Chapitre 2

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La clinique n'avait pas changé.

Pourtant, à l'époque, l'endroit appartenait à un collège de médecins qui ont depuis cédé la gestion à mon père et son associé de toujours, un cardiologue dont le nom m'échappe constamment. Après ce que ma mère m'avait raconté, c'est-à-dire que la cession s'était faite dans le chaos et le conflit — avec l'assistance de quelques huissiers gracieusement payés —, je m'étais attendue à ce qu'ils opèrent des travaux pour marquer le coup, mais non. Je redécouvrais les mêmes murs orangés, les mêmes grandes fenêtres vitrées, la même ambiance dans le hall d'accueil, la même dame qui m'accueillit avec un sourire que je suspectais d'être figé, à force d'être maintenu artificiellement.

— Mademoiselle Ikoyi, ça fait longtemps, dites-moi !

Phrase d'accroche tout à fait hypocrite, car je détestais cette femme depuis le jour où elle avait grossièrement tenté de séduire mon père alors qu'il était encore marié : j'avais dix ans. Je lui donnai alors une réponse tout aussi fallacieuse, le sourire en moins.

— Pas assez longtemps, si vous voulez mon avis. Puis-je voir mon père ?

Enfin, pas si diplomate, finalement. Mais j'aurais essayé.

Madame Ilowa, secrétaire clinique et coureuse de jupons de son État, ajouta sans se démunir de son faux air affable :

— Il est au bloc opératoire, mademoiselle. Il vous faudra patienter. Je ne vous montre pas le chemin, vous le connaissez.

Sans la remercier, je la dépassai, sous les regards curieux de plusieurs patients, et traversai un long couloir qui me rappela des souvenirs d'enfance. Combien d'heures avais-je passées ici à attendre que mon père se souvienne de ma présence ? Beaucoup trop.

Tout en saluant quelques employés qui m'interpellèrent gaillardement comme la fille du « docteur », je pris le chemin de son bureau, situé au premier étage et, de façon très pratique, à seulement quelques pas du bloc opératoire. Sur place, je constatai que la pièce était fermée à clef — comme à chaque fois qu'il opérait —, et je m'assis sur un des fauteuils installés devant, consciente que j'allais y passer la soirée. Je vérifiai ma montre. Minuit. Je fis un calcul rapide et conclus qu'il n'était par contre que dix-neuf heures à Montréal.

Tout en remerciant le décalage horaire, je branchai mon téléphone à une prise électrique et procédai à l'échange des cartes SIM pour obtenir une connexion Internet. Le Wifi n'étant pas vraiment répandu dans le coin, tous les habitants de la ville se fiaient plutôt à la 3G, qui avait connu un essor important durant les cinq dernières années. En conséquence, j'avais pensé à me commander d'avance une SIM locale, que j'avais récupérée auprès du chauffeur qui m'avait déposée à la clinique. Ainsi, en moins de deux, j'avais un numéro de téléphone et, surtout, la 3G.

Je fus sur Whatsapp presque aussitôt, et plusieurs discussions débutèrent avec mes amis restés à Montréal. Je pris également quelques minutes pour rassurer ma mère :

«Bien arrivée, maman. Je suis à la clinique et j'attends papa pour rentrer. Merci du cadeau! J»

D'accord, c'était sarcastique, mais elle devait s'y attendre. Il n'y avait pas idée de me jeter ainsi dans la gueule du loup. J'avais juste oublié qu'elle aussi avait un sens de la répartie assez pointu :

«Oh, ma pauvre choune! Ne t'inquiète pas, tu survivras. Ça ne durera que deux mois. Pense à moi et ça ira mieux. Promis!»

« Là, tout de suite, penser à toi me donne envie de gerber J »

« Ça tombe bien, les crevettes d'hier n'étaient pas très fraîches. Soulage-toi, mon enfant, soulage-toi J »

Voyageuse, tome 1Where stories live. Discover now