Chapitre I

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Les premiers rayons du soleil caressent ma joue, mon corps statique me fait mal. J’ai mal dans mon cœur et dans mon âme. Les yeux ouverts, je regarde les particules de poussière virevolter dans la lueur que m’offre l’interstice du vieux volet.

Un nouveau jour se lève, encore un jour où je dois survivre sans toi. Combien de temps vais-je tenir ?
Chaque matin, je repense à un de nos souvenirs pour masquer cette douleur indescriptible.

Aujourd’hui, je revis ta demande en fiançailles. Tout était si beau, je me remémore chaque détail. Les feuilles des arbres qui dansaient sous la brise chaude, les oiseaux qui chantaient. Des enfants qui riaient au loin. Nous partagions ce pique-nique que tu avais préparé avec soin.

Et puis mon esprit me ramène à la réalité. J’entends le glas sinistre des cloches, je revois ton cercueil posé dans l’allée centrale de l’église.

Je ne sais pas comment vivre le deuil, je n’avais jamais perdu personne avant toi. Tout le monde me dit qu’avec le temps tout ira mieux qu’il finit par apaiser les cœurs. Mais les jours passent, et pourtant tout empire. La terre continue de tourner et je ne trouve plus ma place. Comment les gens arrivent-ils encore à rire ? Comment ce foutu monde peut-il avancer sans toi ?

Je me force à sortir du lit et me glisse sous la douche. L’eau chaude qui auparavant me faisait du bien n’a plus aucun effet relaxant. Tout comme le reste, chacun de mes gestes est le résultat d’une routine automatisée.

Je m’habille en vitesse d’un chemisier clair et d’une jupe crayon noire. J’attache mes cheveux sans prendre le temps de les brosser et passe du fond de teint aux vertus hydratant. Un simple artifice pour ne pas entendre les gens me rabâcher « Oh ! Là, là, que tu es pâle ! » S’ils pouvaient tous se la fermer et me laisser tranquille, je serais soulagée d’un poids.

Je ne supporte plus personne, mais je me force à renouer avec le travail car mes parents étaient tellement inquiets par mon état léthargique qu’ils envisageaient de me présenter à un thérapeute. Chose qui m’est totalement impossible et impensable. Je ne parlerai pas à qui que ce soit, car je n’ai vraiment rien à dire, alors je simule un retour à la vie normale. Machinalement, je pose du mascara sur mes cils, attrape mon sac et prends la direction du bureau.
Là aussi, tout le monde court dans tous les sens, s’anime, s’agite… Je rejoins mon box et consulte rapidement mes mails. Le rédacteur en chef m’a envoyé une note avec le prochain article que je vais devoir lui rendre.

« ENQUÊTE AU CŒUR DE LA VOYANCE ET DES MÉDIUMS »

Minimum cinq cents mots. Délai : cinq jours. Cible : vingt/trente ans. Comment le spiritisme impacte-t-il sur la mode ?

Stupéfaite, je me demande si je ne suis pas victime d’une mauvaise blague. Puis je sens la colère envahir mes veines. Il sait que mon fiancé s’est tué il y a à peine six mois dans un accident de voiture et il veut me faire enquêter sur des médiums à la con qui parlent soi-disant aux morts !
Excédée, je me lève comme une furie et me dirige à son bureau. Alice, la secrétaire, m’interpelle une fois à sa hauteur. Son espace de travail est juste devant la porte fermée de son patron. Elle possède un simple bureau où s’entassent toutes sortes de classeurs et de feuilles. Un téléphone et son ordinateur finissent d’occuper le peu de place qui lui reste.

— Salut, Elena.

— Salut, Alice. Romain est ici ?

— Non, désolée, il a une réunion à l’extérieur.

Alice est une jeune femme blonde aux yeux d’un bleu vert envoûtant. Elle a trente-cinq ans, mesure environ un mètre-soixante, elle est toute menue, un joli visage aux traits fins et gracieux. Employée modèle et très performante, elle donne corps et âme pour son boss, et je pèse les mots de cette expression puisqu’elle couche avec son patron.

Romain, mon rédacteur en chef, se tape que des mannequins ou Alice quand il n’a qu’elle sous la main. Si au début, ils étaient parfaitement d’accord pour que cela soit juste du sexe et que personne ne devait être au courant, Alice est tombée follement amoureuse de lui et, bien sûr, tout le monde le sait.

J’aime bien cette fille, on se voyait de temps en temps avant, lorsque ma vie n’était pas cet horrible quotidien de douleur et tourments. Maintenant, je ne fréquente plus personne, je ne supporte plus ce monde qui grouille et respire autour de moi. Je crois que nos tête-à-tête lui manquent, elle est toujours aussi amicale et bienveillante avec moi malgré mes humeurs maussades.

— Tu veux que je lui laisse un message ?

— Oui, s’il te plaît, souris-je, crispée. Dis-lui que je n’écrirais pas son article de merde !

— Oh, tu parles de celui sur les médiums et voyants ?

— En effet !

Elle grimace et me demande d’approcher. Ici, les murs ont des oreilles. Je suis assez près pour découvrir la couleur de son soutien-gorge. Ne s’étant pas donné la peine de fermer tous les boutons, sa chemise cintrée noire offre un décolleté très plongeant.

— En fait, l’ordre vient carrément d’en haut, m’indique-t-elle de son index en direction du plafond.

— Comment ça, d’en haut ? Ça vient de Parker ?

— Oui. Il a lourdement insisté pour que cela soit toi qui rédiges cet article. Romain t’avait assigné à celui concernant les déguisements d’Halloween les plus en vogue et sexy du moment, mais monsieur Parker a réaffecté Sonia à la place et toi sur le truc de voyance.

La jolie blonde ne masque pas sa compassion et je comprends que je n’ai pas le choix.

Mais de quoi se mêle Julian Parker ? Ça fait deux mois que ce type a pris ses fonctions et je ne sais toujours pas à quoi il ressemble. La seule chose dont je suis sûre à son sujet, c’est que son père a créé l’empire Parker Publication il y a quarante ans. Il a décidé de mettre son fils au poste de PDG de la filiale européenne qui se trouve en France. Le patriarche sexagénaire devrait prendre sa retraite dans les cinq années à venir. Il va laisser sa place à la tête du groupe de la maison mère aux USA à son fiston. Julian Parker est le vrai fils à papa qui doit sans doute de voir faire ses armes ici avant de conquérir l’Amérique.

Tant mieux pour lui, il n’a pas eu à galérer pour en arriver là, cependant qu’il se mêle de mon boulot me met hors de moi.

C’est la première fois que je ressens de la colère depuis toi, depuis ta mort. La vérité, c’est qu’au fond de moi, il y a un grand vide. Je ne fais plus attention à ce que je fais, tout est machinal et sans saveur. Plus rien ne me fait rire ou ne me donne envie, j’erre sans but dans une existence où tu n’es plus. Je me laisse porter par le vent glacial qui danse autour de moi.
Six mois déjà, certains jours, j’ai l’impression que c’était hier et d’autres que cela fait une éternité. Si tout le monde persiste à me dire qu’avec le temps tout ira mieux, pourquoi ma peine est-elle toujours aussi présente et intense ?

— Tu veux quand même que je transmette un message à Romain ?
La douce voix d’Alice me ramène à la réalité.

— Non, laisse tomber, ce n’est pas grave. Je vais lui faire son putain d’article.

Je tourne les talons et retourne à mon box. Je parcours les sites de médiums de la région et en choisis un pas très loin du bureau. J’appelle rapidement, espérant un entretien au plus tôt. Je dois avoir de la matière pour travailler, rien de mieux que de me faire passer pour une cliente.
Rendez-vous fixé pour le surlendemain. Je continue mes recherches en consultant des sites de voyances et des avis d’internautes. Tout ce que j’en tire est une profonde détresse et des tas d’ennuis divers et variés.

Je prends des notes au crayon, juste une ébauche de mon futur article. Ça fait des heures que je bosse dessus et mes yeux commencent à y voir trouble, j’y vois là le signal qu’il est temps d’arrêter. J’éteins mon ordinateur et sans calculer personne, je me dirige vers l’ascenseur.
Auparavant, cet endroit était comme une deuxième maison. J’adorais venir ici. Chaque fois que je pénétrais cet immeuble, je réalisais la chance que j’avais. Même si j’avais dû m’acharner pour y arriver, je foulais enfin le pavé du monstre sacré de la presse. Chaque étage possède son magazine. C’est une entreprise énorme. Au sommet, trône Julian Parker assis sur le tas d’or que lui a légué son père.

L’endroit en lui-même reflète le luxe. L’accueil est entièrement en marbre clair. Des agents de sécurité et des portiques contrôlent toutes les entrées. Les femmes s’occupant du standard sont plus belles les unes que les autres. Elles parlent toutes au moins trois langues et sont impeccablement vêtues de tailleur hors de prix. Dans les étages, c’est différent, chaque rédacteur en chef est libre de choisir sa décoration. Le treizième, celui auquel je suis rattachée, est consacré à la mode, il est essentiellement blanc. Des touches de couleurs sont changées au gré des saisons et des tendances du moment. Cette année, le bleu électrique fait son grand retour, ils ont donc entièrement remplacé toutes les moquettes.

L’endroit est aéré, à la sortie de l’ascenseur, un long passage mène à l’îlot central où se trouve l’accueil. Trois couloirs l’entourent et conduisent à divers bureaux et atelier.

J’appelle l’ascenseur qui va comme à son habitude mettre une plombe à arriver au vu du nombre d’étages.
Les portes s’ouvrent, un homme est déjà dans la cabine, il lit un journal et ne se donne même pas la peine de lever la tête. Sans mot et sans un regard, je prends place à ses côtés.

Après toiWhere stories live. Discover now