7 - RAPH

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À peine a-t-elle passé la porte que je m'inquiète déjà. Ma carrière est entre ses doigts, je suis fini si mes supérieurs découvrent que je l'ai laissée s'enfuir. Allongé tout habillé, j'espère le sommeil, j'en ai besoin après la nuit écoulée. Tout ira mieux quand j'aurai dormi.

Son odeur sur les draps ne m'aide pas, son corps nu me hante. Je n'arrive pas à croire qu'elle se soit dévêtue devant moi et mon nom dans sa bouche me donne encore des frissons. Franck l'a-t-il prononcé alors qu'elle se dissimulait sur ma banquette ? Je ne crois pas.

Putain, l'amener ici n'était pas une bonne idée ! Je ne devrais pas vouloir la sauver. Mon pote aurait été plus malin, lui l'aurait amadouée pour mieux l'utiliser, il m'aurait conseillé de la suivre. J'hésite, elle est forcément déjà loin, je prendrais des risques pour rien. Si elle ne quitte pas la ville, je suis dans la merde !

Je la repère alors qu'elle monte dans un bus. Pour m'assurer qu'elle ne remarque pas ma présence, je roule à bonne distance. Le véhicule se dirige vers le centre au lieu de s'éloigner de la capitale. Je rage intérieurement, je savais qu'il ne fallait pas lui faire confiance. En périphérie de Paris, elle descend à l'angle d'une rue et je la vois pénétrer dans l'un de ces immeubles modernes entièrement vitrés.

Si je ne trouve pas à me garer, je vais la perdre !

Je roule plus lentement et remercie la providence en apercevant une petite berline rouge quitter son stationnement. C'est un homme d'un certain âge qui met un temps fou avant de s'extirper de son emplacement. J'ai envie de le faire à sa place et je grogne de frustration en manœuvrant à mon tour. Lorsque je passe enfin les portes coulissantes, je suis persuadé qu'elle m'a déjà semé. Je cours et me fige en entendant sa voix.

– Vous voulez dire qu'il n'a jamais travaillé dans le bâtiment ?

Elle est juste devant moi, penchée sur le comptoir d'un réceptionniste au visage vieillissant. Je fais un pas de côté, soulagé que ni l'un ni l'autre ne m'aient repéré.

– Puisque je vous le dis ! s'irrite l'homme dans son costume chic. Beaucoup traversent ce hall pour rejoindre l'avenue.

Elle porte les grosses lunettes que je lui ai dégotées et la capuche du sweat sur sa tête comme je le lui ai conseillé, mais ça m'agace de la voir prendre le risque d'être reconnue si près de l'aéroport. À quoi serviraient mes efforts si elle lève le masque à peine transformée ? Ne sait-elle pas que sa photo a déjà été largement diffusée ?

Dissimulé derrière un arbuste imposant dans un pot tout aussi énorme, j'observe les réactions du réceptionniste, priant pour qu'il ne l'ait pas reconnue, qu'il ignore son identité le plus longtemps possible.

– Ce qui signifie qu'il pourrait travailler n'importe où dans le quartier, insiste-t-elle dépitée.

En plus d'être un fantôme, son petit ami est un horrible menteur. Ça ne s'arrange pas !

– On dirait bien qu'il vous a bernés !

Le gars sourit fier de lui. Elle l'agace et il n'a pas conscience que le monde est à ses trousses. Je la vois réfléchir, regarder autour d'elle comme si elle pouvait sentir ma présence, la peine que j'éprouve pour sa situation. Ses cheveux courts mettent en valeur son visage, elle est magnifique et elle ne le sait même pas. Elle ne passera pas longtemps inaperçue, il est temps qu'elle s'éloigne d'ici. Mes suppliques silencieuses semblent fonctionner, car enfin elle se dirige vers la sortie.

Le reste de la matinée s'écoule à une lenteur improbable. Mon manque de sommeil me déclenche un mal de crâne carabiné, j'aurais besoin de repos, de paracétamol, je ne la quitte pas des yeux. Elle sillonne les rues alentour à la recherche d'un homme que j'imagine loin d'ici.

Ça me rend fou qu'elle prenne tant de risque pour le retrouver, pour des réponses qu'il n'est certainement pas prêt à lui donner. À chaque réceptionniste qu'elle interroge, je stresse davantage, je m'attends à voir les collègues débouler, à être piégé à ses côtés.

Après deux heures interminables, elle abandonne le quartier et je suis soulagé, mais ce n'est que de courte durée. J'ai deviné où elle se rend et je sais exactement ce qui nous y attend. L'équipe en faction est au bout de la rue et je pile avant qu'il ne soit trop tard.

Je n'avais jamais fait de créneau si rapidement ni introduit dans mon véhicule une personne de force sans ménagement. Mes gestes sont si brusques et inattendus qu'elle n'a pas le temps de réagir, mais elle a le réflexe de vérifier qu'on ne nous a pas remarqués.

– Qu'est-ce qui te prend ? grogne-t-elle, une fois que j'ai repris ma place derrière le volant.

Ses mains tremblent, son regard est affolé et ça ne me plaît pas d'en être responsable. Je ne souhaite pas l'effrayer, mais je n'ai pas le choix.

– Tu te jettes droit dans la gueule du loup et tu voudrais que je te laisse faire ? Deux gars en civil surveillent ton amie.

Elle se fige, elle a enfin saisi que ça ne sera pas si facile, pourtant, elle bloque sur ce que je fais ici :

– Tu m'as suivie ?

La colère dans ses yeux remplace la peur qu'a provoqué mon intervention. Elle est dissimulée entre les sièges comme la veille et je déteste qu'elle ne puisse pas s'installer convenablement. Il vaut mieux qu'elle ne soit pas repérée.

– Tu étais censée quitter la ville ! je riposte, m'emportant à mon tour.

Elle ne lâche rien.

– J'ai besoin de réponses, tu peux comprendre ça ?

– Parce que tu en as trouvé, peut-être ?

Je suis bien placé pour savoir que c'est plus compliqué qu'elle ne le croie. Quand une personne ne veut pas être retrouvée, il faut s'armer de patience et de temps, du temps qu'elle n'a pas. L'univers joue contre elle et elle semble enfin en avoir conscience. Un souffle de désespoir lui échappe et ses doigts ébouriffent ses cheveux bien trop courts.

– Non, mais mon amie est la seule qui puisse encore m'aider.

Sa voix est éraillée, ses mots sont à peine audibles, mais il réveille ma compassion. J'ignore pourquoi, je suis incapable de l'abandonner à son triste sort.

– Si je m'arrange pour que tu puisses lui parler, tu me promets de ne plus traîner dans le coin ?

Son sourire apparaît et il agit sur mon cœur. Il ne devrait pas avoir cet effet-là, je ne devrais pas m'apprêter à quitter ma voiture pour lui offrir ce qu'elle désire.

Les enfants tombés du nidOù les histoires vivent. Découvrez maintenant