Son contrat de trente heures par semaine, réparties sur six jours l'obligeait à travailler cinq heures par jour. Alors lorsque son service débutait à dix-huit heures, il n'était pas rentré chez lui avant au moins vingt-trois heures trente, du moins dans ses calculs.

Mais ça n'avait pas dérangé Aiden, qui avait immédiatement accepté l'offre, dont il avait besoin, il n'était pas le genre d'étudiant à faire la fête, ou même sortir tard le soir de toute manière. Le grisé restait dans le confort de sa chambre pour lire ou réviser, regarder des séries. Il n'aimait pas vraiment se mêler à la foule, les regards, ou chuchotements le gênant toujours.

La clientèle de la supérette, assez variée, demeurait tout de même en grande partie composée d'étudiants qui souhaitaient se nourrir sans se ruiner, rapidement après les cours ou avant une longue journée. Ainsi, certains visages croisés dans les couloirs pourraient sembler familiers à Aiden. Même si en général il n'y réfléchissait qu'un quart de seconde avant de passer à autre chose. Certains salariés des entreprises proches venaient aussi s'approvisionner en café et autres snacks classiques d'une journée en bureau.

Soupirant plutôt bruyamment dans le calme de l'endroit seulement perturbé par la musique d'ambiance terriblement répétitive et surtout bien trop faible pour être réellement écoutée, les doigts, parsemés de petites coupures superficielles du jeune homme tapotaient contre la tablette de sa caisse. L'horaire creux ne permettait pas vraiment au grisé d'avoir à s'occuper de clients, son regard absent se perdit sur la rue, la nuit tombant progressivement devant ses prunelles émeraudes, un soupçon d'ennui les habitant. Il préférait largement lorsque son patron le mettait en service entre dix heures et quinze heures, l'horaire était bien plus actif. S'il avait beau particulièrement rejeter toutes les occasions d'interagir avec la population en général, il détestait avoir cette impression de perdre son temps et d'être payé a compter le nombre de voitures rouges passant devant la vitrine.

Mais lorsqu'il n'avait pas cours, c'était son patron qui décidait de son emploi du temps, et l'étudiant n'avait pas vraiment son mot à dire. Finalement cela ne le gênait pas plus que cela, considérant sa paie plus élevée aux heures où le monde de la nuit s'éveillait. Avec la rentrée, son organisation allait devoir changer, notamment avec la reprise des cours. Mais il allait s'en sortir il le savait. Il en fallait plus pour le décourager. Et puis l'apprenti compositeur floral ne pouvait pas vraiment faire le difficile, il avait besoin de cette paie pour son loyer alors il taisait son ennui.

Les deux premières heures écoulées dans le silence du magasin, Aiden se redressa de sa position avachie sur son tabouret, en observant un groupe de jeunes étudiants entrer. Il sentit une fine douleur de cette vicieuse position, prendre place dans son dos et grogna entre ses dents. Ces nouveaux clients faisaient certainement partie de sa promo, vu leur âge. Remplissant leurs paniers de chips et snacks peu diététiques en tout genre, accompagnés de bouteilles d'alcool, facile pour le grisé de deviner qu'une petite soirée pour la fin de l'été était préparée.

Seulement quelque chose le perturbait. L'une des jeunes filles de ce petit troupeau lui semblait familière. Et ce doute, qui s'insinuait petit à petit et de plus en plus vivement dans l'esprit d'Aiden le mettait mal à l'aise. Mais pour comprendre que cette dernière était au collège avec lui, il lui fallut encore de longues secondes. Son cœur s'emballa immédiatement, résonnant presque violemment dans sa poitrine, si bien qu'il se demanda sincèrement si son anxiété était audible de l'extérieur.

De nombreuses questions inondèrent le cerveau du jeune homme, et mordillant nerveusement ses lèvres déjà abimées pour cette même raison, son pied se mit discrètement à tapoter contre le sol. Allait-elle le reconnaître, d'une certaine manière, malgré tous ses changements ? Lui qui était devenu bien plus confiant à la fin de toute cette transition doutait subitement de tout ce qu'il avait traversé et de l'image qu'il renvoyait.


Les pires des scénarios se déroulaient dans l'esprit tourmenté du jeune homme. Le petit groupe d'élèves tant redoutés par Aiden s'avança jusqu'à la caisse, la sienne, puisqu'il était seul dans ce magasin et ne pouvait y échapper. Une fois leurs produits étalés il s'efforça de maitriser ses tremblements tout en scannant les articles. Vérifiant leurs cartes d'identité pour l'achat d'alcool, le grisé leur annonça ensuite le total, se demandant immédiatement si le ton de sa voix ne sonnait pas étrange, si les mots n'étaient pas ressortis trop étranglés, aigus...

Attendant que le compte soit déposé face à lui, il détourna le regard prétendant s'occuper vaguement de quelque chose, n'espérant qu'une chose, qu'ils s'en aillent bien vite. Lui qui n'attendait qu'un peu d'action dans son service était servi.

Lorsque la voix de cette fameuse, et redoutée jeune fille retentit, il sentit presque son cœur rater un battement dans son rythme effréné.

-Ashley ?

Trop tard. Fichu. Un long frisson de dégoût prit possession de son corps, et un nœud se forma dans la gorge du jeune homme. Son dead name. Agréable quand le prénom Aiden était inscrit en gros sur son badge épinglé à son tablier. La voix tremblante, il s'efforça de garder son calme pour s'expliquer rapidement, sans croiser le regard de cette jeune fille.

"- Aiden.

-P-Pardon ?

-C'est Aiden..Maintenant.

-Oh...je ne savais pas que tu avais..

-Transitionné. Oui.

-Du coup...Enfin.. tu t'es fait opérer...?

Exactement le genre de questions qu'il détestait au plus haut point. En quoi ce genre de choses les regardaient...? Cependant, son ancienne camarade n'avait pas été haineuse, simplement indiscrète, alors il répondit le plus gentiment que son agacement et sa nervosité le lui rendaient possible.


"- Oui, j'ai fait les opérations. Mais j'aimerais que tu t'abstiennes..de poser ce genre de questions à l'avenir.

-O-Oh..Oh ...Désolée.. En tout cas tu es très...charmant..!


-Merci..

Au plus grand bonheur du garçon, le petit groupe d'étudiants soudainement bien silencieux, après leur arrivée en fanfare, s'en alla finalement après avoir réglé, le soulageant.


Venant lentement glisser sa main encore tremblante de cette interaction, contre son visage tendu, il frotta quelques longues secondes ses tempes, pour tenter d'effacer la tension, qu'il ressentait.

Et bien...ça s'était fait.  


[ Réécrit, corrigé et publié le 05/08/2021 ]

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