— Je n'aurais jamais cru dire ça un jour, mais... je comprends le point de vue d'Amélia, dit Lily.
Hugo la regarda avec une totale incompréhension, et elle continua :
— C'est son père, non ? Au fond d'elle, qu'elle veuille bien l'admettre ou non, elle tient à lui : alors c'est normal qu'elle ne veuille pas qu'il meurt.
— Mais il a essayé de nous tuer, dit Hugo avec colère.
— J'ai remarqué, figure-toi, répliqua Lily en levant les yeux au ciel. Et je ne pense pas qu'Amélia lui a pardonné aussi facilement que tu le crois. Je pense juste qu'elle veut qu'on ait l'avantage sur lui et qu'on le batte, mais sans causer sa mort pour autant. Elle veut lui laisser une chance de rédemption.
— Quand on sera en pleine bataille, ça m'étonnerait que nous ayons le choix de le laisser tranquillement vivre, fit remarquer Hugo.
— Ça ne nous regardera peut-être pas, dit Lily en haussant les épaules. Je crois que tu devrais arrêter de te prendre la tête avec ça : ce n'est pas forcément à toi de t'occuper du père d'Amélia. Je pense qu'elle attend de toi que tu l'épargnes parce qu'elle te considère comme son ami, et que, généralement, nos amis ne tuent pas nos parents. Mais si quelqu'un d'autre venait à tuer son père, elle ne rejetterait pas la responsabilité sur toi.
— Donc tu penses que j'ai eu tort de me fâcher contre elle ? demanda Hugo d'un air sombre.
— Mais non, dit Lily pour rassurer son cousin. Tu n'as pas à te reprocher quoi que ce soit, tu as bien fait de dire ce que tu ressentais vraiment. Si Amélia est vraiment ton amie, tu ne devrais jamais avoir à changer ce que tu es avec elle, ou à te reprocher de ressentir certaines émotions. Essayez juste de reparler de tout ça quand vous aurez tous les deux eu le temps d'y réfléchir au calme, et je suis sûre que vous parviendrez à arranger les choses entre vous.
— Si tu le dis, soupira Hugo en se tassant sur la banquette du train.
Ils étaient dans le Poudlard Express, en route pour retourner dans leur école. Roxanne était avec eux et Hugo venait de leur raconter sa conversation avec Amélia à toutes les deux.
Roxanne jeta un regard un peu perdu à Lily. Elle s'inquiétait probablement pour Hugo et ne savait pas quoi faire pour lui remonter le moral. Lily ne le savait pas non plus, mais quelque chose lui disait qu'elle ne pouvait rien faire pour le moment. Parfois, la meilleure façon d'aider quelqu'un à aller mieux, c'était de le laisser tranquille.
Lily se massa les côtes, qui lui faisaient encore mal même si ça allait mieux depuis quelques jours grâce à une potion qu'elle prenait régulièrement pour ressouder ses os. En revanche, son dos avait encore une couleur violacée suite à sa chute sur la glace. Elle avait essayé de se soigner avec des sorts qu'elle connaissait, mais elle n'arrivait pas à atteindre son dos sans se faire mal aux côtes. Comme elle n'osait pas demander de l'aide à quelqu'un, elle avait préféré laisser la douleur passer petit à petit. Mais Lily avait quand même l'impression d'aller bien mieux que son cousin, qui avait toujours les traces de doigts du vampire qui avait essayé de l'étrangler autour du cou, et les marques de ses griffes. Elle se demandait encore comment il avait pu survivre à ça : les vampires avaient beaucoup plus de force que les humains, c'était donc un miracle que Hugo ait tenu le coup aussi longtemps.
Suite à ce qui leur était arrivé, ils avaient eu la visite de tous les membres de leur famille dans les jours suivants, qui s'inquiétaient tous pour eux. Ils avaient fêté le nouvel an tous ensemble, mais sans grand enthousiasme. Lily avait gardé Milly avec elle sous l'œil attentif de Teddy pendant presque toute la soirée, la douceur de la petite fille lui réchauffant plus le cœur que n'importe quoi d'autre.
— Vous voulez faire un jeu de cartes ? proposa Roxanne pour remonter le moral de Hugo.
