La première femme

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Un jour, lorsque l'assistante m'apposa le bracelet je lui posai une question idiote, malgré moi, une question bête qui s'enfuit de mes lèvres sans que je puisse la retenir :
« Le bracelet enregistre les données mentales, mais il enregistre aussi les émotions ? Les

sentiments ? »
Elle fronça les sourcils et me scruta de longs instants. Enfin elle ouvrit la bouche :
« Pourquoi ?
-Pour savoir., répondis-je en haussant les épaules, jouant la nonchalance.
-Le bracelet enregistre tout. A quel genre d'émotion penses-tu ? »
Je ne répondis pas. Je ne savais pas vraiment. A quel genre d'émotions pouvais-je bien penser ?

Des émotions, auprès de Lucy, j'en ressentais de toutes sortes.
De l'amusement lorsque nous regardions une comédie sur le poste de télévision. J'avais

découvert que ma culture cinématographique était pitoyable face à l'éventail de choix de la télé à notre disposition, j'avais eu le sentiment de ne rien connaître. Alors de temps à autre nous nous installions devant un film. Et Lucy riait toujours, d'un rire cristallin. Au début elle n'avait fait que sourire timidement, comme moi. Mais avec le temps, une confiance s'était installée et nous osions rire pleinement, l'amusement, la joie de l'une entrainant l'autre.

De la frustration lorsqu'elle me battait aux échecs. Celle-ci disparut vite cependant, depuis les 4 premières parties elle ne m'avait plus battu. J'avais compris ce jeu de plateau pourtant nouveau pour moi à toute vitesse. Cela semblait l'impressionner d'ailleurs. Et moi aussi.

De la fierté alors, lorsque je voyais cette admiration dans ses yeux. J'aimais la déceler dans sa pupille synthétique. Mais elle aussi je l'admirais. Depuis mon arrivée je la prenais pour une simple machine malgré son perfectionnement. Mais peu à peu je remarquais chez elle des attitudes plus organiques, plus humaines peut-être. Etait-ce à force de me côtoyer ? J'aimais à le penser.

Mais ce n'était pas l'une de ces émotions que je craignais de voir découverte par les chercheurs. Je finis par le comprendre. Et cela me frappa brusquement, comme un coup à l'estomac.

Je compris. Je compris tout pendant un moment que nous avions pourtant déjà partagé une dizaine de fois. Un moment devenu banal. Devant un film. Assises côte à côte sur le canapé, nous regardions un dessin animé. Une merveille de beauté. Des adolescents qui luttaient contre quelque chose qui'ils ne comprenaient pas mais qui, inéluctablement, allait les séparer. Devant ce film, devant une scène sublime où la musique s'emballa alors que le héros saisissait, pour la première et probablement dernière fois, entre ses mains celles de la jeune fille qu'il aimait, mes doigts effleurèrent ceux de Lucy. Par accident ? Et elle saisit ma main dans la sienne.

Pourquoi ? Quels programmes de son système avaient pu se mettre en marche pour qu'elle fasse une telle chose ? Je croisai son regard et, sans savoir pourquoi, dans mon propre cerveau, de nouvelles connexions se firent, la braise qui s'était éveillée après notre première partie de cartes devint un brasier ardent. Je plaquai mes lèvres sur les siennes.

Elles n'étaient pas froides, elles étaient douces, mais pas comme de plastique, ou du caoutchouc. Cette douceur-là ne m'apparut pas feinte, fabriquée de toutes pièces. Alors je me laissais aller avec elle dans ce baiser, cette étreinte.

La lumière rouge du plafond se mit à clignoter. Les yeux clos toutes les deux, nous ne le remarquâmes pas tout de suite. Mais la magie de l'instant prit fin.

L'assistante de laboratoire grommelait en m'installant sur le brancard et en m'apposant le bracelet électronique. Mais je n'étais pas avec elle. La scène précédente ravageait tout dans mon esprit, comme une tornade inarrêtable.
« Quelle bande de tire-au-flanc... »
Cette fois-ci son grommellement était trop distinct pour que je puisse faire mine de ne pas avoir entendu. Par politesse, mais sans le moindre intérêt je demandai :
« De qui parlez-vous ? »
Elle se contenta de répondre, plus pour elle que pour moi :
« La maintenance... Il y a eu un problème avec les ordinateurs qui traitent tes données, et ces imbéciles vont mettre deux jours à la réparer. Deux jours tu te rends compte ?! Alors les données

Participations au concours d'écriture de TiboudouboudouCWhere stories live. Discover now