Chapitre 30. Le véritable monstre

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Thyresias restait dos au sol, incapable de se lever. Il avait si peur, que son corps était comme soudé au plancher de la chapelle. Adam s'avançait vers lui, les babines retroussées. Il avait un regard enragé et une expression animale au visage. Une pulsion de mort s'était emparée de lui. Les humains lui avaient volé tous les êtres qu'il aimait, ainsi que ses espoirs. Ils le traquaient comme une bête après l'avoir banni, sans moyen de subsister. Toute sa vie, on a traité ceux de son espèce de monstre. Pourtant, c'est bien les humains qui ont tué ces enfants innocents. Ce sont aussi eux qui ont tout pris à sa mère, et dressé le chien qui avait tué Kita. Encore aujourd'hui, ils continuaient de lui arracher le peu de bonheur qu'il pouvait obtenir. Alors, Adam allait leur offrir ce qu'ils désiraient depuis toujours. Il allait leur donner raison. Il allait devenir un troll assoiffé de sang.

La créature leva son bras en l'air, les griffes sorties. Il s'apprêtait à abattre le sennothé à terre pour déchaîner sa colère. Pourtant, une force invisible le stoppa. Des petites mains venaient d'agripper sa poigne. Adam redressa ses oreilles de loup, son regard redevint normal. Quatre petites ombres s'accrochaient à lui, et le prenaient dans leurs bras. Il s'agissait des quatre orphelins.

— Tu es plus fort qu'eux, s'éleva la voix douce d'une fillette. Tu n'es pas un méchant. Ne deviens pas comme eux.

— Allons acheter des bonbons, chantonna une autre voix d'enfant. Tout à l'heure, tu as dit que tu nous emmènerais en manger pour la fête. Toi tu es gentil. Tu donnes des sourires, tu ne les prends pas.

— Les grandes personnes qui font des bobos aux autres sont nulles, ajouta une troisième voix enfantine. Les nuls ils ne savent pas être gentils. C'est pour ça que personne ne les aime. Mais toi, on t'aime.

Adam baissa sa main. Les quatre ombres lui montaient dessus comme des bébés koalas s'accrochant à leur mère. Il pensa que ces petits avaient raison. Il valait mieux que ça. Il ne céderait pas à la facilité en laissant sa colère et sa haine prendre le dessus. Se battre contre ses émotions négatives demandait beaucoup de courages. On lui avait toujours dépeint l'empathie comme une vertu réservée aux faibles d'esprit. Mais, quand il voyait Thyresias, il se disait que personne ne pouvait être aussi misérable que ça.

— Je suis peut-être un monstre, déclara Adam en toisant le sennothé. Mais moi j'ai un cœur capable d'aimer. Je prouverais à tous que vous aviez tort. Parce que je suis sûr qu'on peut régner sur un royaume sans utiliser la peur et la mort.

— Qu'est-ce que tu veux dire par là ? trembla Thyresias en rampant pour s'éloigner du troll.

— Un jour, ma famille récupérera Camelot. Je n'aurais besoin de rien faire pour cela. Parce que vous saurez très bien perdre la couronne sans moi. Vous êtes comme le serpent qui se mord la queue, et qui s'injecte son propre poison. Mais vous n'êtes pas un Ouroboros. Vous causerez votre propre perte à cause de votre haine et de votre cupidité.

Thyresias se mit à rire jaune. Adam se redressa, et poussa un grognement comme le tonnerre pour rappeler sa meute. Tous les Métamorphosis disparurent dans la forêt en reprenant des apparences de loups. Laissant les sennothés dans la chapelle, choqués.

La meute fit le voyage de retour vers Monmouth, accompagnée par Brûle-Charbon. Ils firent quelques arrêts en chemin pour permettre à l'étalon de manger un peu de lichen et de se reposer. Ils retrouvèrent la ville le lendemain de bonne heure. Adam se sentait épuisé par les derniers événements. Les enfants le hantaient encore, il déprimait de ne pas avoir pu les sauver. Une fois sa forme humaine retrouvée, il décida de rentrer dans la cité après avoir confié sa monture au relai. Dans son petit appartement, le troll s'écroula dans son lit pour dormir.

Ankrow : Le troll qui voulait être humain - Le prince déchuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant