J'entends les tambours résonner à l'autre bout de la ville. Le trottoir vibre sous mes pas d'une énergie particulière. C'est un jour important et je vais être en retard. Je lui ai promis que je serai là pour la voir. Je cours pour rejoindre la musique. Je me fraye un passage à travers la foule qui se densifie. A mesure que j'avance, j'entends les sons se rapprocher, les bruits sourds se muer en musique, les cuivres produire une mélodie. La célébration a débuté depuis l'aube, il n'était pas encore 7 heures du matin.
Depuis la grande artère principale, les musiciens et leurs instruments viennent annoncer le commencement de la nouvelle saison. L'hymne du printemps. La fanfare serpente les rues dans un rythme saccadé et régulier. En haut des chars, de jeunes enfants jettent des fleurs sur la foule venue assister à la procession. Chaque saison à son symbole ; les oiseaux en été, les feuilles à l'automne, le gui en hiver et les fleurs au printemps. Passer en dessous les chars qui jettent ces symboles, c'est recevoir la Paix pour la saison à venir. La ville entière est concentrée là. Cette célébration commence à l'aube et se termine à la dernière minute de la dernière heure du 21 Mars.
Heureusement, la procession est lente. Elle prend son temps, il faut que chacun la voit, descende de chez soi à son appel. Malgré les gens qui me bloquent le passage, je parviens à remonter jusqu'aux premiers cortèges.
Au milieu des chars, j'aperçois ma soeur, Maya, qui marche au même rythme que d'autres personnes de son âge. Ils sont tous vêtus de la même tenue blanche. L'ensemble de leur corps est dissimulé, des pieds jusqu'au cou, seul leur visage est découvert. Je la repère à ses cheveux bruns que j'ai pris le temps de tresser ce matin alors que les premières fanfares déambulaient dans les rues de la ville. J'y ai accroché une fleur rose pâle presque blanche pour lui porter bonheur.
Midi approche. La cérémonie va commencer. Le coeur de cette journée.
Je me rappelle de ce moment où j'étais à sa place, il y a dix ans. Maya était encore une enfant. Elle avait six ans et était restée aux portes de la Coupole. Ceux qui n'ont pas vécu ce rite n'ont pas droit d'y assister. Quand je suis sortie, elle m'attendait. Elle voulait tout savoir et je n'avais rien droit de lui dire. Le secret de notre avenir ne peut être révélé qu'à nos aînés. C'est le symbole d'un passage de l'état de l'enfance à l'âge adulte. Je lui ai fait un simple non de la tête. Elle a compris et n'a pas cherché à insister. Aussi jeune qu'elle était, nous avons senti la séparation se faire entre nous, la distinction entre celle qui avait la connaissance et celle qui devait être maintenue dans l'ignorance.
Du jour où elle est née, jusqu'à aujourd'hui, j'ai toujours été la soeur protectrice. Consciente du rôle qui m'incombait, j'agissais envers elle en seconde mère, sentant mon amour pour elle vibrer dans le plus profond de mes veines, à cause de ce même sang. En retour, j'etais celle qu'elle prenait pour modèle. Aujourd'hui, je ne serai plus la soeur protectrice, je serai seulement la soeur, rétablissant l'équilibre entre nous, nous mettant sur un même pied d'égalité.
Maya garde le regard bien droit devant elle, pourtant je sais qu'elle retient les tremblements. Elle est terrorisée de ne pas savoir à quoi s'attendre. C'est aujourd'hui qu'elle va connaître son destin, c'est tout ce qu'elle sait. La première saison de notre seizième année est le jour le plus important de notre vie.
Embrasser son destin.
Elle s'y prépare depuis le jour où elle m'a attendu au pied de la coupole. Elle l'a rêvé mille fois, imaginant toutes les possibilités qui s'offraient à elle, impatiente de découvrir la vérité, le bon chemin, celui qui l'attend. Et à la veille de ce jour, hier, l'angoisse l'a prise à la gorge. Elle ne voulait plus. Maya se cachait sous sa couette geignant qu'elle pouvait se porter malade pour échapper à ce jour. J'ai ris. J'ai tellement ris qu'elle a sorti sa tête et m'a regardé.
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L'Oracle
RomanceDans la cité d'Ajna, le chemin de vie de chaque individu est déterminé par l'Oracle à la première saison de leur seize ans. Victoire a suivi la voie professionnelle qu'on lui avait dictée sans se poser de question. Mais qu'en est-il de son avenir s...
