Mais Iain ne pouvait s'empêcher de penser que les raisons – et bientôt les conséquences – étaient bien plus profondes et graves que cela. Car une fois qu'une population s'était fracturée en deux camps adverses capables de s'entretuer, il n'y avait plus de retour en arrière possible, ni de place pour un juste milieu ou une zone grise. Pour les Fils de la Terre, le simple fait d'être un Sorcier allait bientôt devenir synonyme de « mal » à éliminer, que vous adhériez à l'idéologie Sang-Pur ou non. Il y aurait d'un côté les gentils, de l'autre les méchants. Plus personne ne ferait attention au gros connard psychopathe qui se cacherait parmi les « bons ». Plus personne ne croirait que quelqu'un de bien puisse être du côté des « mauvais ». Chaque atrocité commise trouverait une justification par les membres de son camp, chaque dérapage serait imputé à celui de l'adversaire.

Ouais... Iain n'avait aucun mal à imaginer le royaume d'Hériale glisser vers ce putain de manichéisme primaire à la con qu'il exécrait. Et s'il avait autant le désir de se barrer, c'était parce qu'il n'avait pas envie d'y assister.

Bref.

Pour le moment, il devait se concentrer sur l'instant présent, même s'il ne savait pas vraiment s'il devait intervenir ou non.

— Les raclures de Sang-Purs vous informent que vous occupez illégalement un terrain privé, lança soudain une voix hautaine et dégoulinante de mépris au groupe de campeurs.

Iain se crispa, les poings serrés et la mâchoire contractée.

La femme qui avait prononcé cette phrase se tenait droite comme un piquet sur un majestueux cheval noir comme la nuit.

L'un des Fils de la Terre éclata d'un rire bruyant et incrédule suite à cette déclaration.

— Et alors ? rétorqua un autre membre du groupe. Même si c'était le cas, nous sommes dans la principauté de Guilaro. Le proprio est donc un Fils de la Terre qui vous emmerde sans doute bien profond.

Euh... Ouais... La remarque n'était pas très... fine, mais cela fit bien évidemment ricaner ses amis. La Sorcière – qui était déjà bien crispée – donna l'impression qu'on venait effectivement de lui enfoncer un deuxième balai dans... l'orifice sous-entendu par cette insulte.

— C'était le cas avant qu'il ne décide de participer aux échauffourées du port d'Hériali le mois dernier, expliqua placidement un autre Sorcier. Il vient d'être emprisonné pour meurtre et ses biens confisqués pour une durée indéterminée.

L'un des Fils de la Terre décida finalement de se relever pour les toiser.

— Encore une fois... et alors ?

— Alors, cette ordure à tuer mon frère ! cracha la Sorcière constipée. Ces terres me reviennent donc de droit !

Euh...

Un silence de plomb s'abattit sur la clairière. Tous les Fils de la Terre dévisageaient la furie hystérique bouche bée. Pour sa part, Iain se demandait même s'il ne venait pas d'halluciner.

Ouais... Il avait peut-être perdu plus de neurones qu'il ne l'imaginait...

— Vous êtes complètement folle, finit par siffler l'un des campeurs en écho à ses propres réflexions. Le roi et le gouvernement n'ont certainement pas approuvé cela ! Ces terres appartiennent aux Fils de la Terre et à la principauté de Guilaro. Alors, peu importe ce que vous a fait leur proprio !

Suite à cette tirade qui semblait à Iain bien plus logique, ce fut pourtant au tour de la peau de vache de ricaner.

— Le roi et le gouvernement ont d'autres choses à faire que de s'intéresser à ce qui se passe aussi loin de la capitale, vous ne croyez pas ? Sachez que ces terres jouxtent la frontières de Paat'Mafra et mes propres propriétés, poursuivit-elle sans attendre de réponse. Elles n'auraient jamais dues revenir à une vermine dans votre genre. D'ailleurs, c'est toute votre foutue principauté qui devrait être partagée entre les trois races pures du royaume d'Hériale ! En conséquence, je vous ordonne de quitter ma clairière sur le champ !

Ok... Cette vieille carne était complètement cinglée. Et sans doute dangereuse...

Iain ne devait pas être le seul à penser cela, car les Fils de la Terre bondirent sur leurs jambes et des racines commencèrent aussitôt à sortir du sol, menaçant les six cavaliers sans équivoque. Malheureusement, leurs adversaires semblaient n'avoir attendu que cela pour les attaquer.

Alors, lorsque des boules de feu apparurent dans les mains de deux des Sorciers, Iain sut ce qu'il devait faire et dans quel camp se ranger. Il était peut-être crevé et pas au max de ses capacités, mais il était l'un des Trois et surtout, suffisamment en colère contre la vieille folle pour être capable d'aider les Fils de la Terre. Ces derniers n'étaient certes pas parfaits et exempts de tous reproches, mais ils étaient quand même moins dégénérés que ceux qui se prenaient pour une « race » supérieure. Pas besoin de tergiverser.

Au moment où l'un des Sang-Purs envoyait sa boule de feu vers le plus âgé de ses adversaires, Iain répliqua immédiatement. Il utilisa sa magie de l'Air pour propulser une bourrasque de vent extrêmement puissante qui freina le projectile, avant de la retourner vers l'envoyeur. Elle atterrit juste devant les sabots de sa monture. En voyant l'herbe s'enflammer, la jument se cabra et fit lourdement basculer son cavalier sur le sol.

Pas mal pour une loque affamée... se congratula-t-il avec un petit sourire.

De plus, dans la confusion qui suivit, personne ne pensa à regarder dans sa direction. Mais le deuxième Sorcier capable de produire une boule de feu ne se laissa pas déstabiliser longtemps.

En le voyant préparer un nouveau projectile, Iain décida qu'il était temps pour lui de sortir de sa cachette et de plonger dans le feu de l'action. Il vérifia qu'il avait toujours ses dagues – qui lui seraient très utiles lorsque sa magie serait complètement épuisée – et s'apprêta à s'élancer dans la clairière.

Mais à peine sortait-il du couvert des arbres qu'une vive douleur à l'arrière du crâne le fit s'écrouler tête la première.

Et merde, songea-t-il en colère contre lui-même. Il n'avait pas pensé à surveiller ses arrières et s'était fait prendre à revers.

Refusant de se faire avoir si facilement, il puisa dans ses dernières forces pour tenter de se relever. Mais il n'en eut pas la force. Ses bras tremblèrent, puis finirent par céder.

Il eut juste le temps d'apercevoir de grosses bottes noires qui s'arrêtèrent devant son nez. Il se fit la réflexion qu'il avait sans doute affaire à un géant. Après cela, ce fut le trou noir.

****

ORCAM - Tome 3 : Printemps (version non-corrigée)Where stories live. Discover now