10 | partie 1

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— T'as pas intérêt à bouger, claqua sèchement la langue de Faustin.

En guise de réponse, Charles se contenta de hocher la tête. Derrière ses verres de lunettes mal essuyées, le bigleux chaperonnait les petits mouvements circonspects du fugueur. Les prunelles aiguisées le transperçaient, ne lui laissaient aucun répit, traquaient la moindre agitation suspecte de sa part. Faustin restait à l'affût, ajustant avec précaution sa posture à chaque fois. Les pieds bien positionnés en cas d'attaque surprise, ses phalanges tendues préparaient un coup de poing magistral.

C'était l'idée de Charles. Enfin, pas entièrement. Mais c'était bel et bien lui l'élément déclencheur de ce « retournement de situation », comme le répétait sans cesse Faustin dans sa barbe. Afin d'instaurer un climat rassurant, l'éphèbe lui avait proposé d'imposer ses conditions – et ce, de son plein gré. Il savait que cela rendrait le jeune homme plus à l'aise.

Il avait vu juste. Voire un peu trop.

D'abord réticent face à cette suggestion – qui aurait pu s'avérer être un piège –, Faustin avait fini par prendre les commandes. Il avait récupéré en premier sa paire de baskets usées et, tout en surveillant l'inconnu du coin de l'œil, il en avait subtilisé les lacets. Il lui avait ordonné de se mettre ventre à terre et avait attaché ses poignets avec ces ficelles, tirant les aglets le plus possible. Les bandes de tissu serraient les membres extrêmement minces du maigrichon et, dès qu'il s'agitait, ses os frottaient si fort les uns contre les autres que cela en irritait sa peau. À court d'option pour les chevilles, Faustin avait simplement sommé au fautif : « Va là-bas. », pointant du menton le lit.

Assis de force, Charles ne bronchait pas. Il n'avait même pas levé le petit doigt quand Faustin l'avait obligé à se mettre en tailleur sur la couette, pose très inconvenable pour un gentleman digne de ce nom. La matière désagréable des lacets irritait toujours son épiderme, qui le démangeait de plus en plus. Il n'avait plus qu'une envie : casser ces chaînes de fortune. Avec la fougue herculéenne qui coulait dans ses veines, cela ne se montrerait pas du tout difficile. Bien entendu, il n'en fit rien et se tint tranquille. Se comporter de manière violente paraissait être la dernière chose à exécuter devant l'adulte, tracassé de la racine de ses cheveux jusqu'à la pointe de ses orteils.

Une sorte de raclement sortit Charles de sa torpeur passagère. Faustin agrippant le dossier en bois sombre, les pieds arrière du meuble glissaient mollement sur la moquette fine et odorante. La chaise atterrit dans un bruit sourd qui, mécaniquement, instaura une atmosphère encore plus pesante qu'elle ne l'était déjà. Le vidéaste jeta une œillade sévère, presque fière à son prisonnier. Ses pupilles dilatées étudiaient le dossier de l'accusé, le jugeaient et le déclaraient coupable en une fraction de secondes, sans lui laisser le temps ne serait-ce que pour s'expliquer. L'espace d'un instant, Charles lut toute l'horreur et la colère qui aveuglaient l'individu en face de lui, et il ravala prestement sa salive. Sa présence rapetissait au fur et à mesure que celle de Faustin imposait son aura blessée et blessante autour d'eux.

Le fauteuil placé à un mètre environ de la couche, le dossier tourné vers Charles, Faustin s'assit. Tout compte fait, il n'avait plus assez d'énergie pour sautiller debout comme un abruti, attendant avec crainte une attaque surprise du saucissonné des poignets. Il entoura de ses bras la partie supérieure du meuble, tandis que ses cuisses s'écartaient pour se seoir convenablement dessus. Toutefois, il finit par s'accorder un moment de répit et se frotta les yeux, épuisés par les paupières moites, rougies et gonflées, alors que ses cils humides collaient sa peau à chacun de leurs battements. Cela lui permit de se couper de cette situation merdique une minute. Juste une minute.

Quant au dandy, embarrassé par l'attitude décomplexée de Faustin, il contint son envie d'ouvrir grand la bouche et réussit à ne pas laisser paraître une mine penaude. Jamais, au grand jamais il n'avait vu quelqu'un agir de manière aussi impertinente ! Quelques instants, confus, son attention s'égara sur les poches du jean avachi sur la chaise. Il fut comme hypnotisé par le maintien raplapla du garçon. Cette même attention se focalisa sur les vigoureuses cuisses nichées en dessous du tissu. Cela ne dura qu'une minuscule non-pulsation cardiaque. Charles en prit soudainement conscience et détourna le regard, mi-honteux mi-surpris. Je suis la honte de la famille ! pesta-t-il, quasi rouge pivoine.

Faustin coupa court au malaise du blondinet d'un ton ferme :

— Bon, je vais pas y aller par quatre chemins : je pose une question, t'y réponds, un point c'est tout. Compris ?

Nouvel hochement de tête de Charles. Le garçon de feu débuta donc son interrogatoire :

— Tu t'appelles comment ?

— Charles de Poyenneville, Monsieur.

Faustin fronça ses sourcils broussailleux.

— Non, mais ton vrai nom, c'est quoi ?

— Charles de Poyenneville, répéta-t-il.

— Bien sûr... Et moi, je suis Chopin, s'agaça le rouquin.

Le gracile plissa le front à son tour.

— Pourtant, si je puis me permettre, vous ne ressemblez pas à ses portraits.

Le YouTubeur dévisagea son interlocuteur qui ne connaissait visiblement pas le sarcasme.

— Bref, reprit-il, on s'en fout de ton nom. Dis-moi plutôt pourquoi tu m'as... agressé et suivi dans ma chambre d'hôtel. T'as un fétichisme des roux ou du sang, enfin sûrement les deux à la fois ? Pourquoi tu vis dans ce taudis au fin fond du trou du cul du monde ? Comment tu montes au mur ? Parce que t'as bien dû escalader la façade pour débarquer ici, au troisième étage ! Par quel miracle ton cou ne te fait pas mal ? Je t'ai quand même enfoncé un bâton dedans ! Et où est cette putain de chauve-souris ! Oh bordel, s'affola-t-il de nouveau, mais qu'est-ce que je fous, c'est n'imp–

— C'était moi, l'interrompit Charles.

Au bord des nerfs et à bout de souffle, éreinté, Faustin le toisa. Sans prévenir, un rire jaune explosa de sa gorge, empli d'acidité indubitable. Mentalement, il gabait de la folie imprévisible qui émanait de l'énergumène vis-à-vis de lui. Par contre, il peina à contrôler son bras, qui lorgnait l'image du minois délicat écrasé au sol. À la place, il s'éjecta du siège et, tremblant de rage, attrapa le piteux col de son vêtement – du moins, ce qu'il en restait.

— Mais je sais très bien que c'était toi, putain ! Tu me prends pour un con ou quoi !

Il agrippait et secouait Charles comme un prunier, avec tant de poigne que celui-ci contractait ses quadriceps au maximum et se retrouvait dorénavant sur les genoux. Il manquait constamment de tomber et appuyaient sur ses phalanges podales afin de garder un peu d'équilibre. Se remémorant le coup subi la dernière fois par le jeune homme, la bouche corallienne du noble se tordit d'effroi et laissa échapper un gémissement apeuré, extrêmement aigu. Faustin en tressauta et relâcha son emprise sur le textile gris saleté.

Charles bascula en arrière. Il s'écroula sur sa hanche, l'épaule amortissant sa chute, et redressa la tête. Son timbre de voix mourait dans les bas-fonds de sa cage thoracique, mais il beugla comme il put :

— La chauve-souris, c'était moi !

— C'est quoi encore ces conneries ? (Faustin recula et se prit les pieds dans celles de la chaise, trébuchant sans pour autant en dégringoler.) Merde, merde ! J'aurais dû aller voir la police, pas me prendre pour elle ! Je... je peux toujours changer ça.

Ni une ni deux, il fonça vers la porte. Son bon sens lui criait le plan de secours suivant : se dépêcher de se rendre au rez-de-chaussée pour apostropher le personnel de l'accueil, leur demander d'appeler le commissariat ou la gendarmerie du coin et se mettre à l'abri. Très loin de ce détraqué, recroquevillé sur la couette de lit, dont les poignets s'enchevêtraient grotesquement.

— Attendez !

Une tornade de mèches dorées s'agita sous le nez bicolore de Faustin, un craquement particulier précédant son apparition. Les iris arborant une teinte myosotis perforèrent ceux malachite. Planté devant son « bienfaiteur », Charles lui adressa son expression la plus sévère et imaginable. Son intonation résonna entre le plâtre, austère, mais sans dissimuler l'once de désespoir qui était tangible :

— Vous n'irez nulle part sans m'avoir écouté.

n. d. a : joyeux confinement ! (je voulais mettre un gif, mais il était trop lourd ptn)

Le Blond aux crocs pointusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant