Chapitre IV

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J’angoisse un peu en arrivant au bas de la tour. J’ai dix minutes d’avance, j’ai anticipé, il y aura sans doute la queue aux portiques de sécurité. L’ensemble du personnel est en stress depuis l’annonce de cette réunion. Les suppositions et spéculations vont bon train. Il y aura-t-il des licenciements, des coupes budgétaires ou autres remaniements de poste ?
Je ne suis pas étonnée en pénétrant le temple de la presse. J’avais vu juste. J’aperçois Mathieu qui essaye encore de se faire remarquer par le bel agent ultra baraqué aux yeux turquoise.

Voilà des mois qu’il lui envoie subtilement, un tas d’allusions, sans aucun retour. D’après Marc, Mathieu n’a aucune chance : « sexy security », comme ils le surnomment entre eux, est cent pour cent hétéro. Mais il ne veut rien entendre et s’est mis en tête qu’il finirait par l’avoir.

Mon angoisse augmente une fois ma carte présentée à l’hôtesse d’accueil. Ce n’est pas Parker fils, qui me déstabilise, ni mon avenir au sein de l’entreprise. Mais me retrouver au milieu de tout cet attroupement compact et agité. J’observe chaque mouvement, Alice, qui replace maladroitement une mèche derrière son oreille en s’adressant à Romain, Marc, qui se moque de l’extravagance de Mathieu, Sonia qui comme toujours est accompagnée de son petit groupe, et qui critique chaque personne présente. Je suis en décalage total. Je suis la foule machinalement et me laisse guider au rythme du passage.

Alors que le monde grouille et vit autour de moi, je me perds dans le souvenir de ce soir-là. Le soir où tout a basculé. Il n’a fallu qu’un seul appel pour tout anéantir. Une voix inconnue et grave m’avertit que je dois me rendre à l’hôpital. On me prévient d’un accident, c’est tout ce que je sais.

On m’annonce que tu es décédé sur le chemin dans le SAMU.

Deux médecins me rattrapent. Le souvenir est flou, je me rappelle, mes jambes qui lâchent, l’odeur horriblement particulière de cet endroit. Après ça, tout se mélange. Je me retrouve chez mes parents, la douleur est si forte que je suis en boule dans mon ancien lit. Et puis le silence. Ce silence morbide et atroce. J’ai l’impression de ne jamais pouvoir m’en échapper. Et puis cette question qui me hante : pourquoi ?

— Eh you ou ?

Mathieu me sort brusquement de ma torpeur.

— Tu peux arrêter d’agiter tes doigts qui sentent la saucisse sous mon nez ?

— Oh ! Tu es encore de bonne humeur, ça promet ! se lamentent-il replaçant une mèche soyeuse sur son front avec grâce et reniflant discrètement sa main.

Sa grimace m’arrache un rictus.

— J’ai mangé du bacon ce matin, ce n’est pas de la saucisse. Enfin bref, ce n’est pas le sujet.

Ses yeux brillent autant que ses cheveux, sagement peignés, il colle parfaitement aux décors somptueux du hall dans son costume Balmain.

— Je crois que ça avance avec sexy sécurity.

Il papillonne des cils et sourit de toutes ses dents un peu trop blanches.

— Tu dis ça parce qu’il t’a fouillé ?

— Ah ! Tu as vu ? Oui, oui, le coquin.

— Tu sais qu’il t’a fouillé, car tu avais laissé tes clés dans ta poche pour faire sonner le portique.

Je reconnais que je lui casse légèrement son rêve, mais, là, il abuse carrément dans son fantasme.

— Soit ! Il a quand même pris le temps de me peloter, tout en me dévorant avec ses yeux de braise.

— Ou peut-être voulait-il s’assurer que tu n’étais pas un individu dangereux, vu comment tu le reluques…

Son front se plisse et son regard se durcit.

Après toiWhere stories live. Discover now