il avant de stimuler son imagination. Pour les garder intacts pendant dix ans, dans un placard.

— En tête ?

— Faire de ces banals encens des objets sacrés, consommables lors de grandes occasions.

— Où souhaitez-vous en venir ? soutiens-je. Qu'est-ce que ça signifie, d'après vous ?

— Derrière votre impétuosité, il y a une personne altruiste qui ne demande qu'à surgir de l'ombre. Vous faites, inconsciemment, de tout ce qui vous entoure un moment magique, une rencontre unique, un lieu bouleversant et empreint de souvenirs.

Cette fois, je m'immobilise. Une expression contrite prend possession de mon visage.

— Vous commencez à me faire peur. Comment savez-vous...

— La capsule temporelle, me coupe-t-il. Elle m'a donné accès à nos moments forts, il y a quelques semaines. Depuis, je ne démords pas – même en ayant conscience de l'ampleur de ma future souffrance. Vous me briserez le cœur, pas vrai ?

— Je... Ça ne fait pas partie de mes ambitions.

— Je vous aurais fui si vous aviez affirmé le contraire, plaisante-t-il.

En vain. Je m'enferme dans un mutisme, désireuse de quitter la soirée.

Afin de m'éclipser, je prétexte vouloir me rafraîchir aux petits coins. J'ai conscience de changer le cours des choses, mais c'est plus fort que moi. Ça ne doit pas se passer ainsi.

Sur le perron du manoir, Côme me stoppe dans ma lancée. L'alcool semble l'avoir émoustillé... Ou bien ce sont les dessous de la jeune femme qu'il vient d'escorter hors des toilettes.

— Lâche-moi, lui ordonné-je.

Sa poigne relâche mon avant-bras. De nouveau, une peine incommensurable m'étreint. Comment ai-je pu être aussi stupide ? Côme est un homme à femmes, je l'ai toujours su. Le terme « engagement » lui est étranger.

— J'ai cru, ne serait-ce que l'espace d'une journée, que tu me serais fidèle, susurré-je sur un ton qui se veut platonique.

Or, la rancœur transparaît nettement dans ma voix.

— J'ai ce pincement au cœur dès que tu te trouves dans les parages... C'est comme s'il me chuchotait : « Ne sois pas naïve, tu sais qu'il n'est bon qu'à te faire du mal ».

— Je ne contrôle rien, Shalta. Et puis le moment qu'on a partagé hier soir n'inclue pas qu'on soit en couple aujourd'hui.

— Comment est-ce que tu oses dire ça ?

— Écoute...

— Non, le coupé-je aussitôt. Toi, écoute-moi. C'est fini, tout ça. Tu me veux, tu me repousses. Tu reviens, tu tires ton coup, puis tu me laisses tes poèmes sur la table de chevet. Tu penses que je te suis acquise ?

— On pourrait en discuter plus tard, au calme ?

J'expire un grand coup. Je cache mon visage dans mes mains, un sanglot retenu au bord des lèvres.

Puis je réalise. Ce sont les personnes telles que Côme qui me feraient perdre de mes éclats. S'il décelait une nouvelle brèche dans mon cœur, si je lui en laissais l'accès, alors je courrais assurément à ma perte.

Je le laisserais empiéter sur mon moi intérieur. Sans pitié, il s'assiérait sur mes rêves. J'en serais réduite à une représentation, un pantin, un pot de fleurs dans une pièce d'intérieur – vide. Vide de vie, d'ambitions, de folie.

Il paraît que le destin fait toujours en sorte de nous éloigner des mauvaises personnes ou, plus particulièrement, de celles qui ne nous correspondent pas. Si nous ne sommes pas attentifs à cela, alors il est inévitable de continuer à souffrir, faute de reproduire les mêmes erreurs.

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