Chapitre 2 - Le Sacre des Pairs

8 2 0
                                    

Personne. 

Ni homme, ni bête, pas même un chat traversant les rues désertes. Pas un bruit. 

Et soudain au loin, un écho, le tintement clair d'un carillon au-dessus des toits d'une ville fantôme. Ce sont les cloches, les cloches du beffroi, qui appellent au Château royal la foule de ce peuple en liesse qui déjà se masse dans la Cour d'honneur et contre les portes aux larges battants ouverts sur la Grande Salle. Peine perdue, car à l'intérieur plus personne ne rentre tant les larges travées sont chargées de monde. Tout ce que le royaume compte de grands seigneurs et de nobles dames est là, et plus encore, car on a invité riches bourgeois, paysans chanceux et dignes prélats, à prendre place dans chaque recoin resté libre. Ainsi on se presse où l'on peut, on joue des coudes pour y voir, et l'on s'entasse depuis les gradins de bois des bas-côtés jusque dans les hauteurs des secondes tribunes.

À l'avant, aux places d'honneur des premiers rangs, se dressent avec fierté et dans toute leur splendeur de parade les cinq capitaines qui ont amené leur compagnon d'arme au pouvoir. Il y a là leur aîné à tous, Roderick, colosse au visage sévère buriné par le soleil et le vent ; et puis à sa droite, plus court d'une tête et encore écuyer, le brave Aubert à la mine joviale, qui porte ostensiblement à son cou le bouclier frappé de l'emblème de son futur roi ; à son côté le noble Euric, filleul de l'ancien souverain, qui converse discrètement avec son frère cadet, un jeune homme à la tenue de clerc et aux traits taillés à la serpe. Lui seul ne porte pas les armes, car il a rejeté le nom que son père lui avait donné, et a abandonné la broigne d'écailles des guerriers pour le long bliaud de velours sombre des intellectuels de son temps. Falguier il s'appelait durant sa prime jeunesse, mais éloigné de la tentation du pouvoir et élevé par ces lointaines académies au-dessus de l'esprit de ses pairs, il revint auprès des siens portant désormais le nom éclairé de Vivance.

Enfin, à la gauche de Roderick et au bord de la travée, se dresse le terrible Lieutrand qui fait jouer ses cheveux blonds dans un rayon de lumière filtrant par les hautes baies de la salle. Lui qui fut jadis otage du roi qu'il venait d'occire, adresse maintenant un sourire goguenard aux derniers membres de la famille de Sicard postés de l'autre côté de l'allée centrale, en caressant du pouce le fil d'une énorme hache d'apparat qui pend à sa ceinture.

Car le clan de l'ancien roi est bien présent devant l'estrade où se déroulera la cérémonie. Encadré par deux gardes, il attire pour le moment toutes les attentions. Parmi eux se dresse, au bord de la rangée, un jeune chevalier revêtu d'un long haubert de mailles comme on n'en voit point encore dans le royaume ; cependant aucune lame à sa ceinture, ni casque sous son bras. C'est qu'il n'en a pas besoin, car sa meilleure arme est une longue chevelure flamboyante qu'il arbore librement, et qui marque le pouvoir détenu par la dynastie dont il est aujourd'hui l'héritier.

À côté de ce prince sans couronne se tient sa mère, noble dame enveloppée dans un grand manteau blanc. Un pan a été ramené sur le haut de sa tête et dissimule en partie deux longues nattes tressées sans ornement. Comme son fils aîné, Duholda arbore encore ostensiblement l'attribut de son pouvoir déchu, car c'est chose connue qu'à Enselant seules les reines portent le deuil en blanc. Mais ce large manteau ne peut couvrir entièrement la courbe de son ventre qui s'arrondit sans cesse depuis le début de l'été, et sur lequel se concentre les murmures que l'on s'échange à travers la salle.

Enfin, près de leur mère, deux autres garçons et deux filles, tous enfants encore mais richement vêtus, affichent un air hautain dicté par la défaite et contrastant cruellement avec l'innocence de leur jeune âge.

Derrière eux s'étend la foule immense des nobles et des courtisans, familles anciennes à l'influence perdue, familles nouvelles au rôle à venir, et autour de l'estrade les chœurs des congrégations du royaume se sont formés, mêlant pour la première fois moines et laïques. De part et d'autre, dans les hautes tribunes, on a placé les émissaires des royaumes voisins, venus avec force cadeaux témoigner des plus gracieuses intentions de leurs maitres envers le nouveau roi. Visibles par tous, ils viennent sanctionner de leur présence le changement de dynastie que Lodève veut instaurer. Et puis, au milieu de tous ces riches atours, une longue bure blanchie de poussière. C'est celle du frère Cutbert d'Âpremont, posté là en observateur pour graver dans sa mémoire les moindres détails de cette cérémonie, afin de les rapporter fidèlement par la suite dans les pages de la chronique de son couvent.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Dec 04, 2019 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

La Geste des Braves - 1. La Guerre des RoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant