1. Julien

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Julien Zorn se contemplait dans le miroir avec morosité. Il avait face à lui le reflet d’un jeune homme mince aux cheveux noirs et lisses et vêtu d’un élégant costume gris parfaitement ajusté. Un domestique avait accroché à son cou un nœud papillon orangé portant les armoiries de sa meute. La couleur chaude faisait ressortir la pâleur de sa peau et l’angoisse diffuse qui se devinait dans ses yeux cernés. 

Les doigts de Julien tremblaient légèrement le long de ses cuisses du fait de la fatigue. Il n’avait presque pas fermé l'œil de la nuit et avait passé la journée à déambuler dans sa chambre pour tenter de se calmer l’esprit. Au déjeuner, il s’était contenté de picorer quelques grains de riz, incapable d’avaler quoi que ce soit d’autre. Il le regrettait à présent et se demandait s’il n’allait pas devoir se précipiter aux toilettes pour rendre le maigre contenu de son estomac. 

Des coups discrets se firent entendre. La porte s’ouvrit dans son dos et le parquet craqua tandis qu’une femme entre deux âges s’avançait vers Julien sur ses talons hauts. Une bouffée familière de parfum fleuri enveloppa le jeune homme. 

— Tu es magnifique, mon chéri. Ton futur fiancé ne pourra que craquer en te voyant. 

Les mains douces d’Amandine Zorn se posèrent sur les épaules de son fils et elle l’embrassa sur la nuque. 

Julien tordit nerveusement ses doigts agités. Sa bouche s’ouvrit et se referma plusieurs fois comme celle d’un poisson hors de l'eau tandis qu’il hésitait à s’exprimer. Il prit une profonde inspiration pour se donner du courage. 

— Maman, finit-il par marmonner en évitant le regard de sa mère dans la glace. Suis-je réellement obligé d’épouser ce Patrick Reich ? Je ne le connais même pas. 

Son ventre se noua comme à chaque fois depuis quelques jours que ce nom était mentionné et il inspira péniblement une nouvelle gorgée d’air, au bord de la panique. 

Amandine soupira et accentua son étreinte. Ses bracelets tintèrent en se heurtant. Elle portait elle-même une robe bleu nuit qui mettait en valeur sa silhouette élancée. 

— J’ai bien peur que oui, mon petit. Tu es notre enfant unique et ta condition d’oméga t’empêche de prendre la relève de ton père en tant que chef de la meute Zorn. Seul ton conjoint puis ton fils aîné alpha pourront revendiquer ce droit. 

Julien fit une petite moue. Sa naissance avait été difficile et sa mère n’avait jamais pu avoir un autre enfant, au grand chagrin de son père qui avait dû renoncer à son héritier. Tout son espoir se plaçait à présent dans les petits-enfants que son fils mettrait au monde. Certains omégas mâles étaient capables de porter des enfants s’ils étaient fécondés par un autre homme et des examens médicaux avaient révélé que Julien faisait partie de ces derniers. Cette information avait aussitôt propulsé le jeune homme au rang d’excellent parti et de fils à marier au plus vite. Les Zorn composaient l’une des meutes les plus importantes d’Alsace mais leur influence était contrebalancée par la famille des Müllenheim. Ces derniers étaient les pires ennemis des Zorn en raison d’une antique querelle (dont plus personne ne connaissait par ailleurs la cause) et les deux meutes ne cessaient de s’affronter. Julien ne s’intéressait pas beaucoup à cette inimité et se contentait d’éviter les Müllenheim autant que possible. Contrairement aux alphas toujours prompts à se battre, il n’avait aucun goût pour la violence et tenait à sa tranquilité. 

Amandine conduisit doucement son fils vers le lit à baldaquins que ce dernier avait surchargé de guirlandes argentées de Noël et s’assit à ses côtés. 

— Mon chéri, je ne connaissais pas non plus ton père avant nos fiançailles et je n’étais pas le moins du monde amoureuse de lui le jour de notre union. Cela ne m’a pas empêchée de tomber très vite sous son charme, d’être heureuse à ses côtés et de mettre au monde un merveilleux petit garçon. 

Elle caressa la joue de son fils avec affection et un mince sourire étira les lèvres du jeune homme. Julien aimait ses parents et savait que ces derniers ne souhaitaient pour lui que le meilleur. Il n’empêchait que ce mariage arrangé ne l’enthousiasmait pas le moins du monde. Selon les recherches qu’il avait menées sur internet, Patrick Reich était un homme d’affaires sérieux et très occupé qui travaillait avec le père de Julien. Il avait six ans de plus que lui et était le fils cadet du chef d’une meute alliée. Sans être laid, il semblait sec et froid et ne ressemblait pas à l’idée que l’on pouvait se faire du prince charmant idéal. 

Julien n’avait que dix-sept ans et ne se sentait pas encore prêt à s’engager pour la vie avec un inconnu plus âgé, à quitter la maison de ses parents ou à porter des enfants. Il ignorait tout de l’amour et n’avait jamais eu de petit-ami. Sa famille le surveillait sans doute de bien trop prêt pour qu’une quelconque personne ose s’approcher de lui à moins d’un mètre. Le petit oméga, de toute façon, n’avait jamais senti son cœur s’emballer pour quiconque et se demandait parfois s’il était normal et serait un jour capable de ressentir la passion dont faisaient preuve les couples des films ou des romans qu’il dévorait. 

— Et si lui ne m’aime pas ? s'inquiéta le jeune homme. Il va sans doute me trouver trop maigre ou trop quelconque. 

Certains omégas étaient réputés et convoités pour leur beauté presque féminine. Julien se trouvait pour sa part assez banal. Il aimait porter ses cheveux courts pour se dispenser de se coiffer et ne se préoccupait pas vraiment de la façon dont il s’habillait. 

— Personne ne pourrait jamais trouver mon adorable bébé “quelconque”, s’indigna Amandine. Regarde-toi ! 

Elle tourna à nouveau le buste de l’oméga en direction du miroir et Julien croisa à nouveau brièvement son reflet avant de baisser les yeux. 

Sa mère lui caressa les cheveux. 

— Il te manque encore un petit quelque chose pour être parfait. 

Elle fouilla dans un petit sac en perles et sortit une pochette en velours qu’elle ouvrit. Une unique boucle d’oreille en or de forme annulaire s’y trouvait. 

— Ma mère me l’avait remise le jour de mes fiançailles, expliqua-t-elle. Je veux que cette boucle soit toi à présent. Elle te portera chance. 

Julien sortit le bijou et le posa sur sa paume pour l’admirer, effleurant du bout des doigts le métal étincelant. Il serra sa mère dans ses bras. 

— Merci Maman. Elle est magnifique ! 

Il laissa sa mère la lui accrocher à l’oreille gauche et se sentit curieusement consolé par le poids qui lui tiraillait à présent légèrement le lobe. 

La cloche de la cathédrale de Strasbourg sonna huit coups et Julien se tendit aussitôt. Sa mère lui prit doucement le bras.

— L’heure est venue, mon chéri. Tes invités nous attendent. Ton fiancé a très certainement hâte de te rencontrer. 

— Hm… 

Julien se sentait à nouveau nauséeux et aurait tout donné pour pouvoir retirer ce costume et ce nœud papillon qui l’étranglait pour se cacher dans son lit comme un enfant. Il s'agrippa à sa mère comme si sa vie en dépendait. 

Amandine lui serra le bras et lui adressa un sourire encourageant, les yeux brillants. 

— Mon fils, j’ai le sentiment que ton destin et l’amour t’attendent au bas des marches. 

Julien sourit tristement. Si seulement sa mère pouvait avoir raison ! 

Roméo et Julien (bxb) [terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant