La convocation

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Une heure d'attente.

Patience lissa distraitement un pli de sa robe. Patiente, elle l'était, en dépit des trépignements de ses sœurs qui fusaient par intermittence dans son esprit. Mais là, on frôlait tout simplement l'incorrection.

C'était un domestique qui était venu lui annoncer la convocation de l'intendant, au beau milieu du petit déjeuner. Friande en avait renversé son thé dans un glapissement mi-inquiet, mi-ravi : nul doute qu'elle se dépêcherait si tôt changée de rapporter la nouvelle à ses amies. Patience ne relevait plus le manque de pudeur de ses sœurs, Friande en particulier. Les commérages étaient dans sa nature.

Convoquer plutôt qu'inviter, et en envoyant un domestique plutôt que daigner se déplacer, c'était absolument typique de l'intendant. Mais tout de même, quel manque d'élégance ! Elle était la sœur de l'ambassadeur, pas un vulgaire serviteur que l'on mande pour un sermon.

Ce qui était en revanche moins typique de M. Thorn, c'était le manque de ponctualité. L'intendant était connu pour sa rigueur - c'était bien l'unique qualité que Patience lui connaissait. Or, voici une heure qu'elle tournait en rond dans la salle d'attente.

A l'image de l'austère personnage qui allait la recevoir, le café mis à disposition était presque froid, et les petits biscuits étaient trop secs. De toute manière, elle avait perdu l'appétit à la seconde même où le domestique finissait son annonce. L'intendant ne pouvait la convoquer que pour une seule chose, et cela ne présageait rien de bon.

Il savait pour les robes. Comment, c'était une question qu'il faudrait éclaircir ultérieurement. Pour l'heure, elle se demandait plutôt quel prétexte choisir pour justifier de telles dépenses faites au frais de l'ambassade. Elle avait fait preuve de finesse, pourtant, attendant les moments opportuns pour chaque commande, et à la discrétion du baron Melchior, s'il ne voulait pas que ses propres dépenses inconsidérées soient éventées à leur tour. C'était là le jeu de la cour, et en dépit de son jeune âge, Patience était douée.

Du moins, le pensait-elle jusqu'à ce matin.

Elle avait choisi une mise sage, afin d'avoir l'air convaincante. Le reste de la matinée avait été employé à trouver une histoire plausible, et s'il faudrait falsifier quelques papiers et renvoyer un domestique ou deux, hé bien, soit : elle ne renoncerait pas à sa garde-robe d'hiver. Le baron s'était surpassé : même dame Berenilde ne possédait pas pareille toilette. Patience avait déployé de formidables efforts de dissimulation au reste des membres de la Toile, afin que la surprise soit totale. Et voilà que l'intendant allait tout ficher en l'air, pour une stupide histoire de chiffres !

Il fallait cesser de ressasser des pensées inquiètes : cela, elle ne pouvait totalement le cacher à la Toile, et elle excitait la curiosité de ses sœurs qui avaient cessé toute activité pour ne pas perdre une miette de l'entrevue. Elle formulait un reproche muet à ces dernières quand le secrétaire de l'intendant se présenta et l'invita à la suivre.

Il régnait dans le bureau de M. Thorn une odeur de propre quasi médicale. Elle s'attendait, du reste, à trouver une pièce dépouillée et sans goût, et la réalité lui donna raison. Ce qu'elle ne suspectait pas en revanche, c'était de voir son frère avachi sur un affreux canapé élimé.

Son étonnement fit écho à celui de ses soeurs, et n'échappa pas à Archibald qui lui sourit d'un air taquin. De toute évidence, il savait ce qui se tramait derrière cette audience. Elle n'aimait guère porter attention aux pensées de son frivole grand-frère, et cela faisait des années qu'elle le laissait en sourdine. La plupart des membres de la Toile en faisaient autant, sous peine d'être mortellement gênés à des moments inopportuns.

La convocationWhere stories live. Discover now