— Voilà, tu sais, je lui ai dit.
— Je sais quoi ?
— Tu sais ce que ça fait de devenir adulte.
Elle a continué à me regarder avec ses grands yeux.
— Ca fait peur ! j'ai ajouté.
Elle est repartie se cacher sous sa couette, boudant à demi. Je lui l'ai retiré, jusqu'à revoir l'arrête de son nez.
— Ce soir, profite. Tu peux être encore une enfant, mais demain affronte ce moment en adulte.
Elle a hoché la tête.
— Promis ?
— Promis.
Maya a sorti sa main, me présentant son petit doigt comme nous le faisions plus jeunes. Je l'ai entouré du mien et serré fort.
— Ca va bien se passer, ai-je cherché à la rassurer.
— Promis ?
J'ai réfléchis un instant avant de lui présenter mon petit doigt. Je voulais que ça se passe bien pour elle alors j'ai promis.
Elle n'a pas failli.
Les deux premiers cortèges qui entourent les Appelés sont sur le point d'atteindre les portes de la coupole. Un gong résonne. Les cortèges s'immobilisent imités par la foule. La musique se tait brutalement, il n'y en aura plus jusqu'à la fin de la cérémonie. Silence. Tout le monde écoute sonner les douze coups depuis le coeur de la coupole. Ca dure presque une minute. C'est long et intense. Le son me pénètre. On ne l'entend que 4 fois dans l'année, toujours au même endroit, pour les mêmes raisons. Au milieu de la joie, la solennité. Douze coups qui nous rappellent au présent, cet équilibre fragile entre passé et futur, entre ce qui s'est évaporé et ce qui n'existe pas encore. C'est le moment où nous oublions nos craintes et nos espoirs, où nous devons accepter de nous laisser guider, faire confiance à l'existence. Douze coups qui annoncent qu'une centaine d'adolescents sont sur le point d'entrer dans l'âge adulte.
Je sens les frissons me parcourir. Ca y est, nous y sommes.
Au dernier gong, j'expulse l'air contenu dans mes poumons. A l'unisson, la ville en suspension reprend vie. Lentement. Les cortèges s'éloignent jusqu'à entourer complètement l'immense monument. J'observe ma soeur et ses pairs entrer dans la coupole jusqu'à ce que je perde de vue ses nattes. Une file se forme derrière eux dans laquelle je me glisse, piétinant et attendant mon tour. J'ai le coeur qui bat pour elle, comme le sien en ce moment.
Notre mère est déjà à l'intérieur. La tradition veut que les parents soient les premiers à pénétrer dans les lieux. Afin de porter chance à leurs enfants, à tour de rôle, ils brûlent un papier d'encens en formulant leur voeu. Déposés dans un chaudron en fonte au centre de la coupole, la fumée s'échappe jusqu'au ciel pour atteindre les Dieux.
Dès l'instant où j'atteins le seuil, l'odeur de l'encens me saute au nez. J'ai toujours aimé ce parfum souvent puissant et à la fois délicat de la résine qui brûle. Un sentiment de bien-être m'envahit immédiatement, comme si j'étais en paix et en harmonie avec mon environnement, protégée par les murs démesurés du bâtiment, en connexion avec toutes les personnes qui m'entourent. Un filet de fumée blanche continue de s'échapper du chaudron, je m'approche jusqu'à atteindre les premiers rangs. Du regard je cherche ma mère. Elle me fait signe, elle m'a gardé une place. Je me fraye un passage entre les jambes des autres familles déjà installées. Je souffle, soulagée.
— Enfin ! J'ai cru que je n'y arriverai jamais ! Je me suis battue pour remonter toute la Grande Avenue.
— Il faut toujours que tu partes à la dernière minute. Tu as vu ta soeur ?
Les Appelés sont juste devant nous, occupant en cercle les deux premiers rangs de la coupole. Notre mère la désigne du menton.
— Oui, je l'ai aperçu avant d'arriver au milieu des cortèges.
Quelle est belle, son visage pâle souligné par ses grands yeux verts, encore rond de l'enfance. Nous n'avons physiquement pas grand chose en commun. J'ai les cheveux roux, longs et bouclés, complètement indisciplinés. J'ai essayé de les teindre en noir une fois : une catastrophe ! Six mois plus tard, je les ai coupé court pour faire disparaître le marron-noir dégueulasse : je n'étais pas plus à mon avantage mais au moins j'avais retrouvé la couleur de mes cheveux. D'après ma mère, ils me viennent de ma nature rebelle, héritée de ma grand-mère. J'ai toujours entendu dire que c'était une grande femme avec un tempérament de feu. Chaque fois qu'on me comparait à elle, ça me rendait fière.
J'ai pour hérité des yeux de notre mère : gris. Pâles au soleil, foncés le reste du temps. Les traits de mon visage me viennent surtout du côté de notre père : visage assez long, nez droit, lèvres légèrement charnues. Et bien entendu comme je suis rousse, je n'ai pas échappé aux tâches de rousseurs. Maya, quant à elle, a les cheveux de notre mère et les yeux de notre père. Elle conjugue leurs personnalités sages et pétillantes.
Parfois, le soir quand nous sommes dans la chambre de l'une ou de l'autre avec Maya, je lui dis qu'elle me fait penser à Papa. Elle me répond toujours "pas autant que toi". C'est ce qui nous reste de lui, nos visages respectifs pour nous le rappeler. Il a disparu l'hiver dernier emporté par la maladie, une maladie du coeur qui a été diagnostiquée très tôt et dont il n'a jamais guéri. D'aussi loin que je me souvienne, il ne l'a jamais montré. Je ne l'ai jamais vu triste. Il nous a toujours dit qu'il fallait profiter de chaque instant, que la vie était précieuse et que tout ce qu'on avait maintenant était une chance.
Il me manque... Il nous manque à toutes les trois, surtout en ce jour si particulier. Mes deux parents se tenaient sur ce banc pour mon passage. Et ils auraient dû se tenir tous les deux là aujourd'hui. Son absence est douloureuse, car encore fraîche et je sais qu'elle pèse lourd à ma soeur.
Je capte soudain son regard. A l'opposé de nous, elle nous sourit comme si cette fois, c'était elle qui voulait nous rassurer. Pas de doute, elle a grandit. Ma mère lui fait un signe de la tête.
Je me retourne, la coupole est presque remplie. Les dernières personnes entrent et prennent place aux derniers rangs. La cérémonie du Fatum ne pourra commencer que lorsque tout le monde sera installé et que les portes seront closes. D'un regard circulaire, j'essaye de repérer des têtes familières, mais la foule les dissimule.
— Tes amis sont ici ?
— Je ne sais pas s'ils y vont tous, mais Evan, oui sûr ! Il m'a dit qu'il ne voulait pas loupé ça.
— Ah je suis contente qu'il soit là !
Un nouveau gong retentit. Immédiatement, le silence retombe. Prise d'un vertige, je ferme les yeux pour m'aider à me ressaisir.
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L'Oracle
RomanceDans la cité d'Ajna, le chemin de vie de chaque individu est déterminé par l'Oracle à la première saison de leur seize ans. Victoire a suivi la voie professionnelle qu'on lui avait dictée sans se poser de question. Mais qu'en est-il de son avenir s...
Chapitre 1
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