Son héritage

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 - Encore ? Non, ça ne va pas, recommence.

Exténuée, Natasha accusait le regard lourd de sa gouvernante, avant d'ajuster son archer et de recommencer à nouveau ce mouvement complexe de violon qu'elle s'évertuait à travailler depuis une éternité. Un coup d'œil rapide à l'horloge en nacre lui indiquait pourtant qu'elle ne maniait son instrument que depuis deux heures. La jeune fille ne put retenir un léger soupir de désespoir, ce qui engendra une fausse note de plus.

- ASSEZ !

La gouvernante s'effondra sur le divan de cuir, exaspérée.

- Parfois, je me demande comment est-ce qu'une femme aussi respectable que votre mère peut gaspiller à ce point son temps en tentant de vous donner une éducation convenable. Si vous n'arrivez même pas à vous concentrer un tant soit peu sur ce mouvement, ça n'augure rien de bon pour votre avenir.

Natasha leva un sourcil dubitatif. D'accord, à peine sortie de l'enfance elle ne pouvait pas encore affirmer grand-chose sur son avenir, mais elle doutait de voir le rapport entre celui-ci et ce minuscule instrument. Elle reprit pourtant au début de la partition. Pas qu'elle aimait ça, mais ça ne lui avancerait à rien de parlementer avec cette femme désagréable. Elle continua donc à redoubler d'agilité pour tenter de maîtriser ce morceau, échoua une douzaine de fois de plus, et finit par perdre la bataille contre ses nerfs. Elle rangea son violon dans son écrin, et prit une grande inspiration.

- Et que pensez-vous faire ? Je vous rappelle que vous avez encore 1 heure 12 de violon avant d'avoir fini. Seule une incapable abandonnerait si tôt.
- J'en ai marre, je prends une pause.
- Excusez-moi ? Reprenez ce violon et recommencez. Nous n'avons pas de temps à perdre.

Le sang de la jeune fille ne fit qu'un tour. Elle qui avait peiné depuis le début de l'après-midi sans perdre son calme, finit par en avoir assez de se faire diriger.

- Je prends une pause. Laissez-moi tranquille maintenant.
- Vraiment ? Je suis sûre que votre mère appréciera de savoir votre manque d'entrain.
- Non, attendez, je...

« Trop tard... ». Natasha n'avait pas encore fini sa phrase, et la vieille femme était déjà dans le couloir. Lasse, elle s'apprêtait à recevoir le juron habituel de sa mère. Après tout, ce n'était pas qu'elle aimait la décevoir, elle faisait même de son mieux pour éviter tout reproche. Mais premièrement, elle était humaine, et adolescente de surcroît. Passer des journées à combler les lubies de perfection de sa mère était tout sauf une perspective enchanteresse. Et deuxièmement, le moment était mal choisi pour abuser de ses forces. Les derniers jours scolaires étaient assez éprouvants et la jeune fille était à bout de nerfs. La porte s'ouvrit avec fracas, laissant apparaître l'expression triomphante de la gouvernante.

- Madame Holder vous attend.

La tête basse, Natasha suivit son despote vers l'antre de la maîtresse des lieux. Celle-ci était assise à son bureau d'ébène, les jambes croisées, le soleil d'après-midi accentuant son charisme écrasant. Satisfaite, la gouvernante tourna les talons, la laissant seule à son sort.

- On me rapporte que vous refusez tout effort quant à l'éducation que je vous propose ?
- ...
- Vous savez pourtant qu'une noble se doit d'avoir une éducation irréprochable, que je m'évertue à vous donner tous les jours.
- ...
- Savez vous au moins combien coûte ce violon ? Tout ça pour que vous le dédaigniez ! Je parie que vous préféreriez sortir et vous complaire dans votre ignorance avec ces déchets que vous appelez ''amis'' ?
- ...
- Eh bien, je peux vous dire que ça ne se passera pas comme ça ! Je refuse que mon héritière souille mon nom à cause d'enfantillages.
- ...
- C'est tout ? Vous vous contenterez de rester silencieuse ? C'est là toute votre défense ?
- Je...
- Oui ?
- Je suis désolée. J'avais juste besoin d'une pause. Je travaillerais plus dur.
- C'est préférable ! Eh bien, comme vous montrez enfin un semblant de volonté, je vais pouvoir annoncer à votre gouvernante que vous n'aurez le droit de sortir que lorsqu'elle estimera que vous aurez assez travaillé.

Natasha sentit ses yeux se remplir de larmes. Tel qu'elle connaissait sa gouvernante, elle savait qu'elle en profiterait pour en exiger encore plus d'elle. L'occasion était trop belle de faire d'elle la fille parfaite que tout le monde voulait qu'elle soit. Et par conséquent, elle pouvait dire adieu à son week-end.

- Puis-je disposer ? Dit-elle avec la voix tremblante.
- Oui, j'en ai fini. Conviez-la lorsque vous sortirez.
- Bien.

Elle retint comme elle put ses larmes en passant le pas de la porte, exécutant au passage l'ordre donné par sa mère. Alors que la gouvernante entrait dans la grande pièce, Natasha courut vers les escaliers, laissant enfin exploser sa rage en un torrent de larmes. Elle s'élança vers son lit dans la ferme intention de pleurer tout son saoul. De toute façon, elle n'avait qu'approximativement une demi-heure devant elle, alors autant l'utiliser comme elle le voulait.

- Tout va bien Natasha ?

La jeune fille se retourna, reconnaissant cette voix entre mille.

- Mamie !
- Ouh là, ça n'a pas l'air d'aller du tout au contraire. C'est encore ta mère ?

Natasha se blottit dans les bras ouverts de sa grand-mère.

- Elle a donné le feu vert au molosse pour le week-end.
- Je vois.

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