Alceste n’a pas bougé d’un poil. Il fait semblant de dormir, mais j’ai noté ses mouvements de moustaches réguliers et ses oreilles en alerte, tantôt vers le bar de la cuisine américaine, tantôt vers la fenêtre qui ne filtre pas les bruits d’un Paris en éveil. Je l’ignore et remplis mon Alma adoré. Les clés, les lunettes noires d’assistante sérieuse, le stylo rouge-bimbo, le bloc-notes, la carte bleue (vivement la gold), la trousse de maquillage, le pass Navigo, le miroir, l’indispensable iPhone pour les sextos avec l’autre organe sur pattes, les cigarettes mentholées pour les pauses méritées : je suis parée.

J’enfile ma veste en cuir et mon écharpe anti-crève, j’évite soigneusement la mare de vomi que mes bottes supporteraient encore moins que mes pieds vernis et je souris en pensant que mon chat-roi se farcira l’odeur toute la journée. J’espère secrètement que cette punition – que je m’inflige aussi à moi-même, quand je retrouverai sa galette puante en rentrant ce soir – lui passera l’envie de recommencer. Le zouave a les narines fines. J’attrape en coup de vent mon parapluie anti-poils de fesses sur tignasse brushée, et je lui claque la porte de mes 30 m2 au nez.

Je quitte mon IIIe rassurant pour m’engouffrer dans un métro bondé, direction le XVIe chic. Mon casque audio vissé sur les oreilles, je m’isole au mieux de cette proximité écœurante de voix, de peaux et d’haleines. Je me plonge dans un roman de Sagan et dévore chaque ligne pour occulter le stress qui commence à prendre possession de moi. À peine calmée, je me redresse sur mes talons pour marcher jusqu’aux portes de mon destin. Je serre Sagan contre mon cœur pour me donner du courage et j’essaie de chanter à voix basse sur les notes de Céline Dion afin de réguler ma respiration qui s’emballe de seconde en seconde.

À l’accueil de la Tour – un desk circulaire imposant et tenu par deux créatures tout droit sorties de l’agence Élite – on m’envoie au septième. Vibrante d’impatience et d’anxiété, je monte et atterris dans un bureau immense, open-space quasi désert. Un type un peu bizarre, dégingandé, vient à mon secours.

– Hector Lape, du service marketing ! se présente-t-il en rejetant en arrière, dans un geste tout à fait loréalien, une mèche de cheveux décolorés.

Ses doigts longs et manucurés, son nœud pap’ style aristo décadent et sa façon de plisser le nez le trahissent immédiatement. « La fo-folle du service, oui ! » je songe en réfrénant un sourire.

– Tu es la nouvelle de la créa, c’est ça ? Le CDD de six mois alors qu’on est en pleine crise ? Félicitations ! Je te présente Andréas. Viens, on nous attend en salle de réu. Il manque encore du monde et certaines sont aux toilettes pour se refaire une beauté.

(Déjà à la coke à 9h du mat ?)

Andréas s’efface pour que je passe devant lui, et dans le couloir je sens son regard sur ma croupe venir compléter celui qui a précédemment balayé mon corps de la tête aux pieds. Même sans le dressing de mon idole de Sex and The City, j’ai dû réussir l’assemblage (ou l’emballage, comme on veut).

J’ôte mon cuir, que j’installe délicatement sur un dossier de siège, et pose mon postérieur sur la chaise qu’une quinquagénaire (de celle de la catégorie des frustrées vipères) – à la moue déjà inquisitrice – m’a montrée du doigt. J’observe discrètement la dizaine de personnes présentes et j’essaie de les deviner. C’est une de mes activités favorites : imaginer les personnalités et les vies qui se cachent derrière des apparences, des visages encore inconnus. Malheureusement, je suis coupée dans mon élan par le maître des lieux, Jean-Claude Viss, qui commence son brief matinal, visiblement agacé par l’absence d’une collaboratrice.

La retardataire n’est autre qu’Éléonore Wilde, directrice artistique que je dois seconder… Pas de bol. Pour le moment, on m’introduit à Barbara Carton, la quinqua défraîchie qui pue le café-clope et dont la figure ridée me donne envie de courir acheter une crème anti-âge. Je prie pour qu’Éléonore soit différente de cette directrice marketing et comme je l’ai rêvée : brillante, douce et féminine. C’est alors que déboule dans la salle une blonde aussi essoufflée que gênée mais d’une élégance à faire pâlir toutes les Barbara de ce monde. Perchée sur Stilettos et enroulée dans un trench, elle tente de s’en sortir en empruntant les yeux du chat dans Shrek. Jean-Claude Viss semble à la fois charmé et à bout de nerfs quand retentit – du fond de son sac à main – la Drôle de vie de Véronique Sanson. C’en est visiblement trop.

Il signale à celle qui ne peut être qu’Éléonore, mon Éléonore tant attendue, qu’elle devra se passer de mes services et que ce retard inexcusable sera sanctionné par mon affectation à une autre : Barbara. Je meurs. Je voudrais intervenir, me défendre, l’excuser elle, le supplier lui, mais bien sûr, je ravale ma frustration. Je me contente de jeter un sourire timide mais déjà complice à ce bout de femme au visage poupin. Elle bat des cils et se replonge, comme moi, dans son bloc-notes.

Alors que la réunion s’achève, j’emboîte le pas à Madame Carton, à regret, en me promettant que je trouverai le moyen de rejoindre Éléonore.

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