Un ancien monde

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Nous savions pourtant, sans que nous n'ayons besoin de creuser profondément en nous-mêmes, que cela était inéluctable. Nous avions intégré cette vraisemblance comme une logique imparable, que cette bataille en serait certainement la dernière, celle pour laquelle nous tomberions les armes, qu'elle qu'en fut l'issue. Pourtant cette évidence se dessinait comme un horizon lointain, repoussée chaque jour dans les tréfonds de l'incertain. Chaque heure domptée était toujours cela de gagné sur le temps.

Nous manquions tout simplement de héros, de drapeau peut-être derrières lesquels nous rallier. Nous avions été repoussés dans nos derniers retranchements, et notre territoire se réduisait à mesure que la forêt se mourrait. Un mal la rongeait, imperceptible, muet et sans odeur. Mais la vérité était là, implacable et prenait forme insidieusement : le gibier se faisait rare d'abord, les arbres eux-mêmes semblaient implorer de l'aide et la sécheresse qui gagnait nos terres donnait à l'eau de nos puits une saveur amère.

Une bien belle ironie donc pour notre clan, dont la renommée se faisait légende, au-delà même des montagnes du nord. Pourtant nos aînés n'auraient pu se préparer à une telle destinée, eux qui avaient, jadis, vaillamment vaincu ces hordes de monstres sauvages, bravés moults tempêtes. Aujourd'hui notre paresse serait elle notre dernier ennemi ? Trop peureux pour braver ce danger invisible.

Il y avait de cela environ trois cents printemps disait-on, dans une lutte sans merci, les fondateurs n'avaient pu tenir à distance les sans-poils, comme nous les appelions encore dans nos fables racontées au enfants. Ceux-ci, ces intrus, avaient domptés la foudre, causant ravage et la dévastation parmi les nôtres. Ils avaient alors fendus l'horizon, jonchés sur leurs immenses poissons de feu et de fumées. Ces êtres stupides et vils ne s'exprimaient alors qu'au travers de grognements et il nous avait été totalement impossible de tenter de comprendre leur intentions avant qu'ils ne nous attaquent sans autre ménagements. Il avait été impossible pour nos aînés de comprendre d'où provenait cette menace avec certitude, ils avaient crachés le feu, tandis que la distance ne nous permettait pas même encore de distinguer leur regard. Le brouillard de cendre avait permis de justesse la fuite, quelque chose que nous n'avions pas connu jusqu'à lors : ne pas faire face à un ennemi, et nous terrer, aveuglés à la lueur de leur peau de métal.

Les nôtres étaient désormais les proies. Ce furent alors les galeries, dont l'entrée se trouvait enfouie dans la forêt impénétrable, où ils avaient du se replier, qui faisaient offices de garde-manger, mais aussi jusqu'à lors vouées aux cérémonies funéraires qui furent le salut de nos ancêtres. On dit encore aujourd'hui que c'est depuis que notre regard s'est accoutumé à l'obscurité, que nous avons préféré la nuit au jour, puisque pour les pères de nos pères, le seul refuge était maintenant souterrain. Seuls demeuraient les plus forts d'entre eux, environ une trentaine du clan, puisque les autres avaient lâchement été décimés. Femmes, enfants pour la plupart. C'est durant la saison tout entière des glaces qu'ils s'étaient trouvés contraints de repousser les souterrains, creuser de leur mains la terre, les envahisseurs causant nombres d'éboulements sous leur pas lourds.

Alors que ce qui constituait leur terrier dès lors, semblait définitivement s'effondrer, ils sentirent, comme un soupir d'abord, puis comme une tempête, l'air de la surface, à fleur du sol. Une brèche pour un refuge, un accès vers une grotte. Se cassant les mains pour creuser la terre gelée, on dit encore que c'est par la force, guidé dans leur rage par un murmure, l'instinct, l'équilibre d'Inhrä qu'ils en trouvèrent la voie. C'est ainsi qu'ils purent parvenir jusqu'à cette caverne, Elleon, comme nous la nommons encore, et c'est depuis qu'elle revêt son caractère sacré. C'est ici même qu'ils retrouvèrent espoir. Il ne leur restait plus qu'à reprendre force, caressant l'idée d'une vengeance prochaine en se nourrissant de la colère. Ils attendirent tout simplement que la nuit sans lune se fasse pour chasser ces intrus.

Alors ces anciens du clan abandonnèrent leur armures, leurs lances de métal bien trop bruyante et lourdes pour partir à l'assaut. On dit que les premiers sang poils qui aperçurent les premiers des nôtres leur fondre dessus furent piétinés, tandis que les seconds moururent pétrifiés en entendant le cri de guerre du clan. Mais la bataille qui s'ensuivit dura la nuit entière. Certes, alors que nous pouvions les toucher, eux ne pouvaient plus nous atteindre : nous les dépassions tout d'au moins trois têtes, et dans le tumulte, le crache-feu de ces freluquets était sans effet, tuait autant les nôtres que les leurs. Mais il avait fallu tout ce temps pour que nos ancêtres traquent, les uns après les autres ces derniers qui tachaient de se cacher dans une nature avec laquelle, manifestement, ils ne parvenaient pas le moins du monde à faire corps.

C'est peu à peu donc que nos ancêtres avaient sauvé nos terres de la terreur et par la force, avaient contraints leurs derniers quelques survivant à battre en retraite, rendus fous par cette nuit de cauchemar, pour ne plus jamais revenir. Ils étaient partis sur leurs grands poissons de feu et de fumée pour rejoindre l'horizon.

Je croyais encore qu'il s'agissait là de pures balivernes, des légendes que l'on raconte aux enfants pour qu'ils restent sages. Mais au fond de moi, je savais que nous ne vivrions plus le monde comme avant. Je ne pouvais croire en ces fables, tant les jours se ressemblaient sans qu'aucune surprise ne puisse en rompre la quiétude. C'était mon cas, tout comme nombre de ceux de mon âge, les « promis », tout autant que pour les rites vétustes qui marquaient notre attachement à Inhrä, dont la symbolique m'échappait profondément.

Il s'agissait de nous soumettre au cycle, nous inscrire dans l'idée que notre personne propre n'avait pas la moindre importance, que le lien quant à lui prédominait tout. Ce qui était né de la Terre demeurait à la terre, et la force qui animait chaque chose n'avait qu'un seul dessin : parvenir à maintenir l'équilibre. Nous, comme toute possession d'Inhrä faisions ainsi partie d'un même tout, la vie, comme la mort. Si je suis né des cendres du feu originaire, je lui retournerai, et je nourrirai la vie future. Nous vivions donc en parfaite harmonie avec la Mère, ne lui empruntant que ce qui nous était nécessaire pour nous sustenter, et le lui rendant dès que cela était possible. Une harmonie dans laquelle contraindre à la souffrance toute vie marquait une brisure dans l'équilibre, une atteinte impardonnable envers Inhrä. Ainsi ceux qui avaient tenté de contraindre des Wuks, de les enfermer, s'étaient tout simplement trouvés exclus à jamais du clan.

Mes aspirations alors étaient bien plus modestes. Certes j'acceptais pleinement ma place, mon rôle, ma caste. Tout au moins, j'aurais aimé avoir la liberté de pouvoir continuer d'apprendre parmis mes amis, pouvoir continuer de jouer. Mais il me fallait accepter que je prendrais la route au prochain retour des neiges, pour devenir un orc estimable au sein du clan.

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⏰ Last updated: Sep 09, 2019 ⏰

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IrhünWhere stories live. Discover now