Le monde après

Chapitre 2 : le centre de tout

À peine était-elle sortie que plein d'émotions fusaient en moi. Je ne savais pas comment m'ajuster entre la peur, la colère, et l'envie de retrouver ma vie d'avant.

Ma vie d'avant... Pour pouvoir y revenir, il faudrait déjà que je m'en souvienne. Mais pour l'instant, ce travail me paraît bien trop conséquent pour être réalisé. La base d'une identité est le prénom. Si je ne sais même pas quel est le mien, comment vais-je pouvoir reconstituer mes souvenirs ? À supposé qu'ils m'appartiennent encore...

Dans ma réflexion, le mal de dos me reprend, plus intensément que précédemment. Je grimace de douleur, je titube légèrement vers un des quatre murs, me rattrapant d'un bras. J'essaye de me concentrer sur mon travail de restauration des souvenirs, sauf que la douleur s'intensifie encore. Je respire un coup. Est-ce que... ce serait associé à ma vie d'avant ?

Alors je décide de porter mon attention sur ce qu'il se passe maintenant. Je ne peux pas me rappeler de mon histoire, mais je peux choisir mes actions dans le présent, non ?

Je me dirige vers l'unique porte de la pièce, par laquelle est sortie la jeune fille de tout à l'heure. Je repense au prénom qu'elle se donne : Passeuse d'âmes. J'ai du mal à imaginer qu'elle ait choisi de faire de sa fonction son identité même. Si je me calquais sur cette façon, quel serait mon nom,
à moi ?

Mais pour le moment, je dois arrêter de réfléchir, parce que cela ne me mène nulle part. Je pense que franchir cette porte et avancer me serait plus utile. Alors je prends mon courage à deux mains et ouvre la porte d'un geste décidé.

J'observe, je cligne des yeux plusieurs fois, peut-être que j'ai mal vu. Mais au bout de ce que je pense être plusieurs minutes, je réalise enfin et je referme la porte violemment. Mon souffle se fait plus rapide et l'angoisse me prend. Je m'exclame à voix haute :

- Il n'y a rien ! Ma voix se brise en un ton désespéré.

J'essaye de rassembler mes esprits et de me calmer, mais comment faire quand on vient de s'apercevoir qu'autour de soi n'est que le vide ?

Qu'est-ce que je suis censée faire ?

Puis, je me souviens des paroles de Passeuse d'âmes : « Tu peux exister sans que quiconque ne t'ordonne d'exister autrement. ». Pour avancer dans ce nouveau monde, il faut le vouloir. Il faut construire les étapes soi-même. Si en paroles cela semble facile, les premières fois, ce n'est pas facile à effectuer...

Je pose mes paumes de main à plat sur la porte et me recentre le plus possible.

- Je veux... j'aimerais qu'en sortant, il y ait du vert partout. Des plantes magnifiques et variées, avec des arbres très grands. Les couleurs m'éblouiraient.

Je ferme les yeux, baisse la tête.

- Les animaux seraient partout et personne ne serait une menace pour personne. Tous sauraient... tous savent qu'ils sont enfant de la Nature et par ce fait, tous La respecte. Le soleil est haut dans le ciel, mais la chaleur n'est pas un problème, puisqu'aucune température extrême ne peut être ressentie.

Je rouvre les yeux et, bien plus déterminée que tout à l'heure, j'ouvre la porte d'un seul coup :

- C'est ce que je souhaite !

Et c'est ce que je vois. Un parfum très agréable vient s'immiscer dans les narines et mon moral remonte en flèche. Je souris instantanément.

C'est peut-être la seule chose dont je me souviens actuellement, mais j'adore la nature. J'aime encore plus les animaux. Voir les différentes espèces face à moi me fait ressentir le plus grand bonheur.

Je laisse tomber la pièce froide et vide derrière moi pour m'avancer vers cet nouvel univers. Il y a des lapins qui courent par-ci par-là, pas loin des poules picorent le sol à la recherche de nourriture. Et un peu plus loin, couché dans la semi-pénombre des arbres environnants, je remarque un renard couché.

Je me dirige vers lui. Il est seul. Sa fourrure rousse brille de mille feux. Je m'approche de lui prudemment.

- Hé, ça va ?

Au son de mes paroles, il lève la tête vers moi. Il a l'air de ne pas trop savoir quoi répondre. Maintenant proche de lui, je m'accroupis pour être à sa hauteur.

- Tout doux, tout va bien, je lui dis en lui caressant doucement la tête.

Il a l'air heureux. Je lui souris et me redemande des caresses.

- Allez, je te laisse tranquille maintenant, je lui dis en me levant.

Il se lève avec moi et curieusement, il marche avec moi. Quand je m'arrête pour lui tapoter la tête, il s'arrête, mais repart de plus belle quand je me remets à marcher. Je le questionne :

- Tu veux m'accompagner ?

En guise de réponse, il glapit joyeusement, me faisant comprendre qu'il veut rester avec moi.

- Ça marche, ça me va, je lui réponds.

Mon nouveau compagnon et moi marchons tranquillement ensemble. Je décide d'explorer en profondeur en me dirigeant vers ce que je pense être le nord. C'est ce que j'assume, mais je n'ai pas de boussole...

Une bonne heure s'est passée quand je tombe sur quelque chose de bien mystérieux : en plein milieu de la plaine fleurie se trouve une porte qui semble être lourde en métal. J'essaye de la contourner, chose qui est possible. Pourtant, cette porte m'intrigue. Je me demande pourquoi elle est là alors que JE suis censée décider de ce qui se trouve ici. Après l'avoir examiné en détail, et ayant réalisé que le gris est plutôt rouge très foncé, je me dis que je pourrai essayer de l'ouvrir. Au pire des cas, je n'y trouverais que du vide, non ?

Alors je l'ouvre, assez facilement. Je commence à m'engouffrer à l'intérieur. Le paysage détone complètement du mien : il est terne. Des gros nuages noirs dans le ciel menacent de lancer l'orage à tout instant.

Dans ma contemplation, j'entends les faibles glapissements de mon ami renard : je me retourne et constate qu'il fait face à la porte ouverte, mais n'ose pas venir.

- Viens, tu ne crains rien avec moi, je te le promets, je lui dis en lui tendant une main en me voulant bienveillante.

Mais il reste tout de même en retrait. Il recule un peu et je comprends qu'il ne viendra pas ici avec moi.

- Je reviendrai te voir ! je lui lance.

Dans un dernier au revoir, je laisse les jambes me porter dans cet nouvel univers. Je me demande bien ce que je vais y trouver.