Midnight

Chapitre 1

6h30. Le soleil n'était pas encore levé. Je dormais profondément quand j'ai entendu mon téléphone vibrait. C'était ma tante Joanne. 

- Bon anniversaire ma chérie, encore quelques années et tu me rattrapes ! On t'embrasse.

Ah c'est vrai ! C'est aujourd'hui.. Mon 25ème anniversaire. J'avais imaginé ce jour différemment. Je m'étais toujours imaginé qu'à 25 ans je ferais le travail de mes rêves, peut-être à Londres, avec un amoureux et pleins d'amis pour fêter cette belle journée. Mais ce n'est pas le cas. Je vis toujours dans cette bonne vieille ville d'Aberdeen, ville morne et triste où il  ne se passe pas grand chose et accessoirement la ville qui a vu naitre Kurt Cobain. Malgré ce qu'on pourrait croire, je ne suis pas vraiment fan de Nirvana. Je n'ai pas de petit ami, je n'en ai jamais eu. Curieux à 25 ans n'est-ce pas ? J'imagine que la confiance en soi y fait beaucoup, et dans mon cas, j'ai longtemps pensé qu'aucun homme ne s'intéresserait à moi à cause de mon poids. L'important c'est le coeur me direz-vous, mais à l'heure des réseaux sociaux, le coeur passe au 2ème, voire 3ème plan. Je ne fais pas le travail de mes rêves. Je n'ai pas les moyens de me payer 4 années de fac donc au lieu d'enseigner, je suis secrétaire médicale dans un cabinet dentaire du centre de la ville. Quant aux amis, j'en avais à l'époque du lycée, mais la plupart sont partis continuer leur vie dans les grandes villes. Certains sont à Seattle, à New York, San Francisco, il y en a même une à Paris ! Pour ma part j'ai toujours rêvé de faire mes études à Londres. Mais, vous savez bien, pas le budget !

- Merci Joanne ! Je compte sur vous pour fêter ça. Embrasse les garçons. A bientôt j'espère. Alex.

Joanne est la soeur de ma mère. Elle habite à la Nouvelle-Orléans, d'où était originaire ma mère. Elle est mariée à un restaurateur avec qui elle a 2 enfants : Jackson et Jeremiah. La dernière fois que je les ai vu c'était à l'enterrement de ma mère, il y a 10 ans. On s'appelle de temps en temps mais j'ai pris la fâcheuse habitude de rester dans mon coin et de ne pas donner de nouvelles. Je pense que ma mère serait triste de ce comportement, mais je m'y suis habituée. Ça fait 10 ans que je me renferme sur moi-même par peur de laisser transparaitre ce qu'il se passe à la maison. Même si tout le monde est au courant, c'est un moyen de nous protéger. Je ne téléphone pas, je ne sors pas à part pour aller travailler. Même si j'ai désespérément envie que ça change.

Après avoir répondu à Joanne, je me débarbouille et descends dans la cuisine. Mon père est assis à table, ou plutôt endormi à table. Il a encore son blouson sur le dos et sa bouteille à la main. Je ne l'ai pas entendu rentrer. Je saisis la bouteille avant de vider le reste dans l'évier et de la jeter à la poubelle. 

- Papa ? Lève-toi, tu seras mieux dans ton lit.
- Laisse-moi, grogne-t-il.

Je mets son bras autour de mon cou et je l'amène dans sa chambre qui est, heureusement, au rez-de-chaussée. C'est mon petit rituel du matin. Entre la douche, le maquillage et le petit déjeuner, j'accompagne mon père ivre mort dans sa chambre. J'aimerais dire que c'est depuis la mort de Maman, ce qui expliquerait en parti son chagrin, mais la vérité c'est que ça dure depuis plus longtemps que ça. Je dirais que ça a commencé lorsque j'avais 7 ans. Je me rappelle vaguement des cris dans la nuit et des pleurs de Maman dans la salle de bain. Je me rappelle aussi qu'il me semblait qu'il dormait beaucoup. Au fur et à mesure que le temps passe, je comprends ce que Maman vivait. Je me suis toujours jurer de ne pas passer ma vie à le surveiller et rattraper ses erreurs, mais malheureusement, j'ai l'impression que je suis installée dans cette routine et partir me semble de plus en plus compliqué. La preuve est qu'aujourd'hui je ne travaille pas, mais je décide de rester à la maison. Au cas où. Je me déteste de penser comme ça mais c'est plus fort que moi. 

La journée passe plutôt vite. J'ai profité de mon jour de congés pour rattraper les tâches ménagères en retard, écouter un peu de musique et surtout me mettre à jour sur Netflix. Joyeux anniversaire Alexis ! 18h, mon père sort de sa chambre. Une vague de chaleur traverse mon corps. Le seul moment de tranquillité avec mon père c'est quand il dort. Sinon, il peut se passer n'importe quoi. Il se dirige vers la cuisine, évidemment. Il est encore saoul, c'est vous dire à quel point il avait bu. Je pense que la bouteille que j'ai jeté ce matin était la dernière d'une longue série. J'ai toujours eu l'habitude de noter son état sur 5. Là, on était sur un 3/5.
 

- On est quel jour ? demande-t-il en bafouillant.
- Le 4 septembre. 

Il s'arrête et me regarde confus. Puis repart en souriant.

- C'est ton anniversaire alors ? dit-il en ouvrant le frigo.

Je ne réponds pas. Je n'ai pas envie de lui parler. Je le sens moqueur. 

- T'as pas de gâteau ? dit-il avant de pouffer de rire. Ça te fera pas de mal !

J'avais l'habitude de ce genre de réflexion. J'avais beau avoir une estime de moi un peu bancale, ces remarques ne m'atteignaient pas. Avec le temps, j'ai compris que ce n'était pas lui qui parlait mais la douleur qu'il ressentait. Je ne lui en veux pas. Cela montre que je mûris car 4 ans en arrière j'aurais couru dans ma chambre et me serait endormi en pleurant. Cette fois-ci, je reste assise sur le canapé, je ne lui réponds pas et je me dis que de meilleurs jours arrivent... même si aujourd'hui était plutôt une bonne journée puisque mon père n'a rien fait que je doive rattraper. 

En m'allongeant dans mon lit, je repensais à la proposition que m'avait fait une collègue de travail 2 jours avant. Elle et ses amies ont prévu de manger ce soir dans un restaurant mexicain de la ville. Elle m'a proposé de les rejoindre pour fêter mon anniversaire tout en sachant que je dirais non car, vous savez bien, je ne sors pas. Elle m'a envoyé plusieurs messages dans la journée pour essayer de me convaincre de changer d'avis. Je crois qu'elle a réussi. Est-ce que j'ai vraiment envie de passer la soirée de mon 25ème anniversaire seule dans mon lit ? Non.

- Allô Laura ?
- J'espère que tu m'appelles pour me dire que t'es sur la route ?

Je souris.

- J'arrive.