Accroche-toi

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La cité avait été belle. De belles bâtisses en pierres taillées et ciselées, dans des tons allant du blanc aux ocres, avaient encadré chaque rue et ruelle de leurs silhouettes gracieuses. La verdure avait été également présente, chaque recoin inutilisé était l'emplacement de massifs de fleurs, de buissons ou d'arbres.

C'était la ville capitale du pays des Wakinyans, Nagiwitka. La plus grande des agglomérations même si les cités wakinyannes n'égalaient pas en superficie et en population les grandes villes des Hommes du Nord. Mais ce qui leur importait, c'était la présence et la proximité avec la Nature. Sans cela, leur emblème, l'Oiseau-Tonnerre ne pourrait vivre et les protéger si toute la végétation était engloutie par des pierres et des constructions, aussi belles et gracieuses soient-elles.

Pourtant actuellement, la cité était noircie, de la fumée s'élevait de dizaines de feux, des cris retentissaient partout, le sang formait par endroit des ruisseaux macabres, des bruits de chocs entre des lames perçaient l'air. Une guerre avait lieu. Pour le pire.

Terres Libres. Cela ne serait bientôt plus qu'un nom parmi d'autres oubliés. L'envahisseur gagnait du terrain sur ce continent, chaque armée qui essayait de le stopper se voyait vaincue voire même anéantie. Malgré tout, les gens continuaient à se battre, à protéger ses terres qu'ils aimaient, à essayer de croire que leur combat était juste et ramènerait la paix. Utopie !

Non loin du centre de la ville, un grand arbre millénaire au feuillage d'un rouge presque rose était le spectateur immobile de plusieurs duels entre guerriers wakinyans et envahisseurs. Ils étaient restés dans la ville, au cas où l'armée, qui était partie des semaines plus tôt traverser les Montagnes situées à l'Est de leur pays, n'arrivait pas à battre les ennemis de la paix de ces Terres Libres. Vu le nombre de combattants que les indigènes devaient repousser, ils avaient peu d'espoir pour leurs compatriotes. A eux de défendre les femmes, les vieillards et les enfants qui vivaient ici. Une poignée d'hommes pour une armée comptant plusieurs régiments.

Tout semblait perdu d'avance. Un jeune homme releva la tête après avoir enfoncé son sabre décoré de deux plumes orange-rouge dans le corps d'un soldat de l'armée envahisseuse. Son regard était éteint par la fatigue, anesthésié par tous les morts des siens entrevu jusque-là. Ses membres lui faisaient mal, des crampes commençant à se faire ressentir. Son corps était recouvert de sang, plus ou moins séché, le sien, celui de ses ennemis et aussi de ses amis que la pluie fine ne pouvait laver. Le Wakinyan ne savait plus quoi penser, tout n'était plus que réflexes et instinct de survie. Il se demanda si sa sœur, là-bas dans les steppes avait dû connaître la même chose, la même transe durant le combat avant de succomber. Car elle n'était pas revenue...mais l'ennemi avait pu passer.

Soudain il se retourna au bruit d'une lame levée. Il eut juste le temps de lever son arme pour contrer l'attaque. Les passes de son adversaire étaient redoutables et ce dernier semblait reposé. Pas étonnant, ils sont si nombreux qu'ils ont l'audace de se remplacer lors des corps à corps. Ce qui n'était pas le cas du Wakinyan, la fatigue le ralentissant dans ses mouvements et lui embrumant la vue, la pluie rendant glissant le pavement du sol. Pourtant il tint bon. Il était jeune, mais déjà un guerrier aguerri avec un certain sens inné d'anticipation qui lui avait sauvé la vie plusieurs fois pendant ces derniers jours.

Mais c'était sans compter sur la traîtrise de ces envahisseurs et de leur nouvel allié. Au moment où il leva son sabre pour passer à l'offensive, une longue flèche lui traversa le corps du dos jusqu'au torse, perforant ses chairs de part en part. Le choc fut si violent, que les yeux grands ouverts par la surprise et la douleur qui lui vrilla le corps en entier, il se retourna en direction de l'archer qui venait de lui tirer dessus. Il ne tomba pas malgré qu'il chancelait, mais il en lâcha son arme qui tomba dans un bruit métallique sur le pavé de la place centrale de la ville. Le rire gras et moqueur de son adversaire retentit au même moment, tellement sûr du sort du Wakinyan. Le soldat se détourna de ce dernier quand il reçut deux autres flèches en pleine poitrine, lui causant des blessures graves qui ne lui permettait plus de se battre. Haletant, suffocant dans le sang qui avait fini par jaillir de sa bouche, il se laissa tomber à terre. Il entendit vaguement les pas des envahisseurs s'éloigner, le laissant pour mort.

Il ne pensait plus. Il n'était plus que douleur. Tout lui paraissait comme assourdi par un voile épais, une brume qui entourait peu à peu tous ses sens. La seule chose qu'il pouvait ressentir, c'était cette terrible souffrance qui lui lançait des décharges à intervalles réguliers entre ses omoplates, dans son poumon gauche ainsi que le sang qui pulsait à ses tempes, son souffle devenant plus court et irrégulier.

- Accroche-toi !!! Toksa !!! Accroche-toi !

La voix... cette voix. Ce n'était possible ! En l'écoutant il se traina vers un mur d'une bâtisse entourant la place centrale, souffrant, perdant du sang, trop de sang, puisant dans ses dernières forces à l'entente de ces paroles. Hoquetant entre deux quintes de toux, il sentit une main l'agripper par l'épaule. Et à nouveau cette voix qui cette fois lui murmura :

- Je suis là, Toksa. Accroche-toi ! Je suis là ! Ils ne gagneront pas !

- Ka...mi....mi...la ?

- Oui c'est moi petit frère. Accroche-toi ! Ils ont été plus loin, sans savoir ce qui se cache dans l'Arbre de Feu. Je vais pouvoir m'occuper de toi, mais accroche-toi ! lui répondit la guerrière en lui caressant ses longs cheveux tressés.

Tout en le prenant par la taille pour l'aider à se relever, elle jeta des coups d'œil anxieux aux alentours. Les ennemis se sont éloignés, mais des trainards pouvaient toujours être en arrière. Ils pénétrèrent dans la première bâtisse qui était restée plus ou moins intacte, n'ayant pas été touchée par les incendies qui ravageaient la ville depuis trois jours.

A l'intérieur, Kamimila déposa son frère agonisant sur une des paillasses à disposition, et repartit aussi vite après lui avoir promis de revenir avec des onguents et pansements pour ses blessures. Le jeune homme ne pouvait tout simplement plus lutter, l'inconscience le prit, l'avalant dans le néant salvateur.

oO0Oo

Plusieurs heures passèrent, la Wakinyanne avait pu enlever les flèches sans que leurs hampes ne se brisent. Elle avait presque était soulagée que Toksa était inconscient, la douleur était moins ressentie lors de ces manipulations dans cet état qu'en pleine conscience, même si son corps s'était cabré lors des trois enlèvements des armes fichées profondément dans le corps. Elle avait pu lui étaler de l'onguent cicatrisant et aseptisant le long des blessures, le panser et lui faire boire de l'eau ainsi qu'une potion contre les inflammations et la fièvre. Ses blessures au poumon l'inquiétaient. Les deux premiers jours seront cruciaux. Si la fièvre ne se déclarerait pas, il aurait une chance de s'en tirer. C'est pour cela qu'inlassablement, la jeune femme passait un chiffon humide et frais sur tout le corps de son frère, contrôlait son front et essayait de lui faire boire un filet de la potion tout aussi régulièrement.

La jeune femme était déjà bien éprouvée par ce qu'elle avait subi, par ce qu'elle avait dû faire mais qui n'avait pas été un sacrifice suffisant apparemment, alors de voir en plus son jeune frère entre la vie et la mort, lui brisait le peu d'espoir et de force qu'elle gardait en elle. Elle éclata en sanglot sans crier gare, vidant d'un coup toutes les sentiments retenus jusque-là.

Dans le flot de ses larmes, les émotions et les horreurs vues partirent. Les trahisons et les déceptions s'envolèrent. Les assauts subis et les combats donnés furent plus que de lointains souvenirs. Son visage était inondé de cette eau salée, mais son cœur se vidait de toute cette pression. Elle en ressortit vidée mais plus apaisée, comme lavée de tout sentiment de faiblesse qui l'avait salie depuis ces combats dans les steppes.

Elle ne savait combien de temps elle avait été dans cet état de fragilité, mais elle sentit son frère remuer.

- Hey, lui dit-elle quand elle le vit papillonner des paupières. Cela va ?

- Ou – oui, mieux....

- C'est une bonne nouvelle. Tu es chaud mais sans fièvre. La chamane a vraiment de bons remèdes. Accroche-toi et tu seras sauf !

- Kamimila..., commença-t-il péniblement, tant par ce qu'il allait dire que par le souffle qui lui manquait toujours, l'archer... c'était un Elfe de Forêt...

- Oui, je sais, répondit-elle avec un ton dur qu'il ne lui connaissait pas.

Puis il vit son regard se faire à la fois glacial et amer. Il comprit qu'elle avait dû le voir. Là-bas. Elle n'en était pas sortie indemne.


Accroche-toiWhere stories live. Discover now