Celui-ci avait toujours l'air abattu, mais il accepta quand même, probablement plus pour faire plaisir à Roxanne qu'à lui-même. Lily préféra les regarder jouer en s'appuyant contre la fenêtre. Elle essayait en permanence de chasser de sa tête le souvenir de quand elle avait été coincée sous la glace de l'étang : elle avait ressenti la même sensation d'enfermement qui la terrifiait, et elle s'était sentie paralysée par le froid. Encore maintenant, elle se demandait comment elle avait réussi à s'en sortir. Elle se souvenait qu'elle avait commencé à perdre connaissance alors qu'elle tentait de briser la glace avec ses poings au-dessus d'elle. Mais elle avait pensé à son père, son oncle et Hugo, qui étaient en train de combattre les vampires et qui pouvaient être en danger. Et, curieusement, elle avait aussi repensé à sa conversation avec Lorcan lorsqu'ils étaient sur la Salle sur Demande, où il s'inquiétait de la voir partir. Elle ne pouvait pas lui faire le coup de ne pas revenir après lui avoir promis qu'elle serait prudente ! Elle avait donc rassemblé le peu d'énergie qui lui restait et pointé sa baguette vers la glace au-dessus d'elle. Le reste, elle l'avait fait en n'ayant qu'une idée en tête : sauver son cousin, son père et son oncle.
Dehors, il pleuvait des cordes, ce qui aurait pu encore plus la déprimer. Pourtant, pour la première fois depuis qu'ils s'étaient fait attaquer, Lily avait l'impression de se sentir bien. L'idée de bientôt revoir Elizabeth, Lysander, et surtout Lorcan lui remontait le moral. Elle jeta un coup d'œil à Roxanne, qui venait miraculeusement de réussir à faire rire Hugo. Avec sa cousine, elles avaient pu discuter quelques jours avant Noël. Roxanne était déprimée car Loran ne lui accordait toujours pas d'attention, et elle pensait qu'il était toujours amoureux de Lily.
— Lily, est-ce que tu peux être honnête avec moi ? lui avait-elle demandé d'un air triste. Si je n'avais pas été amoureuse de Loran, est-ce que tu aurais fini par accepter de sortir avec lui ?
Ce à quoi Lily avait directement répondu « non ». Roxanne avait paru étonnée par sa spontanéité et lui avait demandé pourquoi. Mais elle n'avait pas paru satisfaite de la réponse que Lily lui avait donnée, à savoir qu'elle n'avait jamais rien ressenti pour Loran. Selon Roxanne, elle aurait pu quand même essayer de sortir avec lui une fois, au moins pour qu'il la laisse tranquille après. Lily s'était alors décidée à avouer à sa cousine qu'elle était amoureuse de quelqu'un d'autre, et il ne lui avait pas fallu longtemps pour deviner de qui il s'agissait. Roxanne était donc désormais au courant qu'elle sortait avec Lorcan, mais elle avait promis de ne rien à dire à personne. En revanche, Lily espérait que ça ne dérangerait pas Lorcan qu'elle ait dit la vérité à sa cousine sans lui demander son avis d'abord...
Toujours était-il que Lily en avait assez que Loran ignore sa cousine alors qu'elle était follement amoureuse de lui. Elle avait envie d'aller le secouer par les épaules et de le planter devant Roxanne pour qu'il se rende compte que c'était une fille super et qu'il devrait s'intéresser à elle. Mais bien sûr, si elle avait fait ça, elle aurait probablement plus traumatisé le pauvre garçon qu'autre chose.
Puisque c'était l'hiver, la nuit tomba très tôt et le train roula encore plusieurs heures dans le noir avant d'arriver en gare. Lily, Hugo et Roxanne coururent sous la pluie pour regagner les diligences les conduisant jusqu'au château. Ils y retrouvèrent Aloys et Henry, qui remarquèrent aussitôt les traces autour du cou de Hugo. Ils leur racontèrent brièvement ce qui leur était arrivé pendant les vacances, et les deux garçons eurent l'air épouvantés. Heureusement, ils parurent comprendre que Hugo et Lily n'avaient aucune envie de parler de ça pour le moment, et ils essayèrent de trouver un autre sujet de conversation plus joyeux.
Arrivés au pied des marches du château, Lily descendit la première de la diligence. Avec la pluie qui tombait, elle fut surprise de voir qu'il y avait des gens qui attendaient dehors, devant les portes du château. Pourtant, il ne lui fallut que quelques secondes pour reconnaître ces trois silhouettes : Lorcan, Lysander et Elizabeth. Dès qu'ils la virent de loin, ils se précipitèrent dans leur direction. Sans avoir eu le temps de réagir, Lily se retrouva dans les bras de Lorcan. Enfin, elle n'avait pas pu voir s'il s'agissait de lui puisqu'ils étaient tous les trois encapuchonnés, mais elle aurait reconnu son odeur entre mille. Elle voulut lui dire qu'il lui avait manqué, mais à la place, elle ne parvint qu'à souffler :
— Lorcan, tu me fais mal.
Il la lâcha aussitôt et recula d'un air horrifié. Lily se massa les côtes en grimaçant, s'en voulant de n'avoir rien trouvé de mieux à lui dire pour leurs retrouvailles. Derrière elle, les autres venaient de descendre de la diligence à leur tour, et la voix d'Elizabeth s'éleva par-dessus le bruit de la pluie :
— Qu'est-ce qui s'est passé ? Lucy nous a dit que vous aviez été attaqués ! Nous étions morts d'inquiétude !
— On devrait peut-être parler de ça à un autre endroit, marmonna Hugo en rabattant sa capuche sur sa tête. Au coin du feu de la salle commune, par exemple.
Lily acquiesça vivement, impatiente de se retrouver bien au chaud dans le château. Ils se dépêchèrent donc d'aller à l'intérieur, n'ayant pas de bagages à porter : Lily avait laissé Merlin et Simba à Poudlard pendant les vacances, confiant le soin à ses amis de s'occuper d'eux. Roxanne retrouva Miranda dans le hall et elles montèrent dans leur dortoir pour discuter une fois arrivées dans la tour des Gryffondor. De leur côté, Aloys et Henry allèrent également se réinstaller dans leur dortoir, laissant les cinq amis entre eux. Lily s'installa dans un canapé près de la cheminée, avec précaution pour ménager son dos. Hugo s'assit à côté d'elle et Simba bondit sur ses genoux en quémandant des caresses.
— Alors, qu'est-ce qui vous est arrivé ? répéta Elizabeth en enlevant sa cape pour la mettre à sécher devant le feu. Par Merlin, vous êtes dans un sale état...
— Qu'est-ce que tu as autour du cou, Hugo ? demanda Lysander en le regardant avec effroi.
Comme son cousin ne semblait pas encore assez remis de l'attaque pour en parler, ce fut Lily qui raconta à leurs amis ce qui leur était arrivé. Elle essaya de résumer la situation le plus simplement possible pour ne pas les inquiéter davantage, mais ce ne fut pas très efficace : ils semblaient toujours aussi angoissés qu'avant.
— Vous avez quitté la protection de chez vos grands-parents pendant à peine une heure, et vous vous êtes faits attaquer, conclut Lysander d'un ton presque écœuré. Et vous étiez avec vos pères en plus, les deux Aurors les plus qualifiés du pays !
— Si même eux n'ont pas réussi à tenir tête à trois vampires diurnes et un sorcier du côté de Ludwig, comment peut-on espérer prendre l'avantage face à lui ? demanda Elizabeth d'une voix désespérée en se laissant tomber dans un fauteuil.
— Je ne sais pas, dit Hugo avec détresse. Nous ne faisons clairement pas le poids face à eux. J'ai l'impression que tous les entraînements qu'on a faits n'ont servi à rien...
— Arrête de dire ça, intervint Lily. Ils nous ont pris par surprise, je te rappelle ! Ils avaient placé le Filet du diable avant qu'on arrive. Nous n'étions pas prêts à riposter, c'est tout. Mais la prochaine fois, on y arrivera !
— Et tu peux me dire comment ? demanda Hugo en se tournant vers elle, le visage sombre.
— Déjà, nous attaquerons les premiers, dit-elle avec le plus d'assurance possible. Même si nous serons sur leur territoire, nous serons prêts à les affronter : plus nombreux, plus préparés, plus forts. Nous devrons les combattre, quoi qu'il nous en coûte. Ils détiennent une centaine de personnes au moins, y compris des enfants ! On ne peut pas les abandonner.
— Lily a raison, dit Lorcan en fixant le sol d'un air grave. Ce n'est pas comme si nous avions le choix, de toute façon. Nous pouvons toujours nous entraîner pour gagner en force, mais en attendant, Ludwig fait la même chose. Plus on attend pour l'attaquer, plus il devient puissant. Si on veut le vaincre, ce ne sera pas en nous montrant plus forts que lui, mais plus malins. Il faut qu'on prenne l'avantage dès le début, comme Mr Coccada et les vampires diurnes l'ont fait avec vous quand ils vous ont attaqués.
— C'est comme les échecs, Hugo, ajouta Lily. Il faut partir avec une bonne stratégie et savoir où placer ses pions pour prendre l'avantage.
Pendant un moment, elle eut l'impression que le regard de son cousin s'était éclairé en l'entendant mentionner son jeu préféré. Mais il se renfrogna presque aussitôt et se leva en disant :
— Je ne pense pas que nous ayons un adversaire à notre taille, pour le coup.
Sur ce, il s'éloigna et monta dans son dortoir, les laissant tous les quatre.
— Il n'a vraiment pas l'air bien, fit remarquer Lysander d'un air inquiet.
— Je crois qu'il n'y a pas que l'attaque qui l'a bouleversé, expliqua Lily. Amélia l'a contacté juste après et ils se sont un peu disputés.
Devant les regards interrogateurs de ses amis, elle leur raconta brièvement ce que son cousin lui avait dit, se doutant qu'il n'aurait pas envie d'en parler lui-même.
— Bon, globalement, c'était de mauvaises vacances, conclut Elizabeth en soupirant.
— Pour nous, en tout cas, admit Lily. Mais pour vous, ça s'est bien passé ?
— Ça peut aller, répondit Lysander d'un ton hésitant en jetant un regard à Lorcan.
Lily lui jeta un coup d'œil à son tour et s'aperçut qu'il semblait délibérément éviter son regard. Elle sentit son cœur se serrer, se demandant pourquoi il agissait ainsi.
— J'ai les ingrédients dont tu avais besoin pour tes potions, Lorcan, lui dit-elle en espérant qu'il la regarderait enfin en face si elle s'adressait directement à lui.
— Ah... merci, répondit-il simplement en continuant de fixer le tapis.
Lily ne put s'empêcher de jeter un regard paniqué à Lysander, espérant qu'il puisse lui indiquer ce qui arrivait à son frère. Il parut réfléchir quelques secondes, puis il tapota l'épaule d'Elizabeth à côté de lui :
— On devrait peut-être aller voir si Hugo va bien. Lily, tu n'as qu'à donner à Lorcan ses ingrédients, puis vous nous rejoignez dans notre dortoir, d'accord ?
— D'accord, dit-elle en le remerciant silencieusement du regard.
Elizabeth ne posa pas de questions et suivit Lysander, les laissant tous les deux. Il y avait quand même du monde dans la salle commune, donc Lily se leva et prit Lorcan par la main pour le tirer dans un coin à l'abri des regards et oreilles indiscrètes. Elle se tourna ensuite vers lui et demanda directement :
— Qu'est-ce qu'il y a ?
Lorcan fronça les sourcils en la regardant (enfin !) :
— Tu me poses vraiment la question ? Je viens d'apprendre que tu as failli mourir pendant les vacances. Comment voulais-tu que je réagisse ?
— Je suis désolée, dit Lily en se mordant les lèvres. Je sais que je t'avais dit que je serais prudente... je comprends que tu sois fâché.
— Ne t'excuse pas, tu n'y peux rien. Et ce n'est pas contre toi que je suis fâché, marmonna Lorcan. C'est contre ces Ludwig et tous ses partisans... et c'est surtout contre moi.
— Contre toi ? répéta Lily sans comprendre.
— Oui, dit-il d'un air soudain plus nerveux. Il y a des choses que j'aurais dû te dire avant que tu partes, mais que je n'ai pas eu le courage de faire. Et si tu n'étais pas revenue...
— Mais je suis là, maintenant, l'interrompit gentiment Lily. Et tu peux tout me dire.
Au lieu de lui répondre, Lorcan l'embrassa en la prenant doucement dans ses bras pour ne pas lui faire mal aux côtes. Lily se détendit et oublia pendant un moment qu'ils étaient dans la salle commune et qu'ils risquaient d'être vus par des élèves. Tout ce qui lui importait, c'était d'être à nouveau avec Lorcan.
Lorsqu'il s'écarta d'elle, il la regarda droit dans les yeux et lâcha :
— Je t'aime.
Lily sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine, et elle prit les mains de Lorcan dans les siennes tout en lui souriant.
— Moi aussi je t'aime, dit-elle sans le lâcher du regard.
Ils restèrent quelques secondes face-à-face, se tenant toujours les mains, jusqu'à ce que Lily se souvienne qu'ils étaient censés rejoindre leurs amis dans le dortoir des garçons.
— Je vais chercher tes ingrédients, dit-elle en se dirigeant vers les escaliers du dortoir des filles. Je te rejoins dans deux minutes !
Elle alla prendre dans sa valise un sac rempli de ce qu'elle avait acheté chez l'apothicaire sur le Chemin de Traverse, puis elle redescendit retrouver Lorcan. Il regardait toujours autour de lui d'un air inquiet, comme s'il avait peur que quelqu'un les ait vus s'embrasser.
— Il faudrait qu'on trouve un moyen de remonter le moral de Hugo, dit-elle en réfléchissant tandis qu'ils prenaient les escaliers vers le dortoir des garçons. C'est bientôt son anniversaire, peut-être qu'on pourrait lui trouver un cadeau un peu particulier ?
— La meilleure chose qu'on pourrait lui offrir, c'est de l'espoir, dit Lorcan d'un air sombre. Ou une bonne dose de confiance en lui pour qu'il n'ait plus peur d'affronter Ludwig.
Lily faillit trébucher sur une marche lorsqu'une idée lui traversa l'esprit.
— Une bonne dose de confiance, répéta-t-elle en écarquillant les yeux. Tu as raison ! Il faut montrer à Hugo qu'il n'y a pas de meilleur joueur d'échecs que lui !
— Euh... je ne vois pas trop quel est le rapport avec Ludwig, dit Lorcan en haussant un sourcil étonné. On ne va pas l'affronter autour d'une partie d'échecs, aux dernières nouvelles.
— C'est juste métaphorique, dit Lily avec un sourire en s'arrêtant devant la porte du dortoir. Il a dit tout à l'heure que Ludwig n'était pas un adversaire à notre taille, si on comparait notre combat face à lui à une partie d'échecs. Et si on montrait à Hugo qu'il peut être de taille face à lui ?
— Et comment est-ce qu'on peut faire ça ? demanda Lorcan d'un air toujours perdu.
— Que dirais-tu d'un tournoi d'échecs ? proposa Lily avec un grand sourire.
Elle vit le regard de Lorcan s'éclairer tandis qu'il comprenait son idée. Elle ouvrit alors la porte du dortoir tout en songeant qu'ils allaient avoir besoin de l'aide de leurs deux préfets préférés pour mettre leur plan à exécution.
Les cours reprirent dès le lendemain matin, et avec cela le train de vie habituel des élèves de Poudlard. Lily et Hugo n'avaient pas encore repris tous les entraînements qu'ils faisaient depuis le début de l'été, encore un peu fragilisés par leurs blessures. En revanche, ils avaient recommencé à s'exercer au plus de sortilèges possibles, même si Hugo semblait le faire sans grande conviction. Lily espérait vraiment que son plan pour lui remonter le moral allait marcher : Lysander et Elizabeth étaient allés demander l'autorisation à la directrice d'organiser un tournoi d'échecs au sein de l'école le week-end précédent son anniversaire, et celle-ci avait accepté en disant que ça permettrait d'égayer un peu la reprise des cours. Étant préfète-en-chef avec Lysander, Clary les aidait aussi à organiser l'événement tout en faisant en sorte que Hugo ne découvre pas ce qu'ils préparaient.
Le vendredi précédant le tournoi, tous les élèves de septième année avaient un rendez-vous individuel avec le directeur de leur maison pour parler de leur orientation. Lily put discuter de son projet avec le professeur Londubat, qui se montra très encourageant. En revanche, cela n'améliora pas l'humeur de Hugo : il avait son rendez-vous en fin de journée, et il en revint d'un air encore plus abattu qu'avant.
— Le seul point positif des vacances, c'est que ma mère n'a pas osé me harceler à nouveau de questions sur mes études à cause de l'attaque de Mr Coccada et des vampires, dit-il d'une voix maussade en sortant ses affaires de cours pour travailler. Franchement, je suis de plus en plus désespéré. Tout le monde semble savoir quoi faire l'an prochain, et moi j'en suis encore à me demander si j'ai bien fait de choisir de continuer les Soins aux Créatures Magiques, l'an dernier.
— Si ça peut te rassurer, je me pose souvent cette question aussi, soupira Lily en regardant son manuel qu'un Croup (une sorte de fox-terrier avec une queue fourchue) avait essayé de manger pendant leur dernier cours.
— Je pense que c'est une question générale pour tous ceux qui suivent les cours de Hagrid, ajouta Lorcan en grimaçant.
— Je me demande si les animaux ne sont pas plus nerveux que d'habitude à cause de la présence des vampires dans la forêt, fit remarquer Lysander. Quand il y avait Ella, ils étaient beaucoup plus agités aussi.
— Pareil lorsque c'est moi qui les approche, intervint Elizabeth. C'est pour ça que j'ai arrêté ce cours. Ce n'est pas très agréable de voir ceux dont on doit s'occuper s'enfuir lorsqu'on arrive... J'imagine que ça doit être pareil pour Agathe, la pauvre.
— Je crois qu'elle n'a pas choisi les Soins aux Créatures Magiques comme option, dit Lily en se souvenant qu'elle avait discuté de ça avec la jeune fille l'an dernier. À la place, elle a pris l'Etude des Moldus.
— C'est courageux de sa part, plaisanta Lorcan.
— Pourquoi ? lui demanda Elizabeth avec un air de défi. Tu as un problème avec les moldus ?
Comme ses parents étaient des moldus, elle le prenait souvent mal lorsque Lorcan critiquait leurs habitudes ou leurs façons de faire, même si c'était souvent pour plaisanter.
— Pas du tout, répondit-il d'un ton innocent. C'est juste que je n'aimerais pas avoir à les étudier pendant un cours...
Elizabeth le dévisageait toujours d'un air mécontent, donc il ajouta :
— Tu sais bien que je n'ai rien contre les moldus ! En fait, il n'y en a que trois que je connaisse personnellement, et ce sont tes parents et ton frère. Alors forcément, j'ai une bonne image d'eux. Je me rappelle que j'avais bien sympathisé avec ton petit frère pendant que Lysander et toi passiez votre temps à lire je-ne-sais-quoi.
— Ça me déprime de parler d'eux, dit Elizabeth d'un air sombre. Je ne les ai pas vus depuis une éternité...
— À la base, on essayait justement d'éviter une conversation déprimante, rappela Lorcan en fronçant les sourcils. Je suis à court d'idées pour vous remonter le moral, là. Lysander, on passe au plan ADTE ?
— Le quoi ? dit Hugo en le regardant avec incompréhension.
— Oui, on passe à ce plan-là, confirma Lysander en ignorant la question de Hugo.
Sur ces mots, il se leva en sortant des parchemins de son sac, puis il se dirigea vers le tableau d'affichage de la salle commune.
— Qu'est-ce qu'il fait ? demanda Hugo en le regardant placarder deux grands morceaux de parchemins dessus. Ne me dites pas que c'est une annonce pour une sortie à Pré-au-Lard ?
— Non, ce serait beaucoup trop dangereux, répondit Lily.
— Alors c'est pour les cours de transplanage de cette année ?
— Je ne crois pas qu'il y en aura, dit Lorcan d'un air déçu. J'ai posé la question au professeur Londubat, l'autre jour, et il m'a dit que la directrice trouvait cela trop risqué de lever le sortilège empêchant de transplaner dans la Grande Salle, même si ce n'est que pour une heure par semaine.
Lysander était en train de se rediriger vers eux tandis que les élèves allaient voir ce qu'il avait affiché avec curiosité.
— Tu ferais mieux d'aller voir, Hugo, dit-il en souriant. Je pense ça pourrait t'intéresser.
Comme les autres hochaient la tête, le garçon les regarda d'un air méfiant :
— Pourquoi j'ai l'impression d'être le seul à ne pas être au courant de quelque chose ?
— Parce que ce n'est pas une impression, rétorqua Lorcan en levant les yeux au ciel. Allez, va voir ce qui se passe !
Hugo se leva en leur jetant un regard interrogateur, puis il se fraya un chemin dans la foule jusqu'au tableau d'affichage.
— Donc le plan ADTE, ça voulait dire quoi exactement ? demanda Elizabeth en se tournant vers Lorcan et Lysander.
— Annonce Du Tournoi d'Échecs, répondit Lorcan avec un grand sourire.
— J'ai mis la liste de participants juste à côté, pour que tout le monde puisse s'inscrire, dit Lysander d'un air fier. On clôturera les inscriptions après le petit-déjeuner, demain, et le tournoi pourra commencer !
Lily s'aperçut que Hugo revenait déjà dans leur direction, ce qui la laissa supposer qu'il ne s'était pas inscrit.
— Tu ne vas quand même pas ne pas participer ? s'indigna-t-elle en le voyant se rasseoir sans un mot. Tu gagnerais haut la main ! Je te rappelle qu'il y a un sachet de Patacitrouilles en récompense, tu ne peux pas passer à côté de ça. Ce sont tes friandises préférées !
— Je ne pense pas que je peux gagner, répondit son cousin en haussant les épaules.
— Hugo, dit Lorcan d'un ton étrangement calme. Tu te souviens lorsque tu as dit que tu aimerais bien voir un Scroutt à pétard pour de vrai ? Jusque-là, je pensais que c'était la plus grande bêtise que tu n'aies jamais dite. Mais là, tu viens de battre ton record.
— Oui, c'est vrai, approuva Lily en regardant sévèrement son cousin. Si quelqu'un peut remporter ce tournoi, c'est toi !
— Pourquoi est-ce que vous voulez que je participe ? demanda Hugo d'un air agacé. Qu'est-ce que ça va m'apporter ?
— Un paquet de Patacitrouilles gratuit, premièrement, dit Lorcan d'un ton pragmatique.
— Ça te permettra aussi de te changer les idées et de t'amuser un peu, ajouta Elizabeth. Tu es l'ombre de toi-même depuis des jours, il est grand temps que tu retrouves de la pêche !
Hugo les regarda les uns après les autres d'un air maussade et marmonna :
— Je ne sais pas ce que vous cherchez à faire, mais je n'ai pas vraiment la tête à faire un tournoi d'échecs, pour le moment.
— Tu n'auras jamais la tête à ça, répliqua Elizabeth en se levant. Allez, tu vas t'inscrire. Je vais t'y traîner s'il le faut !
— Moi aussi, ajouta Lorcan. Je compte participer, de toute façon, histoire de voir si je suis vraiment mauvais ou si c'est toi qui es trop fort.
— Vous ne pouvez pas me forcer à écrire mon nom sur une feuille, dit Hugo avec un sourire en coin.
Le regard que lui lança Lorcan semblait affirmer le contraire.
— Je ne voulais pas en arriver là, mais tu ne me laisses pas le choix, soupira-t-il en cherchant quelque chose dans sa poche. Tu te souviens de la photo que j'ai prise de toi quand tu as perdu ta dent, l'an dernier ? Eh bien, sache que je suis prêt à la dévoiler au public si jamais tu refuses de t'inscrire.
Le visage de Hugo se peignit d'horreur et il balbutia :
— Tu n'oserais pas !
— Bien sûr que si, dit Lorcan avec un immense sourire. Je te conseille donc de me suivre jusqu'au tableau d'affichage, sinon je n'hésiterai pas à la mettre dessus.
Il commença à s'éloigner à reculons en montrant la photo en question à Hugo, un air malicieux au visage. Celui-ci soupira et finit par se lever à son tour :
— Je le déteste vraiment, parfois.
— Bienvenue au club, dit Elizabeth en les suivant d'un air enthousiaste.
Lysander et Lily restèrent tous les deux à leur table, s'étant déjà proposés pour être des arbitres pendant le tournoi plutôt que participants.
— L'état de Hugo est encore pire que je le croyais, s'il dit ne pas avoir la tête à jouer aux échecs, fit remarquer Lysander d'un air soucieux.
— Je me demande ce qui le tourmente vraiment, dit Lily d'un ton songeur. Il a failli mourir étranglé, c'est sûr que c'est traumatisant, mais je me demande si ce n'est pas sa conversation avec Amélia qui a empiré les choses.
— Ça l'a peut-être fait réaliser qu'une part de lui voulait vraiment tuer Mr Coccada, dit sombrement Lysander. Ce n'est pas facile de se dire qu'on va sûrement devenir un assassin.
Lily baissa les yeux sur son manuel de Soins aux Créatures Magiques et commença à tripoter sa plume nerveusement. Il y avait quelque chose qu'elle n'avait pas encore osé dire à qui que ce soit, mais elle savait que Lysander était le seul à avoir vécu une situation plutôt similaire à la sienne. Elle se décida donc à aborder le sujet avec lui pendant que leurs amis étaient rassemblés près du tableau d'affichage avec Roxanne et Miranda :
— Je crois que j'ai tué quelqu'un, murmura-t-elle.
Lysander releva la tête vers elle, sans la moindre trace de jugement dans son regard. Au contraire, il avait l'air compatissant :
— Quand vous étiez près de l'étang ?
— Oui, dit Lily d'une petite voix. J'ai envoyé une tornade d'eau et de glace sur le vampire qui essayait d'étrangler Hugo, et ça l'a projeté contre un arbre. Il y a eu un énorme craquement et après, il est resté complètement inerte. Je... je me demande si ce n'est pas sa colonne vertébrale qui s'est brisée.
— Tu sais que ce n'était pas de ta faute, pas vrai ? dit Lysander d'un air inquiet. Tu as sauvé la vie de Hugo, ainsi que celle de ton père et de ton oncle au passage. Tu as fait ce que tu avais à faire.
Un vague sourire apparut sur son visage et il ajouta :
— L'an dernier, quand un des vampires diurnes a tué son coéquipier parce que je l'avais mordu, tu as réussi à me convaincre que ce n'était pas de ma faute. Pour être honnête, ce qui s'est passé continue de me hanter, mais maintenant, je ne me sens plus coupable. Et toi aussi tu n'as pas à culpabiliser, parce que tu n'as jamais eu l'intention de tuer qui que ce soit. Tu t'es juste défendue et tu as protégé tes proches. Je pense que c'est de cette façon que ça se passera quand on sera prêts à affronter Ludwig. On ne peut pas s'en vouloir d'essayer de survivre.
— Tu as raison, dit Lily avec un hochement de tête. J'aurais toujours du mal à l'accepter, je pense, mais je pourrais me le pardonner si je sais qu'il n'y avait pas d'autres alternatives.
— Exactement, approuva Lysander. Et surtout, tu ne dois jamais te dire que cela fait de toi une mauvaise personne. Ce n'est pas parce que tu as été obligée d'agir d'une certaine manière à un moment donné que cela définit qui tu es. Nous sommes particulièrement bien placés pour le savoir, puisque nos parents ont tous été contraints de prendre des vies pendant la guerre contre Voldemort. Et pourtant, ils sont loin d'être des personnes abominables, au contraire.
— C'est vrai. J'aurais peut-être pu leur parler de ça, d'ailleurs, mais je n'ai pas osé pendant les vacances. Je pense que mon père se doute que le vampire que j'ai attaqué est mort, mais il ne m'a rien dit... En tout cas, je suis rassurée de voir que ça ne change pas l'opinion que tu as de moi.
— Il en faudrait bien plus que cela pour que ça arrive, lui dit Lysander en souriant. Tu resteras toujours l'une de mes meilleures amies. Et la meilleure petite amie dont je puisse rêver pour mon frère !
Lily n'eut pas le temps de lui répondre, les autres étant en train de revenir vers eux, mais elle lui sourit, touchée par sa remarque.
— Ça y est, nous sommes tous inscrits, déclara Lorcan en se rasseyant à sa place. Nous sommes prêts à nous battre pour gagner ce paquet de Patacitrouilles !
— Et les vingt points bonus accordés à la maison du vainqueur, ajouta Elizabeth.
— Moi, je participe seulement pour que mon honneur ne soit pas bafoué, marmonna Hugo en jetant un regard noir à Lorcan, même s'il avait l'air de meilleure humeur que tout à l'heure.
— Très bien, nous combattrons tous pour des causes différentes, dans ce cas, dit Lorcan d'un ton théâtral. Alors que le meilleur gagne !