LE PAPILLON « LUCIENNE »

LE PAPILLON « LUCIENNE » Le témoignage désespéré d'un fils d'Alzheimer

LUCIENNE

Lundi 15 février 2010

Voir « partir » sa mère, sa maman, peu à peu, est une chose terrible. Cet après-midi, alors que j'expliquais à Lucienne (j'ai toujours appelé ma Mère ainsi, par amour, pour être plus près d'elle qui m'a toujours soutenu, défendu, sauvé probablement, dans ma vie difficile) quelque chose de très simple, elle est restée figée dans l'entrebâillement de la porte donnant dans le couloir, la main droite posée sur le loquet.

Elle ne comprenait pas ce que je lui disais et me regardait, immobile, toute petite et toute frêle, à cause de son ostéoporose, le regard vide, levé vers moi.

Tout à coup, je réalisai combien elle était devenue vieille, ma Lucienne. Des larmes me montaient aux yeux à toute vitesse, je les sentais gravir la pente légère en courant comme des folles. Je me détournai pour plier un papier administratif posé sur la table de la cuisine-salle à manger, pièce de vie de toute ancienne ferme saintongeaise (nous sommes en Haute-Gironde) devenue maison familiale sans plus aucune activité agricole.

Je pris mon souffle pour lui répéter ce que je venais de lui dire en parlant plus lentement :

-Oué-ouaye, s't'elle, asteur, jh'aicompris ! »

Et elle partit dans le couloir de son petit pas nerveux, après avoir fermé la porte derrière elle, pour aller aux toilettes, besoin qu'elle ressentait de plus en plus souvent.

Lucienne a réellement commencé son « départ » depuis deux ans environ. Elle, si dynamique, à l'esprit si vif, voire parfois malicieux et presque toujours gai, à la mémoire infaillible, a commencé à ne plus se souvenir des paroles, des conversations, passées depuis peu : quelques mois, quelques semaines, jours, ou même quelques minutes. Je pris donc pour elle un rendez-vous chez le neurologue à Blaye, petite ville ou plutôt gros bourg de sous-préfecture. Malgré la petite superficie de la commune, de nombreux médecins spécialistes s'y trouvent et de nombreux services médicaux et chirurgicaux dans l'hôpital local totalement rénové.Jusqu'à l'âge de quarante et un ans où j'ai été victime d'un grave accident qui me laissa handicapé, donc chômeur à vie (c'était le samedi 25 avril 1992 à midi), je ne prêtais aucune attention à cela. Depuis, oui, avec une grande intensité d'ailleurs.

Mais à cause de sa forte personnalité et de l'inconscience de son état, elle téléphona sans me prévenir afin d'annuler son rendez-vous de juin 2008. Elle ne me le dit que quelques jours plus tard, au cours d'une conversation.

Cependant, l'année suivante, je m'aperçus ou j'eus l'impression que sa mémoire avait encore décliné. Je lui en fis part en essayant d'être le plus diplomate possible. Mais comment être suffisamment souple et aimable pour annoncer une telle « chose » à sa mère. Malgré tout, je me lançai et elle convint du bien-fondé de ma remarque. J'en fus tout surpris et heureux à la fois, car elle accepta, avec les yeux rougis et la voix un peu étouffée, un nouveau rendez-vous avec le neurologue. Celui-ci fut donc pris pour trois mois plus tard, ce qui nous amena une fois encore au mois de juin de l'année 2009 cette fois-ci.

Après les tests de mémoire et autres d'usage, ce médecin spécialiste l'envoya passer un scanner à l'hôpital de Blaye. Celui-ci ne révéla rien de particulier, mais il prescrivit malgré tout à ma Mère un traitement « efficace » selon ses dires. Elle dut cependant l'arrêter deux ou trois mois après, car il provoquait chez elle une urticaire permanente et très virulente qui l'obligeait à se gratter violemment, parfois jusqu'au sang.

Aujourd'hui donc, ce 15 février 2010, je viens de prendre conscience que son état s'est aggravé. Je ne sais pas si c'est à cause de mon manque de sensibilité masculine (eussé-je été plus attentif en tant que femme ?), peut-être l'effet d'une certaine habitude (nous vivons ensemble avec mon père dans la même maison) ou encore à cause d'une certaine insouciance de ma part, mais j'aurais effectivement remarqué, maintenant que je focalise mon attention sur ce sujet, de plus en plus de petits problèmes de mémoire chez Lucienne.