Chapitre 2

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- Bonjour Mme Charlotte, je me présente, je suis Caroline Mones, votre nouvelle aide à domicile. Je suis envoyée par l'agence que vous avez contacté par téléphone, il y a quelques semaines. Je suis là pour vous rendre la vie plus facile Madame et pour vous aider dans les tâches ménagères comme vous l'avez stipulé. Je suis très heureuse de vous rencontrer ! dis-je avec un entrain quelque peu surjoué.

- Mrh... bien sûr... Mlle Caroline... Enchantée ! balbutinne la grand mère.

Elle se retourne alors et m'invite gentilement à entrer. Je dépose mes affaires sur le palier et la suit.

Son corps, frêle et maigre, semble englouti dans ses larges vêtements légèrement décousus et tachés. Elle est pieds nus sur le carrelage couleur crème, ses veines se dessinent en surface sur sa peau rosée et ses ongles sont longs, noirs et sales. Elle sent mauvais, son parfum ressemble à un mélange de pâté pour chat et de cannelle.

Ses longs cheveux blanc ondulés ne sont pas coiffés, ils sont noués dans deux tresses désordonnées. Son visage est creusé de rides, sa peau est viellie par le temps, elle est parsemée de tâches rousses et brunes qui lui rende les traits durs et sévères. Ses yeux bleus ont perdu leur éclat d'antan, ils sont ternes et inanimés, son regard est fatigué. Ses lèvres pincées et fines s'harmonisent cependant avec son nez mince et allongé.

- Mm... Voilà, au rez de chaussé il y a la cuisine, la salle de bain, le petit salon, ma chambre, l'accès à l'étage et au sous sol. Mais... mrh... je vous f'rait la visite plus tard Mademoiselle dit-elle.

Sa main froide se pose sur mes épaules et m'arrache de mes pensées estampillées. Elle exerce une légère pression contre mon dos et me convie à la suivre dans la cuisine.

La pièce est exiguë mais lumineuse. Des casseroles en cuivre, de différentes tailles, sont accrochées au dessus de la gazinière sur une partie du mur. Quelques meubles anciens sont disposés aux quatre coins, certains pour la vaisselle, d'autres pour l'épicerie, d'autres encore pour une décoration relativement douteuse ; des vieilles photos de famille brûlées, des fleurs fanées, des pattes de poulets séchées, des sacs de croquettes pour chat en vrac...

D'un geste de main convivial de Mme Charlotte que j'interprète comme une invation, je m'assoie à table.

Les pieds sont bancales, le bois est usé et les chaises ne sont pas confortables. De la poussière, des miettes de pains et des restes de nourritures jonchent le plateau de la table à manger. Je serre les bras le long de mon corps pour éviter tout contact.

- C'est jolie chez vous Madame... dis-je comme pour me le prouver intimement à moi-même.

Silencieuse, la grand mère ouvre un placard grinceux qui laisse échapper une volée de poussière dans l'air et en sort du café en poudre dans un petit sachet noir. Elle le dilue dans deux tasses décorées de chats qu'elle met au micro-ondes quelques minutes, puis elle avance vers son frigidaire et ramène, dans une assiette cellophanée, une part de gâteau aux amandes qu'elle pose devant moi avec une petite cuillère mal lavée.

Un chat, différent des précédents, lui tourne autour en se frottant contre ses jambes, sans se soucier des coups de pieds étouffés de sa maîtresse pour l'inciter à partir.

« Rrrh... toujours collé à mes pates c'lui là ! Il doit avoir faim. Mais prenez donc une part Caroline, c'est fait maison. » dit Mme Charlotte en prenant place en face de moi sur une chaise.

« Alors... mmh.. oui... l'aide à domicile, c'est ça. Je vous remercie d'être là, je vous ai beaucoup attendue... M'voyez mon ancienne aide, celle avant vous, ben elle m'a lâchement abandonné ! Du jour au lend'main ! Ça m'a beaucoup affectée vous savez. Elle était si gentille. Mais mmh... peu importe... vous êtes là maintenant ! Pour longtemps je l'espère. »

La vieille femme reprend sa respiration un brève instant et continue son discours.

« J'ai oublié de préciser lors de l'entretient téléphonique... il faut nourrir chaque jour tous les chats, hmm... il y a en a beaucoup ici. C'est une grande passion pour moi. Voilà... Mangez donc mon p'tit, je ne vais pas vous mordre ! »

Je souris et acquiesce de la tête en me murmurant intérieurement que ça ne devrait va pas être si compliqué et croque à pleines dents dans le gâteau aux amandes préparé part Mme Charlotte. La génoise est sucrée, moelleuse, mais elle a un goût rense et âcre. Les amandes croustillent sous mes dents mais certaines sont trop dures et peinent à se craquer malgré la force que j'utilise pour les mâcher. Une saveur de moisie envahit ma gorge et mon œsophage.

Je déglutis avec une nausée profonde ma bouchée de gâteau devant le regard interrogatif de la grand mère.

Quelques satanés morceaux de nourriture restent coincés dans ma bouche et entre mes dents, ils me griffent même l'intérieur des joues. Beurk. Je m'excuse auprès de Mme Charlotte et cours presque vers le lavabo de la salle de bain pour me débarrasser de cette chose au goût insupportable.

La petite pièce aux carreaux symétriques roses est minuscule, elle empeste le renfermé et l'humidité. Une ampoule pend faiblement au plafond, l'éclairage est sombre et fatigué. Il y a une petite douche au fond dans laquelle traîne, mouillé, un rideau de bain violet à moitié déchiré. Des gouttes d'eau ruissellent dans un bac en plastique étroit, presque rempli de tubes et de flacons de gel douche de toutes sortes et de toutes contenances. À côté d'un panier de linge débordant de vêtements sales, un petit chat roux dort confortablement empilé sur quelques serviettes de toilette.

Je vois comme un soulagement l'évier à ma droite, pourtant non-nettoyé et encrassé de tartre. Un gobelet en plastique est posé sur le rebord contenant une brosse à dent, pleine de poils de chats et de dentifrice sec, ainsi qu'un peigne en bois rempli de cheveux emmêlées. Un vieux savon de Marseille sec est emprisonné dans une surface visqueuse et verdâtre.

Mes mains se posent sur la céramique glacée et poreuse du lavabo, j'ouvre le robinet et laisse s'échapper un mince filet d'eau. J'unis mes mains sous le jet clair, bois quelques gorgées et les mélangent énergiquement dans ma bouche plusieurs secondes.

En crachant le liquide désagréable dans la vasque, un bruit grouillant s'échappe de la bonde de l'évier et je remarque quelque chose d'étrange qui bloque l'écoulement de l'eau. Je plonge mes mes doigts avec prudence et attrape la masse rappeuse qui bouche le trou d'évacuation.

Des ongles. Une pincée d'ongles dans le creux de mes paumes.

Quelques-uns de forme et de physionomie humaine, blancs et arrondis, plus ou moins longs. Et d'autres de forme animale, fins, pointus, transparents comme ceux des chats.

Je déglutis une nouvelle fois et manque de vomir.

Mme. Charlotte Where stories live. Discover now