Le Pouvoir des Mots |Tome 1 : Aliénation|

•Chapitre 1•

Nous étions le jour J.

L'Apothéose.

Aliéna jetait un regard circonspect au miroir qui lui renvoyait une image qu'elle ne reconnaissait pas. D'ordinaire, à cette occasion, elle était simplement vêtue d'une toge bleu pastel, celle que portait les enfants. Mais cette année était particulière.

Elle allait passer le concours de Guide à la fin de l'année scolaire, alors elle serait placée au premier rang. L'Apothéose signifiait également « cérémonie de remise des résultats » pour l'examen inter-semestre, résultats qui étaient décisifs pour son avenir. Cette épreuve départageait tous les élèves scolarisés en dernière année à la prestigieuse Académie Véga : ceux qui réussissaient auraient l'incroyable opportunité de s'inscrire au concours pour le poste de Guide ; ceux qui échouaient seraient exclus de l'Académie.

Aliéna le savait, elle ne ferait pas partie de cette deuxième catégorie.

Alors cette année, et seulement celle-ci, elle portait une toge dorée. Ce n'était pas un simple tissu doré, enroulé autour du corps des étudiants. En fait, c'était une véritable œuvre d'art.

La toge d'Apollon était conçue pour irradier comme l'astre divin dans l'azur du ciel. Constituée d'une soie dorée épaisse, elle coulait sur l'épaule et le torse d'Aliéna comme une rivière de lumière. Partout étaient brodés au fil d'or des motifs divers et variés. Sur le pan qui s'étendait sur la poitrine de la jeune fille, la devise de Vitam était inscrite, parsemée de perles en cristal.

"Intelligence, valeur et vérité."

Ces trois mots avaient résonné si souvent dans ses oreilles qu'ils lui semblaient presque étrangers. Et aujourd'hui, fête nationale de Vitam, ne faisait pas exception.

C'était l'Apothéose.

Et personne ne savait ce que cela voulait dire. Les rues débordaient de gens heureux, de rires, de musique, les célébrations avaient lieu à tous les coins de rues ... On voyait même le visage du dirigeant de Vitam pour la seule fois de l'année ! Mais on ne savait pas qui il était, ce qu'il faisait à l'abri des vitres étincelantes du Bâtiment des Dieux ou ce qu'il voulait fêter avec la grandiose Apothéose annuelle.

Vitam ne jurait que par les qualités de chacun, par ce que chaque être pouvait fournir en force et en compétences. C'était ce qui faisait tourner la grande machine d'Olympia, cette capitale-pays qui bourdonnait tout au long de la journée. Le prestige du travail bien accompli, la reconnaissance publique... Il y avait des parts sombres dans tous ces projecteurs qu'on plaçait sur les méritants, des jalousies qui se créaient dans les esprits coincés dans l'ombre par la force des choses. Les humains avaient toujours tenté de résoudre les inégalités, et j'avais été témoin de leurs échecs, encore, et encore. Celui de Vitam n'était qu'un brin d'herbe dans un champ infini.

Au milieu de toute cette grandeur, le brouillard des secrets semblait détonner, en tous cas pour ceux qui le percevaient.

Aliéna réarrangea la toge sur son épaule droite dans un geste d'une précision chirurgicale. Placer le pli parfaitement selon les règles était un de ces tocs qu'elle avait développé pour ne pas être repérée. C'était son grand défi. Paraître conforme au chemin tracé pour elle, ne jamais s'emporter, toujours réussir.

On ne pouvait pas dire qu'elle y parvint mal.

Pour sublimer l'habit lumineux qui mettait en valeur sa peau légèrement mate, sa chevelure était rassemblée en une queue de cheval basse, légèrement décalée sur le côté. La coiffeuse avait torsadé ses cheveux depuis l'avant de sa tête et les deux mèches se rejoignaient au niveau de l'arrière de son crâne et s'enroulaient paresseusement autour de la fine tresse qui séparait le reste de ses longueurs. Certains de ses cheveux avaient aussi été recouverts de doré tandis que d'autres arboraient de minuscules perles nacrées. Ses belles ondulations accrochaient la lumière et la diffusaient dans le reste de la pièce comme des milliers de facettes réfléchissantes. De fins bijoux dorés s'incrustaient également parmi quelques torsades. Seulement quelques-unes, attention, il ne fallait pas empiéter sur l'espace dédié à la Couronne qu'elle porterait fièrement.