No man's land

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La météo ne se montra pas clémente ce jour-là. Arrivé devant la porte du lieu du rendez-vous, le premier membre du groupe leva la tête vers le ciel en fermant son parapluie, comme pour vérifier les intempéries en direct. Quelques gouttes mouillèrent son visage. Rien de plus agréable pour celui qui craignait les bombes quelques mois plus tôt. Un sourire éclaira son visage inquiétant.

Il était seul, en avance, comme ce fut le cas durant toute la guerre. Il attendrait quinze minutes au plus et rentrerait chez lui si la réunion ne démarrait pas. Ce nouveau départ n'avait rien changé. Malgré la paix, ils avaient conservé leurs méthodes de résistants : « pas de nom » ; « pas de date » ; « pas d'attente prolongée » ; « pas de note ou de trace » ; « pas de délais » ; mais surtout « pas de pitié ni de mission suicide » : seuls comptaient le groupement et ses projets. La mort faisait potentiellement partie du pacte. Cette adresse qui n'était qu'un point de chute comme tant d'autres auparavant deviendrait le QG d'une organisation ultrapuissante.

Eugène Saint-Claude, alias Numéro 1, lui, le savait déjà. Son travail comme ses intuitions ne le trompaient jamais. Restait maintenant à écouter les deux autres.

À peine dix minutes plus tard il fut rejoint par ses camarades. Les trois fondateurs – Eugène Saint-Claude, Pierre Malacroix, Numéro 2, et Henri de la Fouasse, Numéro 3 – se retrouvèrent avec un immense plaisir. Malgré la paix revenue, l'ambiance était particulière. À peine sortis de la plus terrible des guerres, tandis que le peuple fêtait sa liberté retrouvée, ils décidèrent naturellement de s'enfoncer encore plus profondément dans le monde du secret. Il ne s'agissait évidemment pas d'un choix spontané, mais bien d'une évidence pour ces trois mystérieux personnages qui passaient dans l'histoire tels des ombres. Si la faucheuse emmenait les hommes, eux les sauveraient d'eux-mêmes. Ainsi, malgré l'aspect sacrificiel de cette nouvelle mission qu'ils s'imposaient, on sentit un sourire se dessiner. Ces trois cerveaux trépignaient d'impatience. Cela faisait des semaines qu'ils travaillaient.

Réfléchir et agir. Tel fut le socle de leurs ambitions. L'humanité en dépendait.

– Bonjour messieurs ! lança Numéro 1 en souriant. Installons-nous autour de cette table. Cet endroit est sommaire, pour ne pas dire précaire, j'en ai conscience, mais nous démarrons, annonça-t-il laconiquement.

Il y avait là trois chaises et une table surplombées d'une ampoule grésillante. Les regards se portèrent un instant sur l'environnement. Chacun semblait scanner les lieux sans émotion.

– Cela n'a pas d'importance, n'est-ce pas ?

Les deux autres hochèrent de la tête. Ils s'installèrent chacun à son tour en s'observant.

– Alors je lance le débat, fit Numéro 3 pour briser la glace. Les règles, voilà ce que nous devons fixer pour démarrer. À vous Numéro 1.

– Merci. Je commence d'ailleurs par valider la bonne compréhension de nos codes. Comme vous le savez depuis le début, je suis Numéro 1, vous, Pierre Malacroix, Numéro 2 et vous, Henri de la Fouasse, dit-il en désignant le dernier, Numéro 3. Aucune hiérarchie entre nous. Est-ce que c'est clair ?

– Oui, firent les deux autres.

– Nous rédigerons une charte prochainement, reprit Numéro 1. En attendant, nous conserverons nos habitudes de résistants. Pas de nom, pas de trace écrite sans code, aucun contact direct avec les actifs. Nous ne communiquerons qu'avec les « recruteurs » qui eux-mêmes ne travailleront pas plus de six mois avec nous. Ainsi nous resterons des fantômes. Il faudra apprendre cette charte par cœur, la réciter, l'habiter !

– J'approuve, dit Numéro 3. Avant de commencer à définir la stratégie et de lancer le recrutement, un point sur l'actualité s'impose. Agir pour agir n'aurait pas de sens, tout ce que nous ferons sera légitime. Qu'en dites-vous Numéro 2 ? Je crois que vous deviez nous faire une analyse de la situation.

Les Dr@konautesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant