Maintenant je sais qui je suis

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Grâce à ce traitement antipsychotique, Dan est parvenu à un miracle psychiatrique, empêcher un malade tel que moi d'être un danger, pour lui comme pour les autres. J'ai toujours pris ce traitement, d'aussi loin que je me souvienne. Il me permet de voir le monde tel qu'il est réellement, et non pas sous un filtre obscur qui lui ferait perdre tout son sens.

Il me reste à régler le problème de ce sourire, qui ne me quitte plus. C'est celui d'une femme je crois. Doux, tendre, peut-être même aimant. Je ne le reconnais pas et pourtant, il fait naitre en moi ce je-ne-sais-quoi de réconfortant, une vague de chaleur moite dans laquelle on ne souhaite que se lover pour s'endormir. S'il n'éveillait pas aussi ce malaise dans ma poitrine, je souhaiterais presque ne plus voir que lui.

30 octobre 2044

Le sourire s'est transformé en grimace. Et il parle à présent, ces lèvres si délicates se tordent et débitent des paroles que je peine à comprendre. Elles ne les débitent pas vraiment d'ailleurs, la vérité, celle qui me glace, c'est qu'elles les hurlent. Ce sourire, si chaleureux il y a encore quelques jours, ce sourire qui me rappelait un magnifique bonheur qui n'aurait pas encore eu lieu, est maintenant en train de me persécuter. Il me supplie, il m'interroge, me pose mille questions, hurle ! Pourquoi ? A cause de qui ? Contre qui ?

Je commence à m'interroger, à m'inquiéter même, les flashs sont de plus en plus présents et je n'ai pas envie de les ignorer plus longtemps. J'ai appelé Dan, il m'a dit de me reposer, que cela passerait si, et seulement si, je n'y prêtais pas attention. Mais... Je commence à douter de son conseil. Pour la première fois de ma vie d'ailleurs. Il y a, dans les suppliques de cette bouche, quelque chose qui m'attire. Je sais que je suis concerné, que je suis en première ligne de sa détresse. Peut-être devrais-je la protéger ?

Peut-être aurais-je dû la protéger ?

Cette idée m'a réveillé en sursaut cette nuit. J'avais entendu parler d'inhibiteurs de mémoire, ils existent depuis quelques années pour aider les personnes traumatisées à se remettre de leur mal et à reprendre une vie plus facile. Ils oublient leurs traumatismes, ils oublient leur peine. Peut-être est-ce mon cas.

Aurais-je vécu une épreuve telle que les médecins m'aient jugé comme ayant besoin de ce traitement ? Mais alors, à qui est ce sourire ? Et quel affreux secret peuvent dissimuler d'aussi jolies lèvres.

3 novembre 2044

Je ne peux plus vivre ainsi. J'ai fait des recherches sur les inhibiteurs. C'est une substance qui, injectée au bon endroit du cortex (un gyrus chargé de la mémoire) permet au sujet d'oublier une période précise de sa vie ainsi que la prise du traitement. Je n'ai plus aucun doute. J'ai subi cette opération. D'après certains forums alarmistes dont je me serais moqué jusqu'à présent, la mémoire peut revenir par bribes dans certains cas. Si la personne ne souhaitait pas réellement oublier.

Je ne voulais pas oublier ! Je ne voulais pas oublier j'en suis sûr ! Comment aurais-je pu ? Ce rire que j'entends est un chant de cigales. L'enfant que j'ai fait rire ainsi devait être une merveille. Pourquoi aurais-je pu vouloir l'oublier ? Et ce sourire... Cette femme dont je ne sais rien fait pourtant s'emballer mon cœur, je n'invente rien ! Je les ressens dans mon corps, aucun produit chimique ne peut changer ça. Ces deux fantômes de mon passé sont inscrits au plus profond de moi.

Je dois me rendre à l'évidence. Je les aimais. Cette femme, cet enfant, une petite fille je pense, je les ai aimées de toute mon âme. Où sont-elles ? Pourquoi me les a-t-on fait oublier ? Et comment ai-je pu croire un seul instant que je souhaitais vraiment les effacer ?

Je reprends mon écriture après quelques heures de réflexion. La raison de ma décision inconcevable d'oublier m'est apparue, limpide. La seule douleur qui aurait pu me pousser au désespoir, à tel point que je souhaite effacer leur présence de mon âme, la seule raison de mon choix fou, est que ces deux anges que j'ai tant aimés, peut-être, m'ont-ils trahi. Peut-être les deux femmes de ma vie m'ont-elles abandonné. Et moi, dans un élan de faiblesse, j'ai pensé que la douleur de les avoir perdues était trop forte pour la joie que j'avais eu de les connaître. J'avais choisi de les oublier. Mais aujourd'hui je dois bien accepter que, mon corps ne veut pas les oublier. Quoiqu'elles m'aient fait, je ne veux pas les effacer de mon cœur.

Participations au concours d'écriture de TiboudouboudouCWhere stories live. Discover now