La nuit dernière, j'ai ouvert en rêve, le livre que je cherchais depuis longtemps.
Avec cette surprenant certitude qui n'appartient qu'aux songes, j'ai su, en le prenant en main, qu'il contenait tout ce que j'avais toujours espérer lire. Les émotions informes qui se bousculent dans mon cœur. Les aventures les plus palpitantes que j'imaginais étant enfant. Les déductions lumineuses des esprits logiques. Les vastes et lointains paysages de contrées exotiques. Les échos de musiques longtemps oubliées. Ce livre renfermait tous mes trésors imaginaires, tous mes espoirs et tous mes désirs. J'en ai eu un pincement de cœur, comme un trémolo entre deux battements.
Était-il épais, petit ou grand, avait-il une couverture illustrée ? Je ne pourrais plus en être sûr. Ce qui le distinguait, c'était comme une aura, pleine de promesses. À présent que j'y repense, je suis tenté de lui attribuer une apparence à la hauteur de l'importance que je lui donne. Forcément, je l'imaginerais imposant. Un lourd volume, majestueusement habillé de cuir, bordé de dorures, au papier lisse et frais, à l'odeur du temps passé. En vérité, je ne m'en souviens plus. Je ne suis même pas certain de l'avoir perçu avec mes yeux, car c'est mon cœur qui est allé vers lui. Une apparence banale n'aurait en rien diminué l'attrait qu'il exerçait sur moi.
Vous arrive-t-il d'oublier quelque chose que vous auriez voulu faire ? Un plan que vous veniez d'imaginer , et qui s'est évanoui avant même de se concrétiser dans votre esprit ? Mon cerveau me joue souvent ces tours. À ces moments, je me retourne sur mes souvenirs, cherchant frénétiquement l'idée égarée. Plus mes efforts s'avèrent vains, plus j'imagine avoir laissé s'échapper une idée extraordinaire. Je finis par me persuader que cette idée aurait changé ma vie, et que j'aurai éprouvé le plus grand des plaisirs à la réaliser.
La même sensation me reste de ce rêve. Je suis certain d'avoir ouvert le livre et de l'avoir parcouru. Bien que je puisse en citer le moindre mot, je sais qu'il a comblé toutes mes attentes et remplit tous mes vides. La sensation est toujours vivace, même après mon réveil. Je conserve la satisfaction laissé par les grandes lectures, aussi forte qu'en refermant un de mes romans préférés. Je me revois tourner la dernière page avec un sentiment exquis. J'ai goûté au bonheur entre ces pages.
Bien sûr, tout ceci n'est qu'un rêve, mais de ces espèces de rêves qui nous font questionner la réalité. Ceux qui se fondent dans les souvenirs aux côtés d'événements réels, et qu'on finit par ne plus bien distinguer. Que ce soit un rêve n'enlève rien à ce que j'ai ressenti. "Voilà un livre à recommander", m'étais-je dit ; "un de ceux auxquels je reviendrai". De ceux qui ne manquent pas de nous happer, quelque soit la page à laquelle on les ouvre.
La dernière scène dont je me souviens avoir rêvé, c'est de retourner ce livre entre mes mains jusqu'à ce que mon regard tombe sur sa tranche. Bien que le titre ne m'ait pas marqué, le nom de l'auteur est gravé dans ma mémoire.
Ce livre, c'était le mien.